(De gauche à droite) Soumicha Ghezzal de l’Institut Ibn Nafis, Denis Gril, Slimane Rezki et Idris de Vos.
Le traducteur du Coran, auteur d’une œuvre immense de traduction et d’études du Livre saint, est mort le 28 janvier 2017 à l’âge de 90 ans. Les éditions Albouraq, son éditeur historique, avaient organisé en partenariat avec le recteur Larbi Kechat de la mosquée Adda’wa un hommage exceptionnel samedi 30 septembre 2017 pour célébrer la vie et l’œuvre d’un homme discret et largement méconnu du public. Partenaire de l’événement, Mizane Info était présent. Bilan d’une journée pleine d’émotions.
Qui est Maurice Gloton ? A cette question d’apparence anodine et qui en ferait presque sourire certains, beaucoup seraient bien en peine d’y répondre. Auteur d’une œuvre monumentale parmi laquelle figure une remarquable traduction du Coran à laquelle s’accompagne un ouvrage majeur du lexique coranique recensant plus de 1500 racines linguistiques arabes et de multiples traductions, Maurice Gloton (Oubeydallah) qui aura consacré ses dernières années à l’étude exclusive du Livre Saint, s’en est allé rejoindre le Compagnon Suprême le 28 janvier 2017, à l’âge de 90 ans. Largement méconnu du public, celui qui fut surnommé l’homme du Coran a été salué au cours d’une journée d’hommage qui lui a été consacré samedi 30 septembre, journée organisée par les éditions Albouraq et l’institut Ibn Nafis présidé par le cheikh Larbi Kechat, en partenariat avec Mizane Info et Mizane TV. Au cours de cette commémoration marquée par l’émotion et la présence vivace du souvenir et de l’empreinte qu’aura laissés ce géant anonyme de la pensée islamique contemporaine et maître de la discrétion, plusieurs acteurs et intervenants sont venus témoigner de leur rencontre avec Maurice Gloton.
La « quête de Dieu » de Oubeydallah Gloton
Slimane Rezki, maître de cérémonie de cette journée d’hommage, a souligné toute la dette qu’il avait à l’égard de Gloton et de toute sa génération. Il a évoqué la mémoire d’un homme « qui du haut de ses connaissances, n’hésitait jamais à consulter ses invités avec beaucoup de gentillesse et d’amabilité ». Slimane Rezki a rappelé que Maurice Gloton s’est converti à l’islam dans les années 1950, dans la droite ligne de l’impact et de l’influence qu’eut la pensée de René Guénon en France dans les milieux intellectuels occidentaux traditionnels et musulmans, pensée qui entraîna une vague de conversions célèbres à l’islam (Frithjof Schuon, Titus Burckhardt, Michel Valsan, Martin Lings). Maurice Gloton, pour sa part, sera « l’auteur de nombreux livres tous meilleurs les uns que les autres » commentera Slimane Rezki qui mentionnera l’importance particulière de sa traduction du Coran et de son monumental ouvrage sur le lexique du Coran. Denis Gril, ancien professeur à l’université d’Aix-en-Provence, conférencier, a salué la vie et l’oeuvre de Gloton qui « aurait pu être son père » et qui aura été « un grand frère » pour lui.
Évoquant les années où il baigna avec d’autres dans l’étude de l’oeuvre de René Guénon et fit partie d’un groupe, d’une tariqa qui vivait quotidiennement cet islam doctrinal sous la houlette « de cheikh Mustafa (Michel Valsan) », il rappela que pour ses camarades l’étude de l’islam et celle de l’oeuvre de Guénon n’était pas seulement une exigence intellectuelle mais qu’elle se nourrissait d’une vision du monde spirituelle qui se traduisait dans tous leurs actes. Ainsi, selon Denis Gril, Maurice Gloton « entreprit une quête du sens », observable dans toute son oeuvre notamment ses travaux sur l’étymologie des racines arabes, « qui était une quête de Dieu ».
L’homme au visage de sage servi par une belle crinière blanchâtre et qui répond également au nom de sidi Dawud soulignera le lien qu’il y a toujours « entre une personne et la signification de nom ». « Maurice Gloton avait choisi le prénom de Oubeydallah, « petit serviteur de Dieu », qui traduisait très bien sa gentillesse et sa modestie », commentera-t-il. La discrétion était en effet un trait majeur de la vie de Maurice Gloton comme cela est ressorti de tous les témoignages. Elle cachait selon Denis Gril, « une disposition à l’amour des autres » comme l’illustre par exemple la traduction qu’il fit du Nom divin Ar-Rahman, « le Rayonnant d’Amour ».
Maurice Gloton, un maître de modestie
Mme Gloton a également pris la parole rappelant ce que fut la vie de Maurice Gloton, son parcours professionnel, sa rencontre avec l’islam, son travail inlassable, sa simplicité et ses qualités humaines extraordinaires, dans son couple comme avec ses amis. Une intervention très émouvante qui marqua l’assemblée. Mme Gloton témoigna également de la passion de son mari pour la musique, le piano en particulier. Idrîs de Vos, traducteur, poète et petit-fils de Maurice Gloton, a salué la mémoire de son grand-père et souligné le fait qu’« il n’avait jamais cherché à avoir de l’ascendant sur les autres ». Il a également rappelé son courage, son endurance et sa rigueur ascétique dans le travail dont témoigne l’ampleur de son œuvre, inégalée. Idrîs de Vos a également témoigné de l’indépendance de son grand-père et de sa faculté à se « déconditionner » dans le chemin spirituel qui fut le sien à une époque où le choix de la conversion à l’islam n’était pas facile. « L’indépendance d’esprit est une qualité nécessaire à la quête spirituelle », dira-t-il à ce propos. D’autres interventions ont émaillé la journée, dont celle de Ghaleib Bencheikh, de Nora, une étudiante de Maurice Gloton qui a présenté sa méthode de travail et la nécessité de ne pas réduire ce dernier à une dimension purement intellectuelle coupée de sa spiritualité islamique. Une lettre chaleureuse du Père Lelong a été lue à la tribune. Le cheikh Larbi Kéchat a pour sa part fait une intervention remarquée et remarquable qui a électrisé l’assistance. Une prise de parole successivement posée puis soudainement saisissante, dans un aller-retour dynamique entre la figure exemplaire de Maurice Gloton et notre époque, souvent ingrate et centrée sur elle-même. « C’est Dieu qui nous a permis de nous retrouver ici » a-t-il dit en appelant l’assistance à ne pas restreindre le sens de la notion de choukr (remerciement), une notion « à trois état, un état du cœur, de la langue et de l’action ». Une psalmodie du Coran accomplie par le responsable du Centre lumière, Yourham Baddi, a, enfin, ouvert et conclu cette mémorable journée consacrée à celui qui restera à jamais, dans les esprits, comme un homme du Coran.
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