Le gouvernement l’avait promis : une nouvelle instance, le Forum de l’islam de France (Forif), a été inaugurée à travers une 1ere réunion de travail sur le statut de l’imam. Qui y a participé ? Quelles mesures ont été actées ? Mizane.info vous en dit plus.
Depuis la déclaration de décès du Conseil français du culte musulman annoncée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, l’attention (et la tension) étaient perceptibles. L’annonce du lancement du Forum de l’islam de France, prévue officiellement fin janvier/début février, n’a fait que précipiter le suspens.
D’après une information de Mizane.info, une première réunion de travail a été organisée en ligne mercredi 5 janvier sur la question du statut et de la formation de l’imam. Sous la houlette de Mariam Dembélé, cheffe du pôle islam au Bureau central des cultes, des échanges ont permis à de nombreux acteurs de terrains de partager leur expérience.
Un état des lieux jugé indispensable avant la propositions d’actions concrètes destinées à résoudre cet épineux serpent de mer de l’islam français qu’est le statut de l’imam.
Quels sont les participants au Forum de l’islam de France ?
D’après les témoignages de plusieurs participants qui se sont confiés à Mizane.info, cette première réunion a tranché par son efficacité et son ouverture d’esprit.
Des quatre coins de France, (Paris, Avignon, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Marseille) des imams, enseignants, recteurs de mosquées, acteurs de terrains et chercheurs ont été sollicités pour dresser un état des lieux. « Beaucoup de créativité », de « l’écoute », de la « diversité » : tels sont les commentaires qui ressortent de cette première réunion de travail.
Abdelwadoud Gouraud (Institut des Hautes Etudes Islamiques), Azzedine Gaci (recteur de la mosquée Othmane de Villeurbanne), Omero Marongiu-Perria (sociologue, connaisseur des dynamiques de l’islam), Mohamed al Mehdi Krabch (aumônier), Kalilou Sylla (imam à la Grande Mosquée de Strasbourg), Hatem abou abdallah (institut al Ghazali), Abdelghani Ben Ali (mosquée de Saint-Ouen), M. Ba (Conseil national des imams), Lina Oubrou sont quelques-unes des personnes parmi d’autres, qui y ont participé.
Des partages d’expériences, des témoignages sur la réalité de l’imamat local, sur les difficultés, les carences et les problèmes récurrents de l’islam ont été dressés et un accord général sur ce constat a été acté.
Une responsable de l’islam à Mayotte a fait valoir les réalités locales de son exercice, évoquant son retour d’expérience dans une île qui compte 350 imams et plusieurs cadis dont le rôle de médiation a été souligné.
Azzedine Gaci : « Dans le Rhône, 80 % des imams en place n’ont jamais eu de formation »
Azzedine Gaci estime pour sa part que la dynamique part sur de bonnes bases. « C’était très enrichissant. Le bureau central des cultes a été très correct. Chacun a parlé de son expérience en tant qu’imam ou acteur de terrain, avec deux questions essentielles : la formation de l’imam et le statut de l’imam. Le statut de l’imam est une feuille blanche qu’il va falloir remplir avec des propositions. C’est le moment de faire ces propositions pour obtenir un statut de l’imam », a-t-il confié à Mizane.info.
Lui-même a mis en avant les problématiques rencontrées dans le Rhône, et la faiblesse de la qualification du personnel religieux.
« Dans le Rhône, 80 % des imams en place n’ont jamais eu de formation théologique. Nombreux sont ceux qui parmi eux s’avèrent incapables de répondre aux questions que posent la réalité, et même quand ils le voudraient ils ne le peuvent pas. La plupart ne peuvent pas produire une pensée religieuse en adéquation avec notre société. Une pensée capable d’offrir une alternative aux lectures littérales de l’islam. »
Pour tenter de remédier à ce problème le Conseil théologique du Rhône a lancé une formation depuis un an.
« Sur la cinquantaine d’imams que nous suivons au sein du Conseil théologique du Rhône, seuls 5 ou 6 ont réellement reçu une formation à la Zitouna (Tunisie), à Médine ou à l’université Abdelkader en Algérie. Nous avons initié cette année une formation continue aux imams n’ayant jamais eu aucune formation. Une formation de 16h par mois sur deux jours (samedi et dimanche). Sur deux années, cela ne fait pas loin de 400 heures de formation, en plus des séminaires. »
Kalilou Sylla : « On veut des imams qui soient à la hauteur de la fonction et en phase avec le contexte »
Kalilou Sylla, imam à la Grande mosquée de Strasbourg a été formé à l’Institut de formation des imams Mohammed V au Maroc. S’il est ouvert à toutes les bonnes initiatives, il regrette la multiplication des projets et la dispersion des acteurs, comme il s’en est confié à Mizane.info.
« Il faut rester ouvert à toutes les bonnes initiatives et y prendre part pour qu’elles aboutissent avec ses compétences et ses compétences. On peut certes s’interroger sur le nombre de ces initiatives (CFCM, Conseil national des imams, Forif, ndlr), avec le sentiment parfois d’une dispersion quand il faut aller dans la même direction. Et des répétitions, puisque les constats qui ont été faits, et qui sont très justes, sont déjà connus. Maintenant, pour avoir des choses concrètes, il faut discuter. Nous gardons l’espoir que des prises d’initiatives d’acteurs musulmans se fassent et profitent de ce déclic de l’Etat. »
Pour M. Sylla, la priorité là encore reste le statut et la formation de l’imam. « Il y a un gros travail à faire sur le plan de la communication pour certains imams qui ne parlent pas français et dont les discours n’attirent pas les jeunes. On veut des imams qui soient à la hauteur de la fonction et qui soient en phase avec le contexte de notre société. Ils doivent garantir des connaissances religieuses au niveau de la ‘aqida (dogme) et porter un discours qui soit adapté, sans complexe, mais adapté. »
L’imam de Strasbourg estime néanmoins que tout ne doit pas venir des autorités. Un travail interne des musulmans est plus que nécessaire.
« La communauté musulmane doit se serrer les coudes pour proposer des choses qui soient à la hauteur. Quand on pense au travail de l’imam, on pense aux prières quotidiennes, à la jumu’a, mais on oublie tout le travail d’accompagnement et de soutien psychologique des fidèles, les mariages, les divorces, etc. Il y a enfin un travail à faire en profondeur à propos des avis qui ne sont plus applicables et sur des questions qui ne se posaient pas auparavant. »
Abdelwadoud Gouraud : « Développer l’aspect spirituel de la relation à Dieu »
Membre de l’Institut des Hautes Etudes Islamiques, Abdelwadoud Gouraud partage le constat de la pauvreté des prêches.
« Ce n’est plus normal que les prêches dans certaines mosquées ne soient faits qu’en arabe encore aujourd’hui. » Mais il met en garde contre la centralisation de l’islam autour de la fonction d’imam et craint une cléricalisation accentuée de l’islam.
« Ne faisons pas de l’imam la seule figure de l’islam pour éviter une cléricalisation à outrance et faire peser sur les épaules de l’imam une trop forte responsabilité. Il ne faut pas non plus insister trop sur l’aspect technique de la formation de l’imam. L’imam qui dirige seulement les prières n’a pas forcément besoin de maîtriser tout un arsenal de connaissances juridiques. Il lui faut par contre connaître la pratique de la prière et développer l’aspect spirituel de la relation à Dieu. La dimension de la représentation publique de l’imam doit aussi être prise en compte, puisqu’il est l’interlocuteur local du maire ou du préfet », a-t-il déclaré à notre rédaction.
La volonté d’ouvrir l’islam de France à la diversité en invitant des représentants de l’islam chiite et de l’islam libéral a marqué une autre différence d’approche et de méthode avec les anciennes réunions du Bureau central des cultes.
Selon une source proche de ce dossier, l’une des difficultés concernant le statut de l’imam sera de faire coïncider le cadre de l’association loi 1905, qui ne permet pas de financer des postes, avec la volonté de l’exécutif de faire de ce cadre un passage obligé pour les mosquées. Autre interrogation : la capacité d’une équipe hétéroclite dont tous les membres ne se connaissent pas de travailler rapidement et efficacement dans un délai court, étant donné l’annonce gouvernementale.
Le volet des propositions concrètes sera certainement l’objet de la prochaine réunion prévue la semaine prochaine. Outre la commission sur l’imam, trois autres commissions avec des réunions de travail ont été prévues. La commission aumônerie, la commission protection des lieux de culte et attaques anti-musulmanes, et une commission sur le volet législatif à mi-chemin entre l’application de la loi confortant les principes républicains et l’esprit de la charte des principes de l’islam. Affaire à suivre…
Fouad Bahri