Depuis une décennie, pas moins de 33 mosquées ont été la cible d’incendies criminels, selon un article du journaliste Hugo Boursier sur le site Regards. Ces attaques islamophobes, rarement élucidées par la justice et timidement prononcées par les responsables politiques, restent pourtant fréquentes depuis 2015. Focus.
Les incendies ou tentatives d’incendies de mosquées ne font jamais la une des médias ni l’ouverture des journaux télévisés. Les journalistes s’y intéressent rarement, à l’exception de la presse quotidienne régionale, où quelques lignes suffisent à raconter les faits. Une fois l’article publié, l’affaire est rapidement oubliée, sans suivi ni retour sur les lieux.
D’après le recensement du journaliste Hugo Boursier au moins 33 mosquées ont été visées par des incendies ou tentatives d’incendies depuis janvier 2015. Ces actes criminels ont été mentionnés car ils ont suscité une réaction médiatique, politique ou judiciaire. Toutefois, certaines attaques n’ont peut-être pas été signalées, ce qui signifie que ce chiffre est probablement sous-estimé.
Une banalisation de l’islamophobie
L’année 2015, marquée par des attentats et une montée des actes islamophobes, a enregistré le plus grand nombre d’attaques avec 11 lieux de culte ciblés. Depuis, entre une et six mosquées sont incendiées chaque année. En 2024, on recense déjà six attaques, un chiffre record depuis 2015. Parmi ces 33 attaques, huit ont eu lieu pendant le ramadan ou à proximité de cette période.
Aucun territoire n’est épargné : des grandes villes comme Amiens (incendie du 10 octobre 2024), Metz (5 mai 2022), Nantes (9 avril 2021) ou Ajaccio (29 avril 2016) ont été touchées, tout comme des villages de moins de 2 000 habitants, à l’image de Parny-sur-Sault (Marne, 23 avril 2015) ou Lédignan (Gard, 15 novembre 2015). Sans établir de lien direct, certaines attaques coïncident avec des événements politiques majeurs, comme des élections nationales.

La mosquée de Maurepas, à Rennes, a ainsi été incendiée le 12 juin 2022, le soir du premier tour des législatives. Mohamed-Iqbal Zaïdouni, vice-président de l’association Espoir Amal, qui gère cette mosquée, s’interroge : « Est-ce un message qui consiste à dire que nous ne sommes pas les bienvenus ? On se sent méprisés, comme si on ne voulait pas de nous. Pourtant, qu’on le veuille ou non, l’islam a toute sa place en France. ». Pour Sihem Zine, responsable de l’association Action droits des musulmans (ADM), il y a – en France – une banalisation de l’islamophobie
« Cette banalisation engendre un sentiment profond de peur, d’insécurité et de vulnérabilité. Les insultes à caractère islamophobe, autrefois condamnées, sont désormais monnaie courante, et les médias, les discours politiques ainsi que les réseaux sociaux contribuent largement à cette normalisation. »
Des signes avant-coureurs avant l’incendie
Avant d’être incendiées, plusieurs mosquées avaient déjà été victimes d’intimidations. À Auch, dans le Gard, en janvier 2015, des individus avaient lancé des lardons de porc dans la cour de la mosquée. Huit mois plus tard, l’édifice était ravagé par les flammes. À Vitrolles, une tête de sanglier avait été déposée devant l’entrée d’une mosquée en travaux, avant qu’un bâtiment de chantier ne soit incendié peu après.
Les attaques prennent différentes formes : des balles de fusil tirées sur la mosquée de Cherbourg, une poubelle incendiée poussée contre l’entrée de celle de Haguenau (Bas-Rhin), un tag « Félon » inscrit sur la vitre de la mosquée de Jargeau (Loiret), quelques semaines avant que la salle de prière ne soit réduite en cendres.

La mosquée de Bayonne a été ciblée à plusieurs reprises avant d’être incendiée le 28 octobre 2019. En janvier 2015, des graffitis racistes avaient été retrouvés sur les murs. Puis, en août 2017, des moteurs incendiaires avaient été lancés contre le bâtiment. Enfin, en 2019, Claude Sinké, un octogénaire d’extrême droite, a tenté de mettre le feu à la porte d’entrée avant de tirer sur deux fidèles qui tentaient de s’échapper.
Ni le président ni le ministre de l’Intérieur ne se sont déplacés. Le parquet n’a pas retenu la qualification terroriste. L’agresseur est décédé en détention provisoire. Cette attaque a contribué à l’organisation d’une manifestation contre l’islamophobie à Paris, le 10 novembre 2019, à laquelle le Parti socialiste a refusé de participer.
Médias et politiques aux abonnés absents
Tout comme à Bayonne, ce sont des militants d’extrême droite qui ont incendié l’une des mosquées de la Tour-du-Pin (Isère) dans la nuit du 14 au 15 août 2016. Mais quelles ont été les réactions politiques et judiciaires ? Rares, voire inexistants. Malgré les plaintes déposées, peu d’enquêtes aboutissent. Sur les 33 incendies ou tentatives recensés, les condamnations sont quasiment inexistantes.

À part quelques tweets, le soutien politique est minimal. Lors du dernier incendie en février, qui a détruit la salle de prière de Jargeau fin, la préfète du Loiret, Sophie Brocas, ne s’est pas rendue sur place. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est contenté d’un message sur Twitter pour « exprimer son soutien aux musulmans de Jargeau ».
Cette indifférence s’inscrit dans un traitement médiatique et politique qui tend à voir les musulmans « davantage comme une menace que comme des victimes », analyse la journaliste et militante antiraciste Sihame Assbague.
« Les musulmans sont poussés à adopter des politiques de respectabilité, à prouver leur humanité en répondant aux exigences toujours plus élevées des dominants. Ils finissent également par intégrer la distinction raciste entre la « bonne » et la « mauvaise » victime d’islamophobie. »

Invisibiliser et diaboliser les organismes de recensement
L’université Olivier Le Cour Grandmaison, auteur de Racismes d’État, États racistes (2024), souligne quant à lui que « les racismes ne sont pas tous combattus de façon égale ». Il illustre son propos par une comparaison : « Imaginons un instant que 33 synagogues ou églises ont été incendiées ou visées par des tentatives d’incendie sur la même période. Les autorités réagiraient immédiatement et mis ces affaires en haut de leur agenda politique. »
Ce manque de reconnaissance pousse certains à quitter la France, comme l’ont documenté Olivier Esteves, Alice Picard et Julien Talpin dans La France, tu l’aimes mais tu la quittes (2024). Ce traitement fragmenté empêche une prise de conscience collective et contribue à invisibiliser l’ampleur du phénomène. Cette situation résulte également de choix politiques visant à délégitimer les organismes qui assuraient auparavant ce travail de recensement, comme le CCIF.
« En minorant, on banalise. Et quand les chiffres des actes islamophobes baissent, on laisse entendre que c’est moins grave », dénonce Idir Boumertit, député LFI du Rhône. Face à cette situation, il prépare une résolution visant à créer une commission d’enquête parlementaire sur l’islamophobie.