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Il faut abandonner une période pour entrer dans une époque

Le début n'est pas le commencement Mizane.info

Commencer, ce n’est pas débuter. Le début s’inscrit dans une période, le commencement est au-delà de l’époque. « Nous ne voulons pas rester des éternels débutants, écrit Philippe Moulinet, des gens en manque de formation. Il faut évoluer, progresser, faire passer ses capacités de la puissance à l’acte. Nous voulons laisser le début en arrière. Le commencement, lui, n’est jamais rejeté en arrière. Il prend les devants pour ouvrir un monde… ». Un beau texte à lire sur Mizane.info.

Le début est le point de départ d’un cycle, d’une période. Il est marqué du double caractère de l’imperfection primitive et du dépassement quand le processus arrive à terme. Le début est un état germinatif appelant une croissance, un développement. On dit par exemple : « C’est un petit jeune. Il fait ses débuts. Il est encore en période de formation, il faut lui laisser le temps… ».

Il doit faire preuve de réceptivité pour actualiser son potentiel. Le début est la période d’apprentissage, celle dans laquelle on est mal assuré, où l’on ne se sent pas encore en possession de ses moyens, où l’on est affecté d’une indigence, d’une déficience, presque d’une infirmité native.1

Conduire au-delà la période « où l’on se cherche encore »…

Et justement, toute l’aspiration du débutant est de dépasser ce stade pour arriver au terme d’un cycle qui lui confère l’aptitude d’un vrai professionnel. Il arrive qu’un homme qui a atteint la maîtrise dans son métier jette un coup d’œil rétrospectif sur ses « débuts ». Il éprouve alors un sentiment de gêne attendrie, de tendresse gênée en apercevant sa gaucherie, ses maladresses, en regardant ses premiers pas, aussi hésitants que ceux de l’enfant apprenant à marcher.

Le but de la formation, de l’é-ducation (e-ducare = conduire hors) c’est de « conduire » justement au-delà la période « où l’on se cherche encore ». Nous suivons les cours. Mais nous ne voulons pas toujours courir. Il faut aller de l’avant, avancer pour aboutir, aller jusqu’au bout.

Nous ne voulons pas rester des éternels débutants, des gens en manque de formation. Il faut évoluer, progresser, faire passer ses capacités de la puissance à l’acte. Nous voulons laisser le début en arrière. Notre point de visée est : Intellectuellement : libération du doute et émotionnellement : libération de l’hésitation 2.

Le commencement est complet même s’il n’est pas accompli…

Le commencement, lui, n’est jamais rejeté en arrière. Il prend les devants pour ouvrir un monde dans lequel les existences trouveront le champ libre pour mener leur carrière. Il n’est pas abandon mais don. Il n’est pas ce qui passe mais ce qui fait passer.

Le commencement n’est pas le primitif mais le primordial, ce n’est pas le point de départ mais l’origine vraie, ce n’est pas le début mais l’initial au sens étymologique du mot « initiation », qui veut dire « pénétration à l’intérieur ». Le commencement est initiatique.

Il est, si vous voulez, l’in-tention dominante, une tendance qui vient de l’intérieur et qui couve du regard ce qu’elle veut faire éclore. Comme la mère regarde son enfant pour l’encourager à marcher. Le commencement est ainsi complet même s’il n’est pas accompli car tout initial authentique a, en tant que saut, une avance dans laquelle tout à venir, encore que voilé, se trouve déjà devancé. L’initial contient déjà, en réserve, la fin. 3

Le commencement est d’un autre ordre….

On peut suivre à chaque pas les étapes d’une période et les repérer sur la ligne horizontale du temps. Dans le travail à la chaîne, on opère une division dans laquelle chacune des étapes de la fabrication est marqué par un temps, mesuré par les aiguilles de l’horloge, et quand le produit est « fini », en bout de chaîne, le début et le « cours » sont relégués dans l’oubli, comme ce qui est maintenant dépassé. Le produit a quitté le cycle, il est arrivé au terme du processus de production.

Le commencement ne se laisse pas ainsi insérer, intercaler dans les limites (début et fin) d’un processus. Il est d’un autre ordre, d’un autre règne. C’est bien le mot. Il porte la couronne de victoire parce qu’il jouit de sa propre plénitude. Il est la gloire du monde entier.

L’acte précède ontologiquement la virtualité…

Le commencement est divin : La nature commence son œuvre par ce qu’il y a de plus infime. Mais Dieu commence son œuvre par ce qu’il y a de plus parfait.

La nature fait sortir l’homme de l’enfant, et le poulet de l’œuf, – mais Dieu fait l’homme avant l’enfant et la poule avant l’œuf. Dieu commence par donner à toute créature l’être, et ce n’est qu’ensuite qu’il lui donne, dans le temps, mais tout ensemble hors du temps et sans rien qui appartienne au temps, toutes les propriétés qui conviennent à sa nature temporelle. 4

Ici les corps et les réalités matérielles s’élèvent progressivement, en fonction de leurs aptitudes et de leurs métamorphoses, à la rencontre des âmes, tandis que là-bas s’opère une descente des âmes à la rencontre des corps. Ici la virtualité est chronologiquement antérieure à l’acte, tandis que l’acte précède ontologiquement la virtualité.

Le commencement n’est pas repérable sur la ligne du temps…

Là-bas c’est la virtualité qui est ontologiquement et ontiquement antérieure à l’acte. Ici l’acte est plus noble que la virtualité, parce qu’il en est l’aboutissement. Là-bas, c’est la virtualité qui est plus noble que l’acte, parce que c’est elle qui le produit 5.

Le commencement n’est pas repérable sur la ligne du temps, il domine le temps, il « fait » son temps. Le commencement n’est pas le début d’une période, c’est l’esprit d’une époque. Le début est temporel, le commencement, spirituel. On peut « inscrire » les événements dans le cours de l’histoire, les dater, les décrire. Le commencement n’est pas un événement parmi d’autres, c’est l’avènement, la venue, la mise en scène, l’entrée en présence d’un temps. Il faut abandonner une période pour entrer dans une époque 6.

Philippe Moulinet

Notes :

1 – « Je ne suis pas de ceux qui rougissent d’avoir été jeunes. L’histoire romaine fut à peu près mon début. J’avais traduit Vico et fait quelques brochures. Il n’est pas étonnant que ma méthode soit flottante encore dans ce livre, que parfois la main m’ai tremblé. » (Paroles de Michelet citées par Péguy in Par ce demi-clair matin, p. 191).

2 – Roumanoff, Swami Prajnanpad, Un maître contemporain, volume II, Le Quotidien illuminé p. 269.

3- Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, p. 86.

4 – Maître Eckhart, Traités et sermons, De l’homme noble, p. 111.

5 – Mollâ Sadra in Corbin, Corps spirituel et Terre céleste, p. 196.

6 – Tharaud (Jérome et Jean), Notre cher Péguy, volume II p. 44.

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