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Idris de Vos : l’amour en islam vu par le soufisme

Idrîs de Vos est traducteur, écrivain et auteur de « L’amour universel, un cheminement soufi », (édition Albouraq). Il nous présente en substance la conception de l’amour en islam, développée notamment par les soufis.

Il est notoire que le Coran s’attarde plus sur la consécration des vertus que sur l’évocation de l’amour, même si celui-ci en est la source. La raison à cela est que l’islam prône avant tout un amour assumé, c’est-à-dire un amour impliquant le sacrifice de soi et l’acceptation des souffrances nécessaires. Une mère qui assume l’amour de son enfant accepte de passer des nuits blanches et d’être tourmenté en sa chair. La source de sa force se situe précisément dans l’amour qu’elle conçoit pour son enfant. La voie de l’amour prônée par l’islam est en ce sens à la fois la voie du sacrifice et la voie du bonheur. Car tout acte de sacrifice accompli par amour engendre bonheur en dépit des douleurs.

La rahma divine, corollaire de l’amour

Le Coran parle de cette voie en des termes explicites : « Qui te dira ce qu’est la voie abrupte ?[C’est] de délier un joug (affranchir un esclave) ; De pourvoir en nourriture en une période de disette. Un orphelin de proche parenté. Ou un pauvre dans le dénuement ; Puis d’être au nombre de ceux qui croient et s’enjoignent à la patience et s’enjoignent à la miséricorde ». Sourate Al-Balad (90)

Les chapitres du Coran s’ouvrent presque tous sur l’évocation des noms divins de miséricorde. Une grande place y est donnée à cette vertu qui est sans doute le plus direct corrolaire de l’amour. Elle en est même tellement proche dans la conception musulmane, que Maurice Gloton, ce traducteur soucieux de rigueur étymologique, traduit les Noms de Miséricordes Rahmân et Rahîm : Le Tout-Rayonnant d’amour, Le Très-Rayonnant d’amour.

Néanmoins, toutes les vertus trouvent leur mobile en l’amour, et la voie de l’amour consiste précisément à acquérir celles-ci. Le Coran invite le Prophète à dire aux croyants « Dis : Si vous aimez Dieu, suivez-moi, Dieu vous aimera. » (Coran, 3 : 31) Car l’amour véritable doit pouvoir se vérifier dans les actes. Or, dans la conscience du musulman avisé, il ne s’agit de rien d’autre que de suivre l’exemple prophétique tel que le reprend par exemple l’imam an-Nabahânî dans son éloge :

« Offrant la popeline et les tissus de soie,

Les plus simples habits il conservait pour soi.

Un mois passait, ou plus, sans qu’il allume un feu,

De dattes et d’eau repu : contenté par ce peu !

Le dîner suppléait pour lui au déjeuner,

L’un ou l’autre comblait son entière journée.

Sur une austère natte il dormait, mortifié,

Ou une peau garnie de fibres de palmier.

Il montrait tant d’égard et tant de prévenance,

Envers tout égaré lui faisant une offense,

Qu’on eût dit que celui qui essuyait l’outrage,

Devenu l’offenseur, réparait les dommages !

Les modalités de l’amour divin et humain

Dans l’histoire de l’islam, chaque thème lié à l’amour a un parcours. Nous en évoquerons trois. Le premier, qui engendra de vifs débats théologiques est celui de l’amour de Dieu pour l’homme. Le Coran déclare explicitement : « Dieu suscitera des gens qu’Il aime et qui L’aiment […] » (Coran, 5 : 54). Mais l’enjeu fut de savoir si cet amour divin doit être compris métaphoriquement ou à la lettre. Les soufis et la majorité des savants se rangèrent finalement à l’avis que cet amour est bien réel, même si l’on ne peut en cerner la nature. Ce point entendu, associé à un certain nombre de textes, conduisit les soufis ainsi que de grands savants à considérer que la création toute entière est un acte d’amour. Dans cette même perspective, l’amour de Dieu pour Sa création étant son propre mobile, il ne saurait être contingent ou accidentel, mais au contraire, préexistant et éternel.[1]

Le deuxième est celui de l’amour de l’Homme pour Dieu.  Ici encore, une question théologique aura suscité de vifs débats. Car comment l’être humain peut-il aimer ce Dieu qui dit de Lui-même qu’il est au-delà de toute conception. Rappelons-nous que le Seigneur insuffla en l’être humain de Son esprit. L’amour que l’homme éprouve pour Dieu est donc d’abord un amour nostalgique. D’où la centralité du souvenir (dhikr) dans le Coran.

Rumi évoque cet amour nostalgique à travers la très célèbre parabole du Ney :

« Depuis qu’on me coupa de mon marais, jadis,

Les humains, homme et femme, à mes maux compatissent.

J’entonne de mon cœur la dolente élégie,

Et, par l’écho de chants, traduit sa nostalgie.

En son errance, ainsi, le cœur de l’homme incline,

Irrépressiblement, vers sa prime origine ».[2]

L’aspect immanent du Miséricordieux relie ensuite cet amour du divin à l’amour de toute chose. Car le Livre Saint nous dit : « Où que vous vous tourniez, là est la Face de Dieu. » (Coran, 2 : 115). Adorer Dieu comme si nous le voyions, ainsi que le recommande la tradition prophétique, implique ainsi un éveil renouvelé à Sa présence en toute chose. Sous ce rapport, le « dhikr » correspond à une conscience et un éveil.

Le monde comme miroir de Dieu

Le troisième est celui de l’amour des humains entre eux. L’enseignement soufie met souvent l’accent sur la nécessité de n’aimer que Dieu, ce qui au final n’implique pas de ne pas aimer les créatures, mais simplement de rapporter cet amour à Dieu en amont : à inclure cet amour dans celui de Dieu. C’est pourquoi la tradition prophétique parle très souvent d’amour « en Dieu ». « Mon amour échoie nécessairement à ceux qui s’aiment en Moi. », dit par exemple un hadith.

Dans la conception soufie, le monde n’est autre que le miroir dans lequel le Seigneur contemple Sa beauté. Le fidèle est donc appelé à s’ouvrir à un amour toujours plus large, de même qu’il est appelé dans sa prière à se faire de Dieu une image toujours plus grande. C’est le sens de la fameuse expression tristement détourné « Allahu Akbar », laquelle signifie « Dieu est plus grand ». Plus grand que quoi ? Plus grand que tout, mais surtout, plus grand que l’image réductrice que l’on s’en fait. Si Dieu demeure l’ultime objet de notre amour, celui-ci est donc voué à s’élargir à mesure que l’on se rapproche de Lui. Aimons-nous donc les uns les autres, d’un amour assumé et croissant.

Idris de Vos

Notes 

[1]Tôt dans l’histoire de l’islam, les grands mystiques musulmans ont consacré des traités à ce thème. Le plus ancien qui nous soit parvenu est celui de Muhammad Al-Daylamî (mort en 982), ‘Atf al-Alih al-Ma’lûf ‘alâ al-lâm al-ma‘tûf. Mais un certain nombre de bibliographies indiquent qu’il ne fut pas le premier.

[2]Mathnawî

A lire du même auteur :

« Poésie arabo-andalouse »

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