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Guido de Giorgio : le retour aux origines n’est pas retour en arrière

Guido de Giorgio

Guido de Giorgio a été l’une des figures les plus inspirées de la pensée traditionnelle du XXe siècle. Mizane.info publie l’un de ses textes, véritable manifeste traditionnel, suivi d’une note biographique de Philippe Baillet.

Ce monde se dirige vers sa fin : inexorablement, depuis des siècles il se dirige vers sa fin.

Les représentants officiels des grandes traditions ont fini par pactiser avec la décadence des profanes, tout ce qui était sacré est devenu domaine des laïcs, qui ont démantelé tous les temples pour y faire périr l’écho des paroles de vérité.

La décadence de l’Europe, à partir du XIVe siècle, est le fruit de cette laïcisation de l’esprit, des mœurs et de la vie.

Celui qui saisit les raisons profondes de cette désagrégation séculaire, peut opposer à l’écroulement du temple l’audace de sa force, force de vérité qui veut retourner aux saintes origines.

Retourner aux origines, non revenir en arrière, car on ne peut pas revenir en arrière.

Dans cette vie indissociable de la succession, il ne peut pas y avoir de moments identiques : chaque tourbillon est nouveau dans le tumulte des flots.

Les faussaires de la vérité

Guido de Giorgio
Guido de Giorgio.

Mais on peut en revanche retourner aux origines, à un esprit normal de compréhension de la vérité et orienter toutes les forces de la connaissance dans une direction qui soit sur l’axe même des vérités traditionnelles.

Les hommes d’aujourd’hui ─ un aujourd’hui qui dure depuis des siècles ─ sont des faussaires de la vérité ; ils ont corrompu vie et pensée, imposant à l’Europe d’abord et au monde entier ensuite leurs multiples hystéries dans les deux domaines de la pensée et de l’action.

Ces hommes, il y en a encore et ils forment une petite phalange ; depuis une hauteur que les profanes n’atteindront jamais parce qu’elle n’est ni de cette vie ni de ce monde, ils regardent l’immense misère qui a enténébré l’Europe et tous les homoncules qui ne sont rien mais qui répandent sur toutes les places du monde leurs propos empoisonnés, qui créent des fantômes et obligent les autres à s’agenouiller devant ces fantômes.

Eux, qui parlent au nom de l’Esprit, de l’Art, de l’Humanité, ne parlent en fait que pour eux-mêmes : ils imposent leurs hallucinations, leurs ténèbres, leur idiotie ─ car, pour le dire avec saint Thomas, ces hommes ne sont que des rudissimi idiotae, qui ont vidé le temple et construit sur un sentier d’argile des idoles d’argile.

Et ils appellent ces idoles, gâchage de la terre stérile, Esprit, Art, Humanité.

Avec Dante s’est achevé le printemps de l’Europe, laquelle, à travers la Renaissance, la Réforme et la Révolution, s’est jetée dans les bras de la démence, de la très atroce démence des vieux enfants en délire.

Dante est le dernier voyant, l’ultime poète qui a tenté d’intégrer deux mondes, de faire coïncider deux sphères, de rédimer une époque de transition et de préparation dans la transparence du symbole et dans la vie substantielle.

Avant et après lui, les rares esprits qui pouvaient encore comprendre la vérité de l’enseignement traditionnel ont dû se cacher et revêtir des habits trompeurs pour pouvoir vivre au milieu d’un monde corrompu par les ivresses des profanes.

Hors de la Tradition, point de justification à la vie

Guido De Giorgio

Ces hommes, il y en a encore et ils forment une petite phalange ; depuis une hauteur que les profanes n’atteindront jamais parce qu’elle n’est ni de cette vie ni de ce monde, ils regardent l’immense misère qui a enténébré l’Europe et tous les homoncules qui ne sont rien mais qui répandent sur toutes les places du monde leurs propos empoisonnés, qui créent des fantômes et obligent les autres à s’agenouiller devant ces fantômes.

Hors de la tradition, il n’y a aucune justification à la pensée et à la vie, à la contemplation et à l’action.

J’entends par Contemplation la réalisation effective de la vérité, et par Action la conformité de la vie au principe de la réalisation.

L’équilibre, dans le monde, est atteint quand Contemplation et Action sont orientée dans l’axe traditionnel, c’est-à-dire quand une tradition est en acte, et pas seulement en puissance, et quand elle est intégrale : en s’affirmant théoriquement comme contemplation réalisatrice de la vérité, et pratiquement comme sanctification de l’action, référence de toute la vie au principe ou à l’ensemble de principes qui forment la vraie spiritualité traditionnelle.

En termes très clairs, tels sont les deux pôles que j’appelle traditionnels : la vraie spiritualité (contemplation) et la vie informée, mise en forme, par les principes de cette spiritualité (action).

Mais la Vérité ne peut pas relever de ce qui fuit, de ce qu’on ne saisit jamais, de ce qui sous l’effet de la seule illusion ─ comme dans le cas des arts, des sciences et des philosophies ─ peut sembler dépasser l’humain, et dans le cadre d’une fugace sentimentalité réalisatrice.

La vraie spiritualité (Contemplation) doit avoir des racines dans ce qui est par-delà la vie et la mort, là seulement où l’on peut dire absolument incipit Vita Nova (« ainsi commence une nouvelle vie », titre d’une œuvre de jeunesse de Dante, ndlr), laquelle vie n’est autre, par rapport à l’état humain, que la vraie vie, la vie éternelle.Ceci est le domaine traditionnel, le domaine de la science sacrée, où se déploie la vraie spiritualité.

La sainte phalange des Immortels

Mais très rares, pauci optimi, ont été, sont et seront les détenteurs de la Science Sacrée, qui constituent la sainte phalange des Immortels (au sens littéral et absolu du terme) ; ceux-là ne demandent rien au monde, ne désirent ni honneurs ni reconnaissance, ni puissance.

Ils ne demandent qu’à pouvoir persévérer dans leur réalisation contemplative, maintenir allumé le feu de Vesta, préparer, à l’époque des cataclysmes nécessaires, l’Arche Sainte qui gardera intact le dépôt traditionnel, assurant ainsi la liaison entre ce monde et l’autre monde, la résolution de l’ici-bas dans l’au-delà.

Guido de Giorgio

Mais si la Contemplation est le centre de l’unité essentielle, la seule science sacrée par excellence, l’Action est vraiment ce qui domine le monde, dans les domaines du sentiment, du combat et des œuvres.

Cependant, pour que l’action puisse se justifier, elle doit être une chose sacrée, un acte sacrificiel.

On ne peut pas vivre pour vivre ─ matérialisme ─ ni vivre pour penser ─ idéalisme ─ ni vivre pour ressentir ─ esthétique ─ ni vivre pour agir ─ mécanisme.

La vie n’a de sens que si elle est une comédie, une comédie sacrée, donc si elle est calquée sur un système rituel dont le centre ne cesse d’appartenir à une sphère supra-humaine : la Contemplation, l’Unité traditionnelle, la Science Sacrée.

L’équilibre, dans le monde, est atteint quand Contemplation et Action sont orientée dans l’axe traditionnel, c’est-à-dire quand une tradition est en acte, et pas seulement en puissance, et quand elle est intégrale : en s’affirmant théoriquement comme contemplation réalisatrice de la vérité, et pratiquement comme sanctification de l’action, référence de toute la vie au principe ou à l’ensemble de principes qui forment la vraie spiritualité traditionnelle.

Guido De Giorgio

Notice biographique :

« Né à San Lupo (province de Bénévent) en 1890, Guido de Giorgio fait des études de philosophie et présente un mémoire d’inspiration “orientaliste” à l’université de Naples.

Très jeune encore, il part enseigner l’italien en Tunisie juste avant la Première Guerre mondiale. Sa rencontre avec des représentants de l’ésotérisme islamique, et notamment avec le soufi Kheireddine, sera décisive pour la suite de son itinéraire intellectuel et spirituel.

Quelques années après la fin de la Grande Guerre, De Giorgio fait la connaissance de René Guénon à Paris, et plus précisément au Musée Guimet.

Des liens d’amitié profonds et durables vont dès lors unir les deux hommes (…) Catholique assez singulier, qualifié par Piero Di Vona de « meilleur disciple italien de René Guénon », De Giorgio recourt souvent à une formulation typiquement soufie pour exprimer des vérités très chrétiennes.

Il n’est sans doute pas exagéré de dire que c’est avec lui « que, par l’intermédiaire de Guénon (…) la vision islamique de l’absolu a fait sa première apparition en Italie » (Di Vona). » Philippe Baillet.

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