Entrepreneur(e) dans la communication et l’événementiel, férue de voyages et de découvertes culturelles, Nathalie Lafrie est aussi une citoyenne attentive aux questions du bio et de l’alimentation dans une perspective éthique. Dans la première partie d’un article que publie Mizane.info, l’auteur introduit sa réflexion par une compréhension des ressorts multifactoriels de la consommation.
Tout commence avec un pot de Nutella !
On aspire tous au bonheur…
Pour certains, cela passe par une augmentation de la qualité de vie. Pour d’autres, encore un petit nombre, par vivre une vie de qualité, et pour beaucoup par profiter des petits plaisirs de la vie comme déguster des gourmandises ou un bon plat de viande, s’offrir le dernier Iphone, ou encore accomplir ses rêves, comme construire sa maison ou se rendre à la Mecque. Dans nos sociétés de consommation, le bonheur et notre réalisation personnelle semblent uniquement assujettis à la possession, à l’accès aux biens et à des produits dont on connait à peine l’histoire. Nous aspirons à la facilité et à l’économie de temps : nous sommes dans une culture de l’accumulation, de la course aux richesses et de la rapidité si parfaitement énoncée il y a plus de 1400 ans dans la Révélation reçue par le Prophète Muhammad (pbsl) et par les pieux prédécesseurs. D’ailleurs, le Prophète (sur lui la paix) nous dit : « Si l’être humain avait une vallée pleine d’or, il en voudrait absolument une deuxième… » (rapporté par al-Bukhârî). Ou encore « La richesse ne dépend pas de la quantité de biens. La richesse est que l’âme se suffise (de ce qu’elle a) » (rapporté par Muslim).
Alimentation et hygiène de vie
Une course aux richesses qui élude l’être ou comment corrompre notre fitra (nature primordiale, ndlr). Les récentes émeutes pour faire un stock de Nutella révèlent des problématiques profondes, reflets de besoins non assouvis : besoin de reconnaissance, de sécurité, de considération (sociale en outre). En tant que parents, mais aussi en tant que membre d’une société de plus en plus complexe, dans laquelle les écarts semblent se creuser, acheter 20 produits à 1,41 € (au lieu de 4,70€) représente une économie conséquente à la fin du mois, une aubaine à ne manquer sous aucun prétexte. Nourrir et faire plaisir à nos enfants en pleine croissance et/ou fan de la marque justifient de se ruer sur l’offre savamment préparée par les grandes enseignes.
La question de notre rapport à l’alimentation sous-tend certains déséquilibres émotionnels. Oui, l’alimentation est profondément liée à notre porte-monnaie, notre culture, notre environnement mais également à nos émotions. Peur de manquer, nécessité de compenser, ou encore de satisfaire des envies immédiates, de manière impulsive. Les facteurs sont multiples. Une chose est sûre : nous, musulmans, sommes loin d’être épargnés par ces excès. Le ramadan approchant, nul doute que les affaires s’enflamment. Que ce soit dans le monde musulman et en dehors, force est de constater que la majorité suit le modèle économique dominant en terme d’alimentation, de consommation et de santé. Peut-il en être autrement ? Le résultat pour les musulmans est le même que pour tous les autres – augmentation des maladies cardiaques, obésité, déclin moral, physique, spirituel. Dès lors, comment en sortir ? Avons-nous le choix ? Changer, adopter de nouvelles habitudes est-il vital ? Comment faire face et agir à son rythme ?
Qu’est-ce qui fonde notre rapport à l’alimentation en tant qu’être humain ?
Se nourrir est un acte central, qui revêt plusieurs aspects :
Physiologique : on répond à un besoin primaire : « C’est Lui Qui vous a soumis la terre : parcourez-la en long et en large et mangez ce qu’Il vous a procuré. C’est vers Lui qu’aura lieu la Résurrection » (Sourate La royauté, Verset 15). Aucune personne ni aucun être vivant ne peut survivre sans nourriture, eau, air, habit et gîte.
Culturel : prenons l’exemple de la viande. Tout musulman souhaite faire perdurer la tradition. Une tradition souvent teintée de caractéristiques liées à son éducation et aux habitudes alimentaires des familles. Dans les faits, on entretient une relation singulière avec la viande du fait de notre pays d’origine, France compris. Ne pas servir de viande au quotidien est tout à fait surprenant dans la plupart des familles françaises, qu’elles soient de tradition musulmane ou non.
Il est temps de prendre un peu de recul quant à nos habitudes de consommation, en particulier alimentaires, et de revenir aux sources de ce qui fonde notre spiritualité avec une seule et unique intention : porter un message d’équité et avoir un impact positif au sein de notre environnement fût-il complexe. Être partie prenante d’un cercle vertueux et non devenir victimes de nous-même, tel est le choix qui s’impose à nous
Émotionnel : stress, anxiété, plaisir, réconfort, colère, solitude, inquiétude etc. autant d’émotions qui nous traversent. Lorsque l’on se sent incapable d’accueillir ces émotions, l’aliment physique devient un refuge, un exutoire ou un moyen d’exister. En effet, si l’un des aliments émotionnels comme l’amour ou l’affection fait défaut, l’esprit cherche des canaux pour exprimer son mal-être. La compulsion devant la nourriture, l’inappétence, le besoin de perdre du poids, l’incapacité à en prendre ou tout autre désordre alimentaire sont quelques-uns des canaux que notre psychisme utilise pour nous indiquer que quelque chose ne va pas comme il faut. L’alimentation nous sert de source d’énergie, mais elle peut aussi faire taire des conflits psychologiques que nous ne pouvons pas exprimer.
Politique et économique : s’alimenter ou choisir de ne pas le faire (pensons aux grèves de la faim de nombreux résistants) est un acte éminemment politique. Il l’est d’autant plus que la baisse du pouvoir d’achat, outil de mesure de notre place sociale dans nos systèmes capitalistes, affecte les ménages français, voire européens. A l’heure où le fameux pouvoir d’achat diminue pour bon nombre d’entre nous, il ne nous reste plus qu’à élaborer des stratégies pour diminuer les charges mensuelles. Nombreux sont ceux qui font le choix de changer leurs habitudes de consommation : la consommation de viande en France a globalement diminué certes, pour laisser place à une nette augmentation de la consommation de poulet, moins onéreux. Il est temps de nous questionner sur l’impact global de notre consommation de viande sur le monde et les échanges nord-sud. A ce sujet, le documentaire Cowspiracy est édifiant.
Et…. Spirituel : se nourrir revêt dans nos traditions un caractère sacré. En effet, l’abattage rituel se veut initialement éthique. Tuer une bête n’a rien d’anodin. En abattant un animal, on dispose d’une offrande qui nous relie au divin. En mourant, la bête offre son âme et permet le maintien de la vie sur terre. Dès lors, on peut aussi se demander pourquoi se permet-on de consommer la chair d’animaux générés, élevés et mis à mort dans les conditions d’élevage et d’abattage industriel, estampillés « halal » certes, mais pas « tayyib » (bon, ndlr), alors que le Coran interdit explicitement la consommation d’animaux tués violemment. Et Allah de nous rappeler de manière générale : « Uses des biens que Dieu t’a accordé pour gagner le séjour éternel, sans sacrifier ta part de jouissances de ce monde ! Sois bon envers autrui comme Dieu l’a été envers toi ! Ne souille pas la terre de tes méfaits : Dieu n’aime point les fauteurs de désordre »
Corps, âmes et sociétés se nourrissent d’éthique
L’éthique est le seul aliment nutritionnel de l’âme et du corps. Pour ne pas la sacrifier, il est primordial de revenir à nos sources. La voie du juste milieu est la seule possible en islam ; elle n’est cependant visible et perceptible qu’en changeant de regard sur le monde. Décider de ne pas s’oublier pour œuvrer pour le bien commun nécessite de ne plus agir global et penser local, mais agir localement pour avoir un impact global. Le halal ne concerne pas, dans le secteur agro-alimentaire, uniquement les produits carnés comme il nous plait à le penser. L’éthique s’applique à toute la chaîne de la production à la consommation, en passant par la distribution et la préparation des mets et la considération de notre impact. Nous avons semble-t-il au fil des années tronqué et sous -estimé de considérer le verset du Coran dans son ensemble : halal wa tayyib. (Le licite et le bien)1. Il est temps de prendre un peu de recul quant à nos habitudes de consommation, en particulier alimentaires, et de revenir aux sources de ce qui fonde notre spiritualité avec une seule et unique intention : porter un message d’équité et avoir un impact positif au sein de notre environnement fût-il complexe. Être partie prenante d’un cercle vertueux et non devenir victimes de nous-même, tel est le choix qui s’impose à nous.
Nathalie Lafrie
Notes :
1-« Et mangez de ce que Dieu vous a attribué de licite et de bon. Craignez Dieu, en qui vous avez foi ». (Al-Maaida : 88)
A lire également :
–« Le consumérisme en islam », Ismail Mounir