Il n’y a pas de peuple élu, ni de clan prémuni contre l’erreur. Enseignant, fondateur du mouvement Floraison et de l’institut Ha-Mim, Hamdi Ben Aïssa partage avec nous ses réflexions sur le rapport au bien à la lumière de l’expérience humaine.
La vérité n’est pas dans un clan ou un autre. La vertu n’est pas dans un clan ou un autre. Le bien n’est pas dans un clan ou un autre. Le mal n’est pas dans un clan ou un autre. La tolérance n’est pas dans un clan ou un autre, tout comme le fanatisme n’est pas dans un clan ou un autre.
Dieu, le Créateur Nourricier et Maître de tous n’a pas de famille particulière, de clan préféré, de peuple élu ou de nation choisie. Et notre ennemi qui a désespéré de l’amour et du pardon de Dieu (que Dieu nous préserve de son mal) n’a en revanche jamais désespéré de détourner un être humain de son objectif. C’est pourquoi aucun clan n’est à l’abri de ses interférences…
Ce n’est pas parce qu’elle adhère à un certain groupe ou à un certain clan qui serait celui des « bons » que l’on peut garantir que telle personne n’est pas méchante ou qu’elle pourra assurément se débarrasser de sa méchanceté.
T’identifier comme soufi ne fait pas de toi nécessairement une personne qui incarne les réalités du Tassawouf : cela ne fait pas de toi une âme amoureuse de Dieu et de Ses Bien-aimés. Cela ne te donne pas d’office un cœur compatissant et généreux envers ses semblables ni une raison illuminée, intelligente, tolérante et vertueuse…
Diaboliser, condamner, blâmer et fuir le “clan” des “méchants wahhabites” ou autres “salafis” et réserver ta place dans une derga, une zaouia, une tariqa ou n’importe quel club soufi ne te donne pas la garantie de devenir quelqu’un de tolérant, ni même de ne pas être en réalité extrémiste, violent ou terroriste. Ces qualités ne sont pas l’exclusivité des “méchants wahhabites”.
Au cours des vingt dernières années, j’ai à plusieurs reprises été attaqué, agressé, parfois même persécuté (voire lapidé !) par différentes personnes ou coalitions de personnes venant de groupes différents, incluant des groupes ou personnes soufis.
Je peux témoigner que leurs manières, leurs stratégies, leur manque d’éthique et leur déficit de valeurs sont toutes très semblables… À chaque fois, l’expérience fut si douloureuse, si choquante, si traumatisante….
Si je n’avais pas lu que d’autres ont vécu des expériences similaires dans le contexte d’autres religions, je serais peut-être parvenu à la conclusion que le problème venait de l’islam en tant que religion, car je n’ai pas pu y trouver (ni dans la réalité ni dans les livres de l’histoire) “un groupe” qui soit “vertueux” dans sa globalité, ni un “groupe” dont la majorité serait “sauvée de la malédiction du fanatisme”, ni encore un groupe exempt de la bêtise humaine qu’est le complexe de supériorité…
En réalité il ne s’agit là ni d’un problème de groupe particulier ni d’une religion particulière…
L’ego est l’ego, et là où il se manifeste, là où il règne, il cause toujours les mêmes dégâts…
L’âme figée est l’âme figée et elle parle le même langage en tout lieu et quelle que soit sa langue terrestre. Un cœur dur et rigidifié reste un cœur dur et rigidifié, qu’il soit dans un temple, une église ou une mosquée.
Une tête bornée et fermée reste une tête bornée et fermée peu importe l’idéologie qui la remplit ou qui l’a formatée. Une petite personne reste une petite personne, peu importe son identité. Une voix criarde reste une voix criarde, et ce, quels que soient les chants qu’elle essaie de psalmodier….
Ce n’est pas une question d’identité mais plutôt une question de réalité ! To be or not to be, être ou ne pas être, c’est bien là la question. Oublions un peu les noms, les titres et les appellations…
Il est vrai aussi que…
Les belles valeurs humaines restent les belles valeurs humaines, en tout temps et en tout lieu… Et là où je les trouve, je ne peux que les honorer. Je m’inclinerai et je me prosternerai devant la personne qui les incarne et je lui dirai : “je te vois, je te reconnais, tu es une grâce venant de Sa Grâce, un amour se ramifiant de Son Amour. Je Le vois, Le Secret de toute vertu, lorsque je te vois. Tu me rappelles d’Elle, La Source et L’Essence de toute beauté car tu portes Son Parfum et Elle t’a vêtu d’une de Ses belles Robes…”
Combien de fois ai-je vécu cette expérience où mon âme amoureuse se prosterne, cherchant l’Ami dans une amitié ou plutôt dans un entrelacement d’âmes ? Où mon cœur brûle de désir de compagnie et d’union éternels et que ma raison s’incline en toute reconnaissance, disant : “je te vois !” ?
En même temps, au fond de moi, au plus profond de mon être, le cœur de mon âme résonne un autre : “je Te vois ! Toi, mon Être, mon Maître, mon Essence et mon Ami”…
Et… Je ne parle pas ici d’expériences vécues avec des “Hommes de Dieu” aux visages radiants de sainteté, ou auprès de “guides spirituels” aux beaux turbans et aux belles barbes….
Non… Le plus souvent c’était avec des personnes ordinaires, anodines et anonymes…
Je l’ai vécu avec cette sœur qui a éclaté en sanglots en me voyant triste et peiné… Qui a refusé de s’oublier dans le bonheur d’être aimée et en famille, juste parce qu’elle me pensait seul et sans compagnie….
Je l’ai vécu avec ce frère qui, lorsqu’il a su que je traversais une dépression, a transcendé ses propres douleurs, s’est dépassé, et, malgré ses lourdeurs, le pas lourd, s’est efforcé et est venu me préparer un petit déjeuner, nettoyer ma cuisine, laver ma vaisselle et m’a pris longuement dans ses bras…
Je l’ai vécu avec ce frère qui, lorsqu’il a vu de moi ce qui me rendrait honteux à tout jamais devant l’humanité entière, l’a dissimulé et a continué de m’aimer comme si rien n’était… Et aussi avec cette sœur qui, lorsqu’elle a vu ma vulnérabilité, n’a fait qu’augmenter pour moi son amour et son respect….
Je l’ai vécu encore avec cette fermière de l’Anatolie qui vendait des produits de sa ferme sur la route à un prix dérisoire et qui, lorsque je lui ai tendu un supplément d’argent, l’a refusé, et m’a même donné un cadeau encore plus généreux (ikram) lorsque j’ai insisté…
Je l’ai vécu avec plusieurs personnes qui ne se définissent pas comme “soufis” et qui n’ont pas la moindre prétention à la sainteté… Et je l’ai vécu avec des personnes qui ne se définissent pas comme musulmanes, et même avec des gens qui disent n’appartenir à aucune religion…
L’expérience était à chaque fois si forte, si palpable, si vraie, si réelle…
Ce n’est pas une question de clan, de groupe ou d’identité. C’est une question de réalité.
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