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Ibn Sirin : règles du rêve et de l’interprétation

Ibn Sirin : règles du rêve et de l’interprétation Mizane.info

L’oniromancie ou la science de l’interprétation des rêves est un savoir que l’on retrouve dans toutes les grandes traditions spirituelles. Ibn Sirin est sans doute le plus grand maître de l’oniromancie musulmane. Mizane.info publie un long extrait de la méthode de l’interprétation du rêve extrait de l’ouvrage « Le grand livre de l’interprétation des rêves » d’Ibn Sirin (édition Albouraq).

Le rêveur ne doit relater son rêve qu’à un savant, à un bon conseil ou à une autorité dans ce domaine, comme il est dit dans quelques avis [attribués au Prophète]. Il est préférable pour l’interprète d’entendre le récit du rêve du rêveur lui-même. S’il s’abstient de l’interpréter quand le contenu en est désagréable, ou lorsque son savoir ne peut en décider, il doit se contenter de souhaiter le bon augure pour son interlocuteur et un malheur pour Introduction ses ennemis, s’il sup pose que le rêve concerne bien le rêveur. Si l’interprète sollicité croit que le rêve le concerne lui-même, il doit appeler le bienfait pour lui et le malheur pour ses propres ennemis.

D’autre part, il vaut mieux procéder à l’interprétation dans la matinée au moment où l’intelli gence de l’interprète est vive et le souvenir du rêveur maintenu ; car l’intelligence est plus disponible dans la matinée, avant sa dispersion en direction des soucis et des desseins de la vie, selon cette invocation du Prophète, Dieu le bénisse et lui accorde la paix : « Dieu ! Bénis pour ma Communauté ses matinées ! » L’interprétation est analogie et extension du sens. Elle est compa raison et supposition. Elle ne peut trouver sa confirmation, ni appe ler la controverse, que si elle se vérifie dans l’état de veille ou si une preuve vient en conforter la vérité. Elle se fait par l’extraction du sens ou par la dérivation des mots.

L’interprète ne doit jamais solliciter l’autorité d’un censeur qui lui impose sa contrainte ni se lier à un avis quelconque, ni aux calculs d’un astrologue. Le Prophète n’est jamais incarné par un démon dans le rêve. Celui qui rêve de lui ne peut avoir vu que lui. Le mort qui réside dans la demeure de la vérité ne dit dans un rêve que ce qui est vrai, et ce, dans la mesure où sa parole est exempte d’un appel à la discorde ou à l’imposture. Il en va de même de ce que dit l’enfant dans le rêve ; il ignore en effet le mensonge, tout comme les animaux qui sont privés de la faculté du langage et dont la parole au cours d’un rêve constitue un signe et donne lieu à l’émerveillement.

Tout menteur à l’état de veille est comparable à l’astrologue ou au diseur d’oracles. Ce qu’ils disent l’un et l’autre d’un rêve est de l’ordre du mensonge. Ceux qui sont atteints d’une souillure, ou qui sont ivres ainsi que les simples d’esprit parmi les esclaves, tous peuvent avoir des rêves vérifiables, même s’ils sont souvent sous l’emprise de Satan pendant leur sommeil. Le menteur dans la vie courante peut mentir à propos de tous ses rêves. Ainsi donc, le plus véridique dans ses rêves est toujours le plus véridique dans ses dires ; c’est pourquoi l’interprète ne doit manier que les rêves dont les équivalences renvoient à une bonne nouvelle, un avertissement, une mise en garde ou à un quelconque bienfait ici-bas ou dans l’autre monde. Il doit refuser tout autre type de rêves qui risquent de n’être que confusions ou fatras attribuables à Satan.

Ce dont l’interprète a besoin

L’interprète a besoin d’abord d’extraire le sens en puisant dans le Coran, dans ses paraboles, ses idées et dans ses claires indications. Tel ce que le Très-Haut a dit du « lien » : « Attachez-vous tous, forte ment, au lien de Dieu » (III, 103), ou ce qu’Il a dit pour décrire celles parmi les femmes « qui ont des grands yeux / et dont les regards sont chastes » (XXXVII, 49), ou ce qu’il a dit des hypocrites qui « sont semblables à des poutres solides » (LIV, 4) ; ou encore [cette autre image] : « Quand les rois pénètrent dans une cité / ils la saccagent » (XXVII, 34) et aussi : « Si vous cherchez le succès / vous l’avez obtenu [litt. le succès est venu à vous] » (VII, 19) ou encore « Un d’entre vous aime-t-il / manger la chair de son frère mort ? » (XLIX, 12). Il doit considérer les exemples de la conduite des prophètes et des sages.

Il a besoin également de puiser dans la vie de l’Envoyé de Dieu et dans les allégories qu’il a utilisées pour interpréter, comme quand il a dit : « Cinq parmi les bêtes sont perverses ; le corbeau, la chouette, le scorpion, la souris et le chien enragé. » Ou quand il a dit au sujet des femmes : « Gare aux fioles ! » Ou « La femme n’a été créée que d’une côte ! » Il est nécessaire aussi de connaître les analogies courantes, telles lorsque Abraham a dit à son fils Ismaël : « Change le pivot de ta porte ! » sous-entendu : « Répudie ta femme ! » Ou la parole de Jésus quand il est entré chez une prostituée pour la sermonner : « C’est le guérisseur qui vient chez le malade ! » Le guérisseur étant ici le savant et le malade étant le pécheur ou l’ignorant. Ou encore quand Loqmân5 a ordonné à son fils de changer sa couche, faisant allusion à la bru. Ou cette exclamation d’Abû Hurayra quand il a entendu dire que le faux messie était arrivé : « Voilà un mensonge de teinturiers ! »

L’interprète aura besoin aussi de connaître l’art de la versification et la poésie afin qu’il puisse, en considérant toutes les significations, les rapporter aux représentations du rêve ; comme dans ces vers, par exemple : Le voilà qui m’interpelle Est-ce pour la rosée [de sa voix pure] Ou pour la carafe que j’ai bue ? Ne sachant plus si c’était de l’eau Ou bien du vin ! Le poète convié à entendre des chants compare la bouche de la chanteuse à un flacon d’eau ou de vin. Ou cet autre poète qui a dit : Jamais narcisse n’honore sa promesse Seul le lys est fidèle Ou cet autre poète qui a dit : Tu es comme la rose, mais La rose Ne dure qu’un temps Mon amour, c’est le lys, et le lys Endure l’épreuve du temps. L’interprète peut utiliser ces comparaisons si, dans un rêve qui lui est rapporté, de tels thèmes interviennent. Il se doit aussi de connaître les règles de dérivation et les étymologies. Aussi kufr [déni de Dieu] signifie-t-il à l’origine, action de couvrir ; maghfira [absolution, pardon] étymologiquement signifie voiler ce qui ne peut être montré ; dhulm [injustice] a signifié d’abord l’action de placer quelque chose à un endroit inadéquat. Quant à fusq [licence, perversité, débauche] le mot a d’abord désigné l’aspect proéminent de quelque chose, etc. Enfin, l’interprète des rêves doit prendre soin de son état, de son alimentation et de ce qu’il boit. Il doit être honnête dans ses actions pour pouvoir prétendre à l’art d’interroger les signes chez ceux dont il aura à interpréter les rêves.

Les deux types de bons rêves

Les bons rêves sont de deux types : ceux dont le sens est clair et apparent, n’exigeant ni interprétation ni exégèse ; et ceux qui sont voilés par la métaphore ou la métonymie, là où les sagesses et les pro phéties ont déposé comme un éclat des perles.

Interpréter selon le caractère ou la saison, l’habitude ou les destinées

Tous les éléments qui changent en été et en hiver, tels les arbres, les fruits, la mer, le feu, les vêtements, les habitations, les serpents ou les scorpions, sont à interpréter selon la saison, la nature de leur cycle, leur substance ou leur accoutumance au moment où ils apparaissent au dormeur. De même tout ce dont le caractère ou l’aspect varie de nuit ou de jour, comme le soleil, la lune, les étoiles, la lanterne, la lumière, les ténèbres, les hérissons, les chauve s-souris, etc. doit être interprété selon sa nature au moment de sa manifestation dans un rêve particulier. Celui qui a une habitude dans la vie courante lui restera attachée dans les visions du rêve. Il ne peut, en rêvant, se défaire de l’habi tude que Dieu a installée en lui.

Ainsi celui qui mange souvent de la viande et rêve d’en manger en mangera effectivement. Celui qui se voit bénéficier d’un gain en numéraire peut en profiter réellement ; comme celui qui rêve de la pluie peut en voir en se réveillant. Mais il peut tout aussi bien voir se réaliser le contraire de ce dont il a rêvé ou toute autre chose différente de ce à quoi il doit s’attendre. Tout ce qui a deux faces dans le rêve, une face favorable et une autre malfaisante, vaudra par la face bénéfique, si le rêveur est un homme de bien. Il vaudra par sa face funeste pour les corrompus. Mais si la vision montre des faces multiples, nuancées ou contradictoires, s’excluant les unes les autres ou simplement différentes, l’interprète n’arrêtera son avis que s’il adjoint un indice, un signe probant lié à l’intimité du rêveur ou au lieu où le rêve a eu lieu.

La vision du rêve ne procède que de ce qui est révolu, disparu, dissipé et expiré. Dans le rêve il te souviendra peut-être d’un remerciement que tu as omis d’adresser, d’un péché que tu t’es permis de commettre, d’un remords qui t’en est resté, ou d’un repentir qui tarde à se mani fester. Mais d’autres visions peuvent informer de l’état présent du rêveur ou lui prédire l’avenir en l’informant d’une fortune ou d’un malheur prochains, comme la mort, la pluie, la richesse, la pauvreté, la puissance, la pénurie ou la prospérité.

Sache aussi que pour un même rêve fait par deux personnes, la portée de l’interprétation qui instruit sur le sort des gens, peut varier aussi selon la nature de l’effort entrepris ou le sort dévolu à l’un ou à l’autre des rêveurs. Ainsi, même quand des gens ont des rêves en tout point semblables, seul peut interpréter ce qu’ils ont vu un homme doué d’une vaste connaissance des signes, capable d’en manier la variation. Prenons le fruit du grenadier, par exemple. Pour un gouverneur possédant un hameau, ou commandant une cité, la peau indique dans son rêve, les remparts ou les murailles ; les grains en sont les habitants. Pour le commerçant, ce fruit signale la demeure où se trouvent les siens, son hammam, son auberge ou son navire transportant passagers et marchandises, voguant au large ; son fonds de commerce, son école pleine d’élèves, sa bourse pleine de drachmes et de dinars. Pour le savant, l’homme de foi ou l’ermite, il s’agira de son livre ou de sa copie du Coran. Les épluchures en seront alors les feuillets, et les grains l’écriture qui le guide. Ce fruit peut figurer l’épouse promise au rêveur, parée de sa fortune et de sa beauté, ou une jeune esclave vierge dont il jouira en la déflorant. Il peut encore indiquer, pour la femme enceinte la venue d’une fille encore enfouie dans ses entrailles…

Même l’importance de la fortune présagée par un tel rêve peut varier d’un rêveur à un autre. Pour le roi, il s’agit de la trésorerie de son royaume ; pour les gouverneurs de leur rétribution. Mille dinars pour les gens aisés, cent pour les commerçants, dix pour un homme de moyenne condition, une drachme pour le pauvre, et un sou, un pain ou un reste de nourriture pour le miséreux. Ou alors rien qu’une gre nade telle que rêvée. Ce fruit, pour l’exégèse, la théorie et les adages connus figure un nœud que l’on doit défaire selon les normes de l’in terprétation. Par ailleurs dans les rêves d’arbres dotés d’un tronc et de branchages spécifiques, il est nécessaire de distinguer deux types : les plus nobles figurent les Arabes. Les pousses qui sont privées de tiges ou de pieds, comme la courge ou toute autre plante semblable, elles indiquent les Barbares ou ceux qui sont dépourvus de noble naissance, tels les laissés pour compte, les personnes sous tutelle et les bâtards. Ainsi l’interprète peut mettre en rapport les indices accessoires en considérant l’utilité de ce qu’ils figurent et la constance de leur nature.

Il est possible toutefois que la vision d’un rêveur exige une interprétation qui se rapportera à son frère, à son beau-fils, son homonyme, son allié, son ami, son voisin ou son collègue dans un métier quel conque. Le rêveur et tous ceux que le rêve peut concerner doivent avoir des points communs, tel le frère du rêveur par exemple, engendré comme lui par un même père et comme lui conçu dans le sein d’une mère qui leur est commune.

Un seul point commun peut guider l’interprète, comme l’homonymie, le voisinage ou l’exercice d’un même métier. Cependant un rêve ne saurait être décalé de son auteur pour impliquer une autre personne dans l’interprétation proposée que si des significations [spécifiques] paraissent justifier cette inflexion. L’interprète ne peut lier les implications du rêve d’un autre ni en ratta cher les indices à la personne qu’il suppose concernée par ce décalage qu’en vertu d’un signe indépendant du rêve examiné. Ainsi le rêve de la mort ne peut être déplacé du rêveur pour en concerner une autre personne, que si le rêveur est sain de corps dans la réalité et que la per sonne justifiant le décalage est malade, donc plus proche de la mort.

Pour toutes ces raisons l’interprète doit être tel qu’on l’a décrit : cultivé, intelligent, perspicace, craignant Dieu, connaissant les condi tions des hommes, leurs règles de vie, leurs lois et leurs mœurs. Il doit considérer ce qui change quand passe l’hiver ou quand l’été arrive. Il est nécessaire qu’il connaisse les saisons, les dégâts qu’elles occa sionnent ; la navigation et ces moments propices ; les coutumes des nations, leurs populations et leurs élites, tout ce qui concerne un pays ainsi que ce qui en provient. Je pense par exemple à ce que dit al-Qotbî du grain de millet qui peut signifier l’arrivée d’une personne attendue venant du Yémen, sachant que cette plante ne nous provient que de ce pays.

L’interprète doit aussi savoir distinguer entre les rêves particuliers et ceux qui sont communs. Parmi les choses que l’on voit en rêve, il y a en effet celles dont tout le monde peut tirer profit comme le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, la pluie, le vent, les mosquées ou les places publiques. Si l’on se voit possédant en exclusivité ces choses, ou si elles apparaissent dans la demeure même du rêveur, le rêve le concernera particulièrement. Les Anciens ont affirmé que le rêveur dominé par la mélancolie rêve de tombes, de noirceur, d’horreurs et d’épouvantes. Ceux soumis à la bile jaune rêvent de feu, de lanternes, de sang et d’âcreté. Si le rêveur souffre d’un excès de pituite, il voit la blancheur, les eaux, l’hu midité et les vagues. Enfin, si c’est l’humeur sanguine qui l’emporte, le dormeur rêve plutôt de vin, de jardins et d’orchestres de flûtes.

On rapporte que le Prophète, Dieu le bénisse et lui accorde la paix, a dit : « Les rêves sont de trois sortes. Le rêve de la bonne nouvelle qui procède de Dieu le Très-Haut. Le rêve qui vient de Satan, et enfin ce que l’âme du dormeur lui susurre et qui devient visions. » Il a dit aussi : « Les prophéties ont disparu. Il reste seulement les bonnes pré dictions. » Un certain exégète du Coran a dit au sujet du verset : « Ils recevront la bonne nouvelle / dans cette vie et dans l’autre » (X, 64), qu’il s’agit du bon rêve. On a dit aussi que Dieu dirait de lui celui qui s’endort dans une position de prosternation [en priant] : « Regardez donc Mon serviteur ! Son esprit est auprès de Moi et son corps M’obéit ! » On rapporte que Abû ad-Dardâa6 a dit : « Quand l’homme s’en dort son esprit s’élève dans le ciel. Il est conduit devant le Trône. Si le dormeur est pur, on lui permet de se prosterner ; s’il est souillé, on lui en refuse la permission. »

Ibn Sirin

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