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François Clavairoly : «Nous sommes en tant que protestants opposés à une laïcité de neutralisation religieuse»

François Clavairoly. Crédit : Claude TRUONG-NGOC

François Clavairoly est pasteur et président de la Fédération protestante de France. Dans un entretien exclusif accordé à Mizane.info, il partage avec nous la réaction des protestants après le vote de la loi confortant les principes républicains ou loi dite contre le séparatisme. Entretien.

Mizane.info : Comment les protestants ont-ils reçu ce texte de loi confortant les principes républicains, dites aussi loi contre le séparatisme ?

François Clavairoly : D’une part, nous avons du mal à comprendre quelle est la ou les définitions du séparatisme. Dans les objets de ce projet de loi, il semble bien que les députés eux-mêmes aient eu un peu de mal à discerner ce que recouvrait vraiment ce terme et l’objet de ce texte. Il y a quant aux objectifs quelque chose d’assez difficile à définir. Derrière ce terme de séparatisme, il s’agit semble-t-il de définir les projets politiques et sociaux mettant en cause les principes de la République. Par exemple, les discours de haine, les mises en cause de l’égalité homme-femme, la volonté d’éduquer les enfants en dehors du système scolaire et de diffuser des valeurs qui ne sont pas celles de la République. Mais le projet de loi ne touche ces sujets que de façon très latérale. Il y a certes la condamnation des discours de haine et la protection des agents publics et c’est très bien. Mais on a une loi de seconde main car il existe déjà beaucoup de dispositifs juridiques permettant de lutter contre ces séparatismes.

Comment expliquez-vous alors que le Législateur refasse une loi puisqu’il existe déjà d’autres dispositifs ?

Par une volonté de ne pas rester inactif. Il se trouve que le contexte est tragique en France. Il y a eu des attentats, l’assassinat horrible de Samuel Paty, l’attentat dans une église de Nice.

Cette loi est donc une réponse à l’assassinat de Samuel Paty ?

Non, ce n’est pas une réponse à cet assassinat mais cette loi s’inscrit dans ce contexte tragique. Le problème est que pour les associations générales et les associations religieuses en particulier, les mesures prévues sont, selon l’avis du Conseil d’Etat, superfétatoires, redondantes, et mettent en cause la liberté d’association par des mesures contraignantes.

Sure l’enseignement à domicile, sur la possibilité de filmer les interventions policières ou sur le fonctionnement des associations, le texte de loi est nettement perçu comme un texte liberticide. Partagez-vous cet avis ?

Sur les associations religieuses et la loi 1901, nous avons pu obtenir que l’obligation de la sauvegarde de l’ordre public soit transformée en respect des principes de sécurité, ce qui est plutôt positif. Ce n’est pas le rôle des associations loi 1901 de sauvegarder l’ordre public mais celui des forces de l’ordre, de la police, de l’armée et de la justice. Ceci dit, étant donné que nous sommes dans le renforcement des principes républicains, nous pourrions carrément espérer que la mesure disparaisse car cette mission ne relève pas des associations. A propos des associations cultuelles loi 1905, qui concerne 4000 associations, la plupart de ces associations sont protestantes, les autres sont juives. Ce que nous disons est : comment se fait-il que ces associations qui sont depuis 1905 respectueuses des principes de la République soient l’objet de ces mesures ? C’est une question qui n’a pas trouvé de réponse puisque le texte prévoit une accumulation de mesures de contrôles de la vie associative.

Vous voulez dire que ces mesures concernent plus particulièrement les musulmans ?

Non du tout, ce que je veux dire est que les musulmans n’utilisent pas les association loi 1905 et ne sont donc que peu concernés par les dispositifs prévus par la loi. D’ailleurs, le second aspect de la loi est de rendre attractif la loi 1905 pour que l’islam puisse s’y inscrire, ce que nous souhaitons tous. Sauf que l’accumulation de ces dispositifs n’encourage pas le partenaire musulman à l’adopter.

Certains acteurs du culte musulmans ont rappelé que la question de l’extrémisme religieux et du passage à l’acte violent se passaient sur internet et ne concernait pas les lieux de culte. Ils estiment que cette loi est une mauvaise réponse à un vrai sujet.

Ce que nous disons, nous, c’est que la lutte contre l’extrémisme violent se réclamant de l’islam doit se faire sur plusieurs niveaux. Il y a le volet militaire avec l’opération Barkhane (opération militaire française visant les groupes Ansar Dine et AQMI, au Sahel). Le volet des réseaux sociaux où cette idéologie se répand. Le volet de l’enseignement des cadres musulmans pour que le discours dans les mosquées et les lieux de vie musulmans soit conscient des enjeux théologique et politique de ce danger. Enfin, l’encadrement législatif du culte musulman pour rendre attractif le passage à la loi 1905. Cela fait beaucoup et sur ce dernier point la loi confortant les principes républicains n’atteint pas son objectif. Mes partenaires musulmans m’ont dit à plusieurs reprises que cette accumulation de contrôle et de contrainte ne va pas les encourager. La question suivante se pose : ne faudrait-il pas faire un statut sur mesure pour l’islam comme cela a été fait pour l’Eglise catholique ? Lorsque Rome a refusé la loi 1905, la République a créé le statut de l’association diocésaine. L’évêque n’est pas élu par ses pairs mais nommé par Rome. Etant donné que le président de l’association loi 1905 est élu par les membres de l’association, cela ne pouvait pas fonctionner. La République a su s’adapter au culte catholique. De nos jours, la question est d’adapter la loi de 1905 au culte musulman.

Les musulmans demandent le contraire. Ils réclament l’application stricte de la loi de 1905 et que l’Etat ne sorte pas de sa neutralité laïque pour s’ingérer dans les affaires du culte musulman, comme cela a été dénoncé à propos de la charte des principes de l’islam de France…

Je dirais qu’il est normal que la puissance publique veille à ce que tous les cultes trouvent leur place dans un cadre juridique stable. C’est le rôle de l’Etat, on ne peut le lui enlever. La loi de 1905 répondait à cette demande afin que tous les cultes puissent exister. Il s’agit bien de la séparation des Eglises et de l’Etat et non de l’Eglise seulement. A cette époque, l’islam n’était pas concerné par le débat. Aujourd’hui, l’islam est un acteur cultuel important. L’objectif de la loi confortant les principes républicains était d’encourager les associations musulmanes à passer du statut de loi 1901 à 1905. Si elles le font, tant mieux. Mais le dispositif étant peu attrayant et plutôt contraignant, je ne sais pas si elles le feront. La charte est-elle une intrusion de l’Etat dans les affaires de l’islam ? Je dirais oui et non. Je ne trouve qu’il n’est pas mauvais pour les cadres musulmans que l’islam s’organise.

Oui, mais la charte ne parle pas d’organisation. La critique qui lui est faite est de reprendre des principes et des règles, déjà présents dans la loi et la Constitution française, dans une charte s’adressant aux imams. Ses opposants estiment que la charte insinue que les musulmans ne respecteraient pas les principes républicains, ce qu’ils jugent calomnieux et discriminatoire.

Je sais très bien qu’il est difficile d’accueillir cette charte et ces références, alors qu’il n’est pas demandé aux prêtres, aux pasteurs ou aux rabbins la même chose. J’entends cette critique sur le caractère spécifique de la charte. Mais d’un autre côté, il y a aussi une attente en interne des musulmans eux-mêmes d’une meilleure organisation et représentation de l’islam. Aujourd’hui, nous disposons du CFCM qui est représentatif dans une certaine mesure, mais avec ses insuffisances. Il n’est pas doté ni suffisamment structuré. Et nous n’avons pas d’alternative à ce jour. S’il y avait une autre solution, nous en serions tous heureux. Soit on joue le jeu de construire pas à pas une représentation de l’islam dans tous les domaines de l’organisation juridique, la formation des cadres et la transparence financière. Soit on reste dans l’attente d’une solution miracle. Mais il n’y aura pas de solution miracle. Je pense que comme ce fut le cas pour le protestantisme, il y aura un apprentissage de la mise en œuvre progressive d’une organisation interne de l’islam. Avec comme difficulté principale, la diversité non pas théologique mais politique de l’arrière-pays, ce qu’on appelle l’inter-lands, avec l’Algérie, le Maroc, la Turquie. Il revient à l’Etat de prendre des mesures car sur ce point précis on sort du champ religieux. Il est du rôle politique de l’Etat de veiller à ce que ce lien politique avec les pays étrangers soit clarifié. On va, si j’ai bien compris, vers la fin de l’islam consulaire et la fin des imams formés dans des pays étrangers. La seconde question étant : comment former des imams en France afin que leur formation soit agréée et reconnue ?

Les musulmans évoquent souvent le problème de l’absence de statut des imams qui ne bénéficient pas de cadre statutaire, de sécurité sociale, de droits à des indemnités en cas de mise à l’écart. Y a-t-il, à titre de comparaison, un statut des pasteurs ?

La loi de 1905 permet cela. Un candidat à la mission de pasteur reçoit une formation théologique de type académique (4 ou 5 ans sur le modèle d’un master), qui peut être reçue dans différents instituts, une faculté théologique d’Etat comme à Strasbourg par exemple, ou un institut privé comme à Paris, Montpellier ou ailleurs. Il se présente ensuite devant son église où il est mis en probation durant deux ans, au terme desquels son master sera reconnu. Le pasteur est ordonné ou consacré et mis à la disposition des différentes paroisses ou églises locales. Ce processus de validation académique pastorale est reconnu par l’ensemble de l’église protestante. Je pense que l’islam pourrait aussi entrer de son côté dans cette démarche avec un système spécifique de validation d’une formation standard effectuée dans des centres académiques et reconnue comme telle. Si le candidat a les qualités intellectuelles, pastorales et de direction, il peut être envoyé dans une communauté ici ou là.

Qui rémunèrent les pasteurs ?

Les pasteurs sont rémunérés soit par les églises locales, soit la plupart du temps par des rémunérations mutualisées à l’échelle régionale. Dans la région lyonnaise par exemple les paroisses ont une caisse commune qui leur permet de rémunérer les pasteurs en prélevant une partie des dons faits par les fidèles. Cela permet d’assurer une rémunération correcte, pour leur permettre de vivre, et une rémunération plus ou moins égale entre les pasteurs car vous imaginez qu’être pasteur dans le huitième arrondissement parisien ou au fin fond des Cévennes ne vous met pas face au même public et aux mêmes moyens. Les pasteurs sont aussi logés et domiciliés, ils sont souvent mariés et ont des enfants, comme pour les imams.

La fonction canonique de l’imam est exigeante. Elle implique la direction de l’office de cinq prières quotidiennes, celle de la prière du vendredi (jumu’a), des discours et de l’enseignement, en plus du fait de recevoir les fidèles pour répondre à leurs questions. Qu’en est-il du ministère du pasteur. On sait qu’il y a le temps fort de la messe du dimanche…

Oui bien sûr. Il y a également des réunions pour le catéchisme, des visites auprès des paroissiens ou sur rendez-vous pour les recevoir, des conférences. Il a aussi un engagement dans les associations, dans la société civile. Ce double engagement paroissial et civil est une mission à temps complet. La messe est un moment fort le dimanche. La prédication est très importante dans le protestantisme. C’est le moment où le pasteur monte en chaire, un peu comme l’imam sur le minbar, pour enseigner à sa communauté. Avec internet, les discours ont une audience plus importante et touche davantage de fidèles.

On constate un net durcissement de la notion de laïcité en France, qu’on appelle souvent laïcisme. Olivier Roy disait que la laïcité était devenue une politique d’éviction du religieux de la place publique. La République n’a-t-elle pas finalement un problème avec les religions ?

Comme je l’ai déjà dit ailleurs, la laïcité a oublié ses racines théologiques chrétiennes. Le protestantisme a été co-producteur de cette laïcité et a toujours œuvré pour la séparation des Eglises et de l’Etat. Le président de la commission des lois en 1905 était un protestant, Ferdinand Buisson. Les protestants sont des militants de la laïcité et d’une certaine manière nous sommes des chrétiens laïques. Olivier Roy que je connais bien dit des choses assez justes même s’il les dit parfois de manière carré. Il est vrai que la laïcité est en train d’être comprise comme n’étant non plus un principe politique et juridique mais comme une valeur avec la possibilité d’être instrumentalisée sous une forme idéologique par certains qui voudraient neutraliser religieusement la société. Nous sommes en tant que protestants très opposés à une laïcité de neutralisation religieuse de la société parce que nous avons la mémoire longue. Les protestants savent ce que cela veut dire lorsqu’on veut éradiquer le religieux d’une société. Nous l’avons payé au prix fort et nous ne voulons pas revoir cela. De la même manière, nous réaffirmons qu’au cœur de la culture, il y a le culte. Le culte est une ressource très importante dans une société car le culte permet de faire une place à l’autre. Le culte cultive un espace pour que l’autre, différent, puisse exister. Si le culte disparaît, l’espace est saturé politiquement. C’est le politique qui l’emporte et la spiritualité est exculturée. Cette exculturation du christianisme est un mouvement que nous redoutons car une société qui s’émancipe de ses principes spirituels court de gros risques.

Face à cette sécularisation accompagnée d’un laïcisme de neutralisation du fait religieux, les religions n’ont-elles pas un mot commun à dire et de concert ?

Il faut être très prudent sur la façon dont les cultes doivent porter une parole commune et participer au débat car il ne faudrait pas imaginer qu’il y ait une sorte de front des religions qui se dresserait contre une méchante sécularisation. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il s’agit de faire entendre sa voix et son discours dans un dialogue républicain et non dans une confrontation pour l’obtention d’un pouvoir. Ce n’est pas cette perspective que nous défendons. Je vous annonce d’ailleurs qu’au mois de mars, catholiques, protestants et orthodoxes vont publier un texte commun sur ce projet de loi confortant les principes républicains. Nous ne ferons pas de texte interreligieux avec les musulmans, les bouddhistes, etc. Il s’agira d’un texte œcuménique qui exprimera exactement le sens de votre question ainsi que notre attachement à la laïcité et notre inquiétude sur les risques portés contre le vivre-ensemble.

Ne pensez-vous pas au contraire qu’une initiative interreligieuse de cet ordre serait plus proche de l’esprit laïque qu’au sein d’une seule cléricature religieuse ?

Nous le pensons en effet mais cela est difficile à mettre en place pour le moment. Nous sommes très attachés au dialogue interreligieux, c’est l’un des engagements de mon ministère depuis de longues années. Faire entendre la voix des spiritualités ou des transcendances, la fraternité horizontale ou verticale, citoyenne et croyante, est quelque chose d’important. Nous ne voulons pas donner l’impression qu’un lobby interreligieux se constitue mais plutôt prendre toute notre place dans le débat public en disant au pouvoir administratif : attention, à travers une politique tatillonne de contrôle, de ne pas remettre en cause une liberté fondamentale qui est la liberté de culte.

A propos du dialogue islamo-chrétien, on voit souvent ce dialogue être organisé entre catholiques et musulmans. Qu’en est-il du dialogue islamo-protestant ?

Les protestants étant moins nombreux que les catholiques, il est naturel qu’on entende moins parler du dialogue islamo-protestant. Nous avons à la Fédération protestante de France une commission islam qui travaille sur ces sujets-là. Le pasteur Lacoste, qui a vécu au Liban, en est le président. Nous avons des rencontres à la fois locales, dans les paroisses et mosquées, et au niveau national. La commission islam a produit il y a quelques années un texte sur les mariages mixtes protestants-musulmans, par exemple. Un autre texte sur l’action sociale protestante et l’accueil de personnes de confession musulmane est en préparation.

Et le faire-ensemble ? Pourquoi ne pas mutualiser des moyens entre associations humanitaires et dans la poursuite de buts humanitaires communs ?

C’est l’horizon. On en prend conscience. Mettre en commun nos moyens au services des mêmes valeurs protestantes et islamiques. Nous sommes en définitive et en humanité frères et sœurs d’un même père. Il y a des convergences. Maintenant il y a l’idéal et le réel. J’en profite pour rendre grâce à tous les amis musulmans avec qui je travaille depuis des années et qui sont dans cette même perspective de collaboration et de cogestion de la parole religieuse dans le pays. En espérant que nous entrions dans des projets concrets de collaboration sur les plans humanitaires, éducatifs. Je souhaite vraiment que l’islam trouve sa place dans ce pays. Je souhaite qu’il traverse cette crise affreuse, qui le met en cause et dont il doit à chaque fois se départir, ce qui est psychologiquement éprouvant, avec sagesse.

Propos recueillis par la rédaction

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