Il y a un an, le 29 janvier 2024, Hind Rajab, petite fille palestinienne de six ans, était abattue par un char israélien alors qu’elle se cachait pour se mettre à l’abri. Aujourd’hui, une fondation belge poursuit les criminels de guerre israéliens en son nom et tente de rétablir un semblant de justice. Historique et éclairage du docteur et défenseur des droits de l’homme, David Kattenburg.
C’était une façon épouvantable pour une petite fille de mourir – accroupie à l’arrière d’une voiture criblée de balles, bloquée à un carrefour de Gaza, à quelques mètres d’un char israélien ; sa tante et son oncle morts sur le siège avant ; quatre cousins affalés à côté d’elle ; suppliant de l’aide à un secouriste palestinien à l’autre bout d’une ligne téléphonique.
Puis, en un éclair, elle a été assassinée par un torrent de balles de mitrailleuse. Hind Rajab a été tuée il y a un an aujourd’hui. Elle avait six ans. Aujourd’hui, une fondation créée au nom de Hind cherche à obtenir justice, non seulement pour Hind, mais aussi pour les innombrables Palestiniens tués par Israël en violation du droit international.
8000 éléments de preuve contre les soldats israéliens
La fondation ne s’en prend pas à Israël en tant qu’État, elle adopte une approche différente : elle s’en prend aux soldats israéliens eux-mêmes. Dans un document déposé le 8 octobre auprès de la Cour pénale internationale, à La Haye, la fondation Hind Rajab, basée à Bruxelles, a identifié un millier de soldats israéliens qu’elle estime devoir être poursuivis par la Cour, sur la base de 8000 éléments de preuve, y compris les messages publiés par les soldats eux-mêmes sur les médias sociaux depuis la bande de Gaza.
Parmi les actes dont les recrues et les officiers israéliens se sont vantés sur Facebook, Instagram, Snapchat, TikTok, Telegram et d’autres réseaux de médias sociaux : bombardements aveugles, assassinats ciblés de non-combattants, y compris le personnel médical, les journalistes et les civils brandissant des drapeaux blancs, destruction gratuite de maisons, d’hôpitaux, d’écoles, de marchés et de mosquées, privation forcée de nourriture et pillage.
L’insensibilité avec laquelle les soldats israéliens ont ouvertement et publiquement célébré leurs crimes de guerre, pensant probablement qu’ils resteraient totalement impunis, est précisément ce sur quoi la Fondation Hind Rajab va s’appuyer pour demander des comptes à ces soldats.
Entretien avec l’avocat Haroon Raza
Mondoweiss a parlé du travail de la Fondation Hind Rajab avec son principal avocat, Haroon Raza. Issue du Mouvement du 30 mars, la Fondation surveille les crimes de guerre israéliens à Gaza depuis décembre 2023, avec l’aide d’un réseau de volontaires et d’avocats du monde entier. « C’est la force de notre organisation », a expliqué Haroon Raza à Mondoweiss.
« Nous sommes des milliers. Nous disposons d’un très vaste réseau d’enquêteurs en interne et en externe. Grâce à cela, nous disposons d’une puissance de travail suffisante pour surveiller presque tous ceux qui sont impliqués. »
« Ils ont tous des comptes sur des médias sociaux », a déclaré M. Raza à Mondoweiss, « et beaucoup d’entre eux prenaient des selfies et des photos de groupe, montrant exactement où ils étaient et ce qu’ils faisaient », a-t-il ajouté.
Ces yeux et ces oreilles se concentrent sur les comptes de médias sociaux des soldats qui ont servi à Gaza depuis le début de la guerre d’Israël, il y a quinze mois – une guerre établie par la Cour Internationale de Justice comme génocidaire, il y a un an cette semaine, trois jours avant l’assassinat brutal de Hind Rajab. Outre les vidéos et les photos incriminées, la Fondation documente les dates, les heures et les lieux précis à Gaza, en les recoupant avec d’autres messages postés par les mêmes soldats.
Internet n’oublie rien
Grâce au travail de la Fondation Hind Rajab, les chefs militaires israéliens ont ordonné aux soldats de cesser de se vanter de leurs crimes, craignant qu’ils ne soient détenus ou poursuivis lors de leurs déplacements à l’étranger.
« Les dirigeants des forces armées ne leur ont pas demandé de cesser de commettre des crimes de guerre… Ils leur ont juste demandé de ne pas [s’en vanter] », a déclaré Haroon Raza à Mondoweiss. « Ils leur ont demandé de cesser de publier ce qu’ils faisaient. Cela prouve l’intention. Cela prouve qu’ils savent ce que leurs soldats, hommes et femmes, ont fait. ».
« Il est intéressant de les voir tout effacer », explique M. Raza, « Mais ils oublient que l’internet a une longue mémoire et que nous avons eu assez de temps. ». « Tout ce que nous avons à faire, c’est de déposer une plainte sur la base des preuves que nous pouvons voir et entendre dans les images animées comme dans les images fixes. » a encore expliqué M. Raza à Mondoweiss.
Parmi le millier de soldats cités dans la plainte de la Fondation Hind Rajab devant la CPI, on trouve un grand nombre d’officiers et de commandants, dont trente-trois personnes ayant la double nationalité israélienne et étrangère, une douzaine de Français et d’Américains, quatre Canadiens, trois Britanniques et deux Néerlandais.
Déjà plusieurs tentatives d’arrestation
La Fondation a transmis sa liste de soldats israéliens à dix pays différents dans lesquels les soldats israéliens se sentent chez eux, ou dans lesquels ils ont tendance à se rendre une fois leur service militaire terminé, pour se reposer [de leurs crimes] et se réadapter, et ces pays exercent une juridiction universelle sur les crimes internationaux les plus graves.
« Tout ce que nous avons à faire, c’est de vérifier la région dans laquelle ils se trouvent, de vérifier quel est le type de vol le plus populaire et de déposer une plainte. » explique M. Raza. Des plaintes ont été déposées en Autriche, en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Suède, en Thaïlande et en Équateur.
Plusieurs tentatives d’arrestation, au Brésil et en Argentine, n’ont pas abouti, les soldats ayant été prévenus et ayant pris la fuite. Selon M. Raza, une arrestation réussie n’est qu’une question de temps. La Fondation s’attaque également aux complices et aux incitateurs des crimes de guerre israéliens.
Parmi eux, les supporters de l’équipe de football Maccabi Tel Aviv qui ont provoqué des émeutes à Amsterdam l’automne dernier, et un rabbin/soldat de la brigade israélienne Givati qui s’est vanté d’avoir détruit des quartiers entiers de Gaza et s’est félicité de l’assassinat de civils palestiniens.
« Nous ne nous reposerons pas jusqu’à notre dernier jour »
« Nous sommes sur leur dos. Nous les suivons à la trace. S’ils touchent un pays doté d’une juridiction universelle ou un pays enclin à engager des poursuites, nous nous jetterons légalement sur eux. » Le tireur du char israélien responsable du meurtre cruel de Hind Rajab sera-t-il traduit en justice ? Haroon Raza en est persuadé.
« Je vais vous dire pourquoi. Lorsqu’il existe une compétence universelle, en particulier pour les crimes de guerre ou les crimes contre l’humanité, il n’y a normalement pas de prescription dans la législation nationale. Cela signifie que, même si nous découvrons les faits après vingt ans, comme l’a fait Simon Wiesenthal, nous pouvons toujours les poursuivre…».
« Ce qui signifie que, tout comme [Simon Wiesenthal] l’a fait … en ce qui concerne la Shoah et l’Holocauste, il a fait preuve de patience et de persévérance, et il en va de même pour nous. Nous avons pris un engagement envers nous-mêmes et envers les autres : nous ne nous reposerons pas jusqu’à notre dernier jour, jusqu’à ce que nous ayons atteint tout le monde ! »
La Fondation Hind Rajab accueille des organisateurs bénévoles, des experts en médias sociaux et surtout des avocats.
David Kattenburg
Journaliste, défenseur des droits de l’homme et éducateur scientifique aux Pays-Bas.