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Fouad Bahri : sur les traces de l’Éden

Fouad Bahri : sur les traces de l’Éden Mizane.info

Comment retrouver notre capacité d’action perdue ? Quelles sont les étapes à franchir pour marcher sur les traces de l’Eden perdu ? Les aphorismes 231 et 232 du livre « Le combat de l’esprit » (Albouraq) publié par l’écrivain et éditorialiste Fouad Bahri, offre quelques pistes de réponses à lire sur Mizane.info.

Au moment où nous assistons au grand effondrement de la civilisation de l’Homme prométhéen, ce prélude fatal au grand effondrement final, écologique, apocalypse que les religions n’ont même plus le privilège d’annoncer en exclusivité, une question se doit d’être soulevée : comment l’Homme pourrait-il retrouver sa capacité d’action et l’arracher des mains d’un redoutable système marchand qui la lui a dérobée ? Cette question, qui devrait être sur toutes les lèvres, a été, semble-t-il, oubliée et comme évaporée par la chaleur ambiante du climat de désolation fiévreuse qui mine les esprits.

Cette problématique est pourtant le préalable à toute interrogation salvatrice, à toute réflexion sérieuse qui entreprendrait de saisir le taureau de la destruction moderniste par les cornes. L’Homme est donc devenu au terme d’un processus historique initié depuis la Renaissance cet Autre que lui-même, une ombre brisée par toutes les idéologies qui avaient juré leurs grands dieux qu’elles le libèreraient de toutes formes d’aliénations. Tristes topiques.

Une stratégie diabolique

Le système marchand a bâti son emprise sur la dépossession méthodique des Hommes de toute possibilité de sursaut, de résistance, de libération. Sa méthode fut incroyablement diabolique. Renforcer les mécanismes d’isolement urbains, convertir l’individualisme politique des États modernes en une hyper-individualisation des rapports sociaux, démanteler les familles à la racine par l’éloignement géographique, par la fracture sociale d’un habitat pleinement accessible aux seules couches aisées ; atomiser les esprits, diviser pour mieux régner en favorisant la lutte de chacun contre chacun, de l’autochtone contre le national, du national contre l’étranger, de la femme contre l’homme ;

éloigner les hommes de tout ressourcement naturel, de tout contact régénérateur avec la nature, de toute communion divine avec les fleurs, les arbres, les collines et les fleuves, de tout sacrement dans le Temple de la création divine ; produire, par la diffusion de programmes médiatiques hautement régressifs, l’abrutissement des masses et leur désamorçage moral, en leur ôtant jusqu’à la plus petite bribe de conscience susceptible de leur permettre une envolée salutaire ; créer toutes les conditions d’un contrôle social par le cloisonnement des êtres humains, le renforcement de leur narcissisme ; prévenir radicalement toute forme de dynamique collective à même de reprendre le pouvoir ; distraire, par l’économie marchande et la diffusion de masse médiatique dont elle dispose, la société grâce à toutes sortes d’inventions technologiques aussi dangereuses qu’inutiles.

Le ventre de l’Ennemi primordial

Privé de conscience morale, de connaissance, de ressources familiales et humaines, asservi socialement par toutes sortes d’entités parasitaires, bancaires et financières, qui ont pris le contrôle économique et politique, l’Homme du XXIe siècle ne sait plus comment agir et reprendre le contrôle de son destin. Le désespoir et le nihilisme lui font face, renforçant le règne de l’Imposteur, alimentant de toutes ces forces le ventre de l’Ennemi primordial. Ce sombre tableau que l’époque offre à tout observateur avisé ne doit pourtant pas nous détourner de notre tâche.

Pour conserver l’espoir de trouver la réponse susceptible de nous libérer de cet asservissement et de nous permettre de recouvrer notre capacité d’action, nous devrons analyser préalablement ce tableau, le décortiquer minutieusement, en saisir les articulations subtiles, y déceler toutes les illusions entretenues, tous les mensonges revêtus d’idéaux, afin de comprendre comment une poignée d’hommes a pu précipiter le genre humain droit dans la gueule béante d’un Enfer social qui lui fut vendu sous les traits de l’Éden.

Privilégier la qualité sur la quantité

La survie, si tant est qu’elle soit encore possible, appelle l’humilité. Nous n’avons pas fini, disions-nous, de payer le prix de l’arrogance de l’Homme prométhéen. Une intuition de bon sens nous conduirait à penser que la solution consisterait à inverser le processus qui nous a conduits vers l’abîme, d’un point de vue, à l’évidence, non pas chronologique, mais axiologique. Réunir les hommes là où ils se sont divisés, favoriser le dialogue là où règne le mutisme de l’indifférence et où prospère le terreau de la haine. Construire une action ancrée dans le réel, une action locale, modeste, minime, mais régulière. Associer les autres au succès de l’œuvre accomplie, encourager sa diffusion. Renoncer définitivement aux actions de masse, mais privilégier les interactions de masse. Une interaction de masse étant la rencontre naturelle et nécessaire entre l’action menée par un groupe ou par une structure contre un système aliénant, et la population locale.

L’action se doit d’être qualitative et ne plus se projeter quantitativement. Le quantitatif est une déperdition progressive du qualitatif et seul ce dernier peut entraîner des changements positifs de nature. La tension, l’interaction et la dialectique entre tenue entre une action qualitative d’élite (au sens moral, intellectuel et spirituel) et l’écho qui lui est assuré par la population dans un contexte favorable sont un facteur de changement qualitatif. La portée édificatrice, inspirante et instituante de telles expériences, est de nature à contrebalancer la déresponsabilisation des hommes dont l’insouciance stérile n’a fait que nourrir les desseins de la Bête.

La responsabilité vicariale de l’Homme

Prendre conscience de sa responsabilité personnelle, se rendre digne des conditions de la vocation vicariale est une autre étape inhérente à l’esprit de la restauration. Ne plus laisser aux autres le soin de décider de son existence, renoncer à déléguer toute forme de liberté ou à conditionner l’exercice de ses droits fondamentaux à une quelconque puissance usurpatrice de la Divinité, qu’elle soit politique ou économique, nous permettra de tracer la ligne de démarcation entre la modernité agonisante et la vérité immémoriale de l’être, en contribuant de manière décisive au rétablissement de la nature primordiale de l’Homme. L’exercice de la pensée, de la méditation, l’approfondissement de la réflexion en toutes choses, l’acte solennel qui consiste à lever les yeux du cœur aussi loin où leur regard nous mène sont les jalons nécessaires de cette reconquête de soi qui implique en premier lieu de se purifier de l’emprise égotique, de l’ambition, de l’orgueil, de la vanité et de toutes les bassesses où nous conduisent les illusions générées par notre suffisance.

Sans ce travail sur l’âme, la servitude trouvera en nous les germes de sa permanente reconduite. Éducation spirituelle et effort intellectuel sont ces deux ailes qui peuvent offrir à l’Homme le précieux espoir d’un arrachement à tous les marécages brumeux où prend source notre vanité. Sans ancrage de la foi, sans quête personnelle de Dieu, l’Homme renonce à la Lumière et sans lumière, il n’est définitivement pas de salut possible. En se condamnant à errer misérablement dans l’obscurité, prisonnier du désaveu qu’il a lui-même bâti, l’Homme prométhéen a régressé jusqu’au stade déchu de la nature démoniaque, au point d’en embrasser la forme et d’en revêtir la peau. Dans ce face-à-face pénible avec lui-même, c’est une autre tunique qu’endossera l’Homme de foi, une tunique à la texture bigarrée faite d’actions, de pensées et d’amour.

Fouad Bahri

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