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« Et tout ça devrait faire d’excellents Français » : Une radioscopie des quartiers

Politologue, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, Olivier Roy est l’un des grands spécialistes de l’islam politique. Il publie avec Naïma M’Faddel un ouvrage sur les habitants des quartiers populaires intitulé « Et tout ça devrait faire d’excellents Français, dialogue sur les quartiers » aux Editions du Seuil. Plus qu’une plongée salutaire dans l’histoire récente de la France populaire et musulmane, cet ouvrage est une radioscopie éclairante sur la situation qui prévaut encore aujourd’hui dans les quartiers populaires. Le focus de Mizane.info. 

Il y a trente ans, Olivier Roy faisait la connaissance de Naïma M’Faddel, aujourd’hui déléguée à l’urbanisation à Dreux, à un moment où le FN faisait une percée électorale. Ce moment sera le point de départ d’un livre consacré aux territoires des quartiers populaires intitulé « Et tout ça devrait faire d’excellents Français, dialogue sur les quartiers » publié au Seuil.

Dans un entretien que le chercheur a consacré à France Culture, il s’est expliqué sur l’évolution de la situation qui a, en trente années, mené les quartiers populaires d’une mixité en phase avec la société à une ghettoïsation territoriale, tout en soulignant que ces quartiers ont fait émergé une élite « républicaine ». Mizane Info publie les temps forts de cette conversation.

Des élites « républicaines » issues des quartiers

Rétrospective. Dans les années 80, les élites des quartiers populaires étaient le pur produit de l’école républicaine et de la réussite qu’elle permettait encore il y a trente ans et qu’elle ne permet plus aujourd’hui. Les causes de leurs réussites ? Pour le professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, on peut en citer au moins trois.  L’école, le fait d’avoir échappé à un certain enfermement grâce aux parents et… les mariages mixtes ! « L’intégration par le mariage fonctionne également », dit-il. Pour le reste, il s’agit avant tout d’une « succession d’histoires individuelles ». « Ceux qui s’en sortent veulent rester en général dans une démarche individuelle, ils ne se sentent pas représentatifs d’une communauté jusqu’au moment où on les renvoie à leur origine et là ils ont des attitudes très variées », ajoute Olivier Roy qui reconnait néanmoins que « très souvent l’administration pousse les jeunes qui sont sortis des quartiers à y revenir pour y exercer professionnellement ou pour représenter l’Etat ».

De la mixité au ghetto

A la fin des années soixante-dix, ce qu’on appelle les quartiers étaient très mixtes socialement. Comment s’est faite la polarisation ethnique de la ville alors qu’il n’y avait aucune stratégie derrière ? s’interroge le co-auteur de l’ouvrage. La politique de la ville « par exemple encourageait de mettre des services publics dans ces quartiers. Des mairies annexes partout. Du coup les gens n’avaient plus besoin de descendre au centre-ville, d’aller à la poste centrale, à la mairie centrale. Les gens ont pris l’habitude de vivre entre eux à l’intérieur de leur quartier ». Ensuite, il y a eu la politique des HLM par regroupement ethnique : Marocains, Algériens, Turcs, harkis. Le début d’une ghettoïsation, de la création d’espaces d’entre soi, à l’écart de la ville. « Les gens se regroupaient par village. S’ils voulaient déménager pour rester ensemble, on leur disait : mais oui bien sûr au contraire ! » « L’école devient de moins en moins mixte, on met en place des pédagogies différente » sous prétexte que les élèves ont plus de difficultés explique l’auteur, et « les maires vont avoir tendance à embaucher des jeunes issus des quartiers pour gérer ces quartiers ». Dans les années soixante-dix, les « pions » étaient des étudiants qui ne vivaient pas dans les quartiers permettant aux élèves d’avoir des modèles de réussite extérieurs à leur lieu de vie poursuit Roy. Puis on les a remplacés par les grands frères. « Le problème c’est qu’en général les grands frères sont en situation d’échec. Donc on a renvoyé à ceux qui entrent au collège l’image d’un aîné mais qui est en situation d’échec. Avec la meilleure intention du monde, on a organisé la ghettoïsation de ces quartiers ».

« Il y a de l’argent mais il n’y a pas de vision politique »

Pour autant, Olivier Roy ne parle pas de stratégie d’Etat de ségrégation urbaine. L’Etat, insiste-t-il, a toujours voulu l’intégration, la paix sociale. « L’Etat sur le plan local ce n’est pas le maire qui représente sa ville et ses intérêts locaux. L’Etat, c’est le sous-préfet. Il n’y a que cela sur le plan politique ».

Il faut cesser de percevoir les quartiers comme des territoires d’exceptions qui réclameraient des mesures exceptionnelles

Or, le sous-préfet ne reste en place que de 18 mois à trois ans maximum. Chaque changement de sous-préfet est un changement de ligne politique et donc une perte des acquis précédents sur le plan des contacts. « La politique de l’Etat n’est pas une politique qui va au cœur des choses, au contact, c’est tout simplement une bureaucratie, une administration, des règlements, des subventions aussi. Il y a de l’argent mais il n’y a pas de vision politique, pas de contacts humains, pas de sens du tissu social. C’est cela qui est extrêmement important et qui manque », explique très à propos l’auteur du « Djihad et la mort ». Comment remédier au cloisonnement des quartiers ? Pour Olivier Roy, il faut cesser de percevoir les quartiers comme des territoires d’exceptions qui réclameraient des mesures exceptionnelles. « Ne pas cibler les quartiers même avec une très bonne intention, ne pas créer d’exception y compris sur le plan fiscal, ce qui crée des effets pervers pour l’exemption fiscal dès lors que vous ne vivez pas sur le même trottoir. On renforce cette vision du quartier comme une espèce de réserve qui doit être gérée de manière exceptionnelle. Il aurait mieux valu ne pas avoir de politique de la ville et traiter ces quartiers avec une vision beaucoup plus politique de mixité sociale ». Même s’il reconnait que cette mixité n’est pas désirée par les classes moyennes et supérieures en particulier « quand le système éducatif est concerné ».

Les racines du communautarisme : le cas du salafisme des quartiers

Problèmes de mobilité dans ces territoires, communautarisme : la question de l’islam des quartiers n’étant jamais très loin arrive très vite sur la table sous sa forme la plus médiatique, celle du salafisme débarqué dans un terreau qui a facilité son développement. « Les salafis sont arrivés dans un milieu où existait déjà l’idée d’un contrôle social imposé par le voisinage. On a mis en place un système où on concentrait les gens selon leurs origines ethniques, religieuses, géographiques. On a recréé les conditions d’un village. Les salafis sont arrivés pour rationaliser ce contrôle social autour d’un message : il faut revenir au vrai islam ». L’islam d’origine, l’islam traditionnel et culturel, n’a pas été transmis dans l’émigration, les parents parlant bien d’islam avec leurs enfants mais en des termes dialectaux qu’ils ne comprenaient pas toujours très bien. « Cela leur paraissait complètement folklorique », dira Roy. Les salafis ont donc contribué à la réislamisation des jeunes en leur expliquant que l’islam de leurs parents n’était pas le vrai islam, en leur transmettant des petit livres simples d’une vingtaine de pages sur l’islam, etc. « Ce n’étaient pas des djihadistes. Ils avaient la volonté de ramener les jeunes dans le droit chemin mais un droit chemin qui les coupaient encore plus de la génération de leurs parents et encore plus de la société française environnante. »

Du chômage familial à l’absence d’élites

Les jeunes ont donc pris le pouvoir dans les années 80 dans un contexte de naissance du chômage de masse. Les pères ont cessé d’être ceux qui amenaient l’argent à la maison.

Les salafistes ont beaucoup plus de mal à recruter dans les milieux mixtes parce que les jeunes ont d’autres modèles

L’immigration musulmane en France a été une immigration de pauvres, de paysans, d’ouvriers, une émigration sans élite.  « Le modèle d’autoreproduction de l’islam du pays d’origine marche très mal. On fait venir des imams qui parlent peu ou pas le français, les jeunes ne parlent pas ou plus l’arabe. Il y a eu un échec de retraditionnalisation des jeunes par l’islam de leurs parents ». Mais le salafisme, nuance l’auteur, n’est pas la religion dominante des quartiers car il est très rigoriste et impose beaucoup d’interdits. Beaucoup de salafis par ailleurs évoluent avec l’âge et adoucissent en l’harmonisant leur pratique de l’islam grâce à la socialisation du mariage et du travail. « On a créé un terrain où les salafistes recrutent sans problèmes. Mais les salafistes ont beaucoup plus de mal à recruter dans les milieux mixtes parce que les jeunes ont d’autres modèles, d’autres copains ».

Les élites des quartiers trahis par une laïcité autoritaire

Les élites issues des quartiers sont décrites comme « républicaines » mais très déçus des allures qu’a pris la laïcité autoritaire en France, « une laïcité d’interdits et pas d’ouverture, une laïcité qui exclut le religieux de l’espace public ». Pour beaucoup de Français, explique Olivier Roy, la religion doit rester dans le privé. « Or ce n’est pas cela la laïcité. La loi de 1905, c’est l’organisation du religieux dans l’espace public sous le contrôle de l’Etat. Il y a une crispation identitaire française sur une laïcité fermée qui aggrave les problèmes ». Le politologue conclut son entretien en affirmant que « sur le plan politique le communautarisme ne tient pas. Le vote musulman en 2017 est laïc car majoritairement pro-Mélenchon et occupe l’espace de la gauche. Le grand échec du quinquennat Hollande, ce sont les quartiers évidemment ».

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