Dans cette chronique publiée par Mizane.info, Nadim Ghodbane interroge le changement de paradigme qui oriente les décisions françaises en matière de fin de vie.
La dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le président de la République le 9 juin
2024 a empêché le projet de loi sur la fin de vie d’arriver et d’être débattu au Parlement. Cela
nous permet d’attirer l’attention des citoyens sur ce sujet et éventuellement rouvrir le débat.
Il nous paraît très important de nous intéresser à ce débat tant les médias et la classe politique,
dans son ensemble, ont fait montre d’un incontestable et flagrant parti pris allant dans le sens
d’une plus grande audace de la loi afin de légiférer et d’autoriser l’euthanasie active et le suicide
assisté.
Ce n’est pas, comme d’aucun voudrait nous le faire croire, un débat entre éthique et
politique, mais bel et bien un choix fondamentalement idéologique qui est implicite dans cette
proposition de loi.
Les lois votées ces dernières années encadraient très bien cette pratique. Et l’on doit s’étonner
de la remise en question régulière de ces dernières. D’un forcing idéologique en quelque sorte.
Les principaux protagonistes sont les personnes directement concernées, le corps médical et
dans une moindre mesure les familles.
Mais dans ce débat, il y a une grande absente, et de taille. Et cette absente est la société, le collectif, le « nous ». Et que dit la société ? Quelle est la position du collectif ? Et le « nous » aurait-il disparu pour laisser la place au « je » ?
La presse nationale, à plusieurs reprises, fait référence aux travaux de la convention citoyenne
créée et mise en place afin de débattre de la question. Mais par un tour de passe-passe, elle
insinue que c’est sur la base de ces travaux que le débat devra se faire.
Ou plus précisément, il est déjà terminé avec les conclusions de cette convention citoyenne.
Exit donc le débat public. Les assemblées n’auront plus qu’à voter sans sourciller. Cette
convention soulève un problème fondamental : sa légitimité et sa relation avec les institutions
de la République représentative. Et au nom de quoi elle aurait plus d’importance que n’importe
quelles autres institutions.
L’utilisation abusive des sondages, mais surtout la sur-interprétation qu’ils en font, afin d’étayer
le propos des partisans d’une nouvelle loi, devrait à elle seule nous inquiéter.
De telles méthodes se rapprochent dangereusement de la manipulation de l’opinion que du réel
débat démocratique.
Mais la vraie question que cache ce débat est : L’individu a-t-il pris le pas sur le collectif ? Le
choix d’une seule personne s’imposera-t-il au reste de la société ? Comme une société ne peut
mettre fin à la vie d’une personne pour quelques raisons que ce soit, l’abolition de la peine de
mort a été pensée dans cette perspective philosophique.
Aujourd’hui, la société va autoriser la fin de vie d’une personne qui ne serait pas concernée par un pronostic vital en raison d’une pathologie grave et incurable. Il est clairement évident que nous sommes passés d’une conception de la société à une autre. Un signe sans doute de la victoire du transhumanisme. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
C’est aussi le triomphe du libéralisme puisque, dans son acharnement à détruire toutes les solidarités, on en arrive à dévaloriser les plus faibles, les plus vieux, les plus malades d’entre nous. Ils ne seraient plus utiles au marché, à la production, etc.
L’utilitarisme libéral est à son apogée. Mon point de vue, et je ne m’en cache pas, est d’ordre
politique, éthique, mais aussi moral. De désacralisation en désacralisation, le monde est devenu
insignifiant et l’humanité s’est perdue dans le non-sens. C’est bien le constat que nous pouvons
faire aujourd’hui, et particulièrement autour du débat sur la fin de vie.
Nadim Ghodbane, essayiste
Auteur de l’Islam face au défi écologique, Éditions Lazare et Capucine. Dictionnaire du soufisme,
Éditions L’Harmattan. Deuil et Rites funéraires dans l’Islam français Éditions L’Harmattan