Ghaleb Bencheikh est le président de la Fondation de l’Islam de France.
Le président de la Fondation de l’Islam de France, Ghaleb Bencheikh, tenait une conférence de presse interactive mercredi 10 février pour dresser un bilan d’étape des actions de la FIF et de ses projets. Mizane.info a suivi cette conférence. Compte-rendu.
Fondée en 2016 par l’ancien ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, présidée pour son premier mandat par un autre ex-ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, puis par l’actuel président Ghaleb Bencheikh, la Fondation de l’Islam de France est une institution laïque reconnue d’utilité publique. Quatre ans après son lancement, quel bilan faut-il dresser de son action ? Quels sont ses moyens ? Ses objectifs ? C’est pour répondre à ces questions qu’une conférence de presse interactive a été organisée sur Zoom et la page Facebook de la fondation, ce mercredi 10 février.
Dès l’introduction de sa prise de parole, le président de la FIF a tenu a présenté l’action de son institution à un double niveau. Premier niveau, en rappelant que la FIF n’est pas une institution religieuse ou cultuelle mais éducative, culturelle et sociale. Second niveau, la FIF inscrit son travail dans un dispositif plus global de lutte contre l’obscurantisme et le séparatisme menée ou devant être menée par l’Etat et la société civile.
« Par la connaissance et le dialogue, son action vise ainsi à combattre tous les obscurantismes – à commencer par le wahabbo-salafisme qui s’approprie et dénature l’islam, en favorisant l’amitié civique entre tous les Français et la concorde entre tous les peuples », est-il mentionné sur la page de la Fondation.
Dans son intervention, Ghaleb Bencheikh a détaillé les quatre temps de ce dispositif :
-Le temps nécessaire du travail des services de renseignement et sécuritaires contre le terrorisme
-Le temps d’élaboration d’un contre-discours religieux et théologique pour déconstruire les thèses radicales
-Celui de la formulation de réponses culturelles, éducatives et sociales qui est le niveau de la FIF.
-Le temps de la République qui nourrit, instruit et protège tous ses enfants.
Des outils culturels au service d’un républicanisme
Le président de la Fondation de l’islam de France est revenu sur les actions menées par son institution, en insistant sur la formation laïque dispensée par la FIF aux clercs musulmans.
« Nous avons donné des thèses de doctorat et de recherche à des étudiants. Le soutien au programme de l’islamologie savante est pour nous primordial. Le cœur du cœur, le saint du saint (est) la formation laïque, civique, républicaine des prédicateurs, psalmodieurs, imams, aumôniers musulmans. Nous en avons formé 155 dont la moitié est constituée d’imams (…) Notre ambition est d’en former 2623 car il y a 2623 mosquées recensées sur le territoire », a-t-il déclaré.
« A côté de la formation confessionnelle, il doit y avoir une formation laïque.
Un imam doit maîtriser le droit des cultes, doit comprendre que la laïcité est un acquis de la modernité intellectuelle et politique et que c’est un bien et un bien transmissible ailleurs sous d’autres climats et contextes islamiques.
On ne gouverne plus selon le désir politique de Dieu. Quand les imams le comprennent, ils sauront que leur tradition religieuse sera affranchie de toutes les manipulations politiques, idéologisations, domestication et instrumentalisation », a ajouté Ghaleb Bencheikh.
Outre le volet laïque, le volet culturel est défini comme fondamental dans cette formation.
« Il faut, explique M. Bencheikh, que les imams s’approprient l’héritage historique et culturel de leur propre pays, ils n’en n’ont pas d’autres. D’ici trois ans, il n’y aura plus d’imams détachés. Nous aurons nos imams français. Je le dis non sans un brin de provocation, il faut peut-être qu’ils apprennent la geste de Roland qui ne fut pas tendre avec les Sarrazins y compris avec le Prophète, mais c’est comme cela, ce sont les choses de l’histoire »
Des conférences passées et prévues sur l’émir Abdelkader, l’islam en France, les 15 siècles d’histoire entre l’Islam et l’Europe, ainsi que le projet d’un concert de musique andalouse (Alhambra) à Saint-Denis et d’une exposition universelle, ont été mentionnés par M. Bencheikh, à titre d’illustration des actions menées par la FIF.
L’éducation populaire, initiée puis interrompue en raison des restrictions sanitaires, est une autre dimension méconnue de la FIF.
« L’éducation populaire, l’université itinérante, le fait d’aller de quartier en quartier, de cité en cité, de territoire en territoire en métropole et dans un département ultra-marin pour amener le débat, pour parler, pour discuter car nous croyons à la thérapie par la parole, exorciser les hantises, domestiquer les angoisses, calmer les inquiétudes. Ce débat est intra-islamique mais il est aussi interindividuel et citoyen. »
Sur les rencontres de terrain, M. Bencheikh a expliqué quelle est la méthode qu’il poursuit dans ce travail.
« Nous avons pris notre bâton de pèlerin pour aller à Choisy-le-Roi, Corbeil-Essonnes, Epinay-sur-Seine, Mantes-la-Jolie, Roubaix, Nantes, Marseille. Nous travaillons avec des associations locales et nous informons les élus locaux qui la plupart du temps mettent à notre disposition la logistique nécessaire. Ensuite nous accréditons un ambassadeur, un relai. Nous envisageons aussi d’intégrer des éducateurs sportifs dans un milieu gangréné par les idées radicales. »
Contre-discours
Le site internet du Campus des Lumières d’Islam sera néanmoins le levier principal de l’action de la FIF dans son combat idéologique, intellectuel et civique.
« Notre ambition est de faire de notre site du campus numérique, le site de référence de la chose islamique, du fait islamique, de la civilisation islamique. Nous en sommes à 240 vidéos et d’ici quelques semaines 250. J’ai pris soin d’ajouter à l’aspect islamologie savante, le côté artistique, littéraire, culturel, musical, architectural de la tradition religieuse islamique qui a sous-tendu une civilisation impériale. Ce site se veut une académie vivante, nous voulons qu’il y ait des débats, des conférences. »
Dans la continuité de ce site, une web-tv, conçue comme espace de débat et de discussion, a été annoncé comme projet, ainsi que la mise en place d’une Foire aux questions. Un partenariat avec la chaîne plume et le journaliste Rachid Arrab est envisagé.
La notion de contre-discours, qui n’est pas sans rappeler celle de contre-prêche de l’intellectuel tunisien Abdelwahhab Meddeb, est l’une des notions privilégiées par la FIF, dans sa lutte ouverte contre le wahhabo-salafisme.
« Sur le plan du contre-discours, nous prévoyons la traduisons de l’arabe des œuvres de penseurs, théologiens, contemporains, que nous acheminerons via les aumôniers aux institutions carcérales et les quartiers dits sensibles, populaires… perdus pour la République et que nous devons tous reconquérir pour déconstruire le discours wahhabo-salafiste et tarir la source de l’idéologie salafiste. Une idéologie se combat au niveau des idées.
Les idées fanatiques sont comme des clous, plus on tape dedans, plus elles rentrent. A nous de trouver les stratégies de contournement pour expurger le mal de la psyché de ces jeunes gens et y mettre de l’humanisme, de la bonté, de la miséricorde, l’universalisme de la République. Ecrire aussi un récit national commun dans lequel la jeunesse musulmane se retrouve. »
Mais comme dans toute guerre, l’argent est le nerf et la FIF n’en dispose pas pour le moment.
Sur le plan du financement, la FIF n’a toujours pas reçu un centime des fonds promis par l’Etat. Le président Macron avait annoncé l’octroi d’un financement à hauteur de 10 millions d’euros. La fondation privée, qui n’a pas, selon les mots de son président, vocation à vivre des deniers publics, est aussi boudé par le milieu du CAC 40 de son propre aveu. La piste d’un auto financement par l’entremise d’un festival des cultures d’islam est envisagée pour remédier à ce défaut d’argent.
Boycott, charte des imams : les positions de Ghaleb Bencheikh
Les questions posées par les internautes ont été l’occasion de prises de position, personnelles ou officielles, du président de la FIF.
A commencer par la question du boycott des produits français décidé à l’international après la republication des caricatures du Prophète par Charlie Hebdo. Les chefs d’Etat turc et pakistanais ont été cités à ce propos.
« Il y a eu des attaques contre la France, des appels au boycott des produits français. La FIF malgré elle s’est trouvée devant la scène internationale pour répondre notamment aux médias arabophones pour démêler, dénouer désamorcer les mécompréhensions. Nous continuerons à agir dans ce sens-là. »
Questionné à ce propos, Ghaleb Bencheikh a considéré que l’injonction faite au culte musulman de respecter et de se conformer aux principes républicains (charte de l’islam de France) était une « singularité injuste mais devenue nécessaire » après l’épisode automnale (référence aux attentats contre Samuel Paty et l’église de Nice), que ces principes soient bien assimilés, intégrés. « Cela aura la vertu de tarir la logorrhée médiatique affirmant qu’il y aurait incompatibilité entre l’islam et la République », a-t-il dit.
Concernant la loi dite contre le séparatisme, M. Bencheikh s’est dit sur le plan citoyen ne pas être favorable à l’inflation législative. « Si je ne dois pas ignorer la loi il ne faut pas qu’il y en ait davantage. Le dispositif législatif actuel est suffisant, il suffit de l’appliquer avec rigueur. » Mais il s’est dans le même temps dit sur le plan de sa mission institutionnelle avec la République si elle considère que cette loi est nécessaire. « Il faut faire crédit à la sagesse du Législateur. »
A lire aussi :