A partir du IXᵉ siècle, la Sicile fut progressivement conquise par les Aghlabides, une dynastie arabe issue de l’empire islamique. Jusqu’au milieu du XIᵉ siècle, l’île fut totalement intégrée au monde arabo-musulman. Cette période a laissé une empreinte durable qui participe encore aujourd’hui à la singularité culturelle de la Sicile. Le retour de la rédaction.
À partir de l’an 827, les troupes venues d’Afrique du Nord entament la conquête de la Sicile alors sous domination byzantine. Progressivement, jusqu’au milieu du XIᵉ siècle, l’île passe sous la domination arabo-musulmane. Cette période a profondément marqué l’identité culturelle de la Sicile. Depuis, l’île italienne porte un héritage arabe visible dans sa gastronomie, ses traditions religieuses, sa langue et sa culture, ainsi qu’une réputation de terre de tolérance.
Prospérité musulmane et tolérance religieuse
Alors que le reste de l’Europe traversait, au Moyen-Âge, une ère qualifiée d’obscure sur les plans social et culturel, la Sicile, elle, a bénéficié des savoirs arabes dans les domaines des arts, des sciences, de l’agriculture et de l’architecture. Rapidement, l’île est devenue un pôle islamique prospère, où régnait une forme de tolérance religieuse.
Les musulmans n’imposèrent pas leur foi aux chrétiens et aux juifs déjà présents sur l’île, leur permettant de continuer à pratiquer leur religion en échange d’un impôt spécifique. Chaque dimension de la société sicilienne garde des traces de cette influence islamique médiévale, tant sur le plan matériel que symbolique.
Il suffit d’arpenter les ruelles blanches et sinueuses de Mazara del Vallo, surnommée « la casbah », pour retrouver l’esthétique des villages marocains perchés dans l’Atlas. À Palerme, capitale de l’île depuis le Moyen Âge, plusieurs églises ont été érigées sur d’anciens sites de mosquées, conservant des éléments architecturaux islamiques.

Une empreinte culturelle millénaire
Après le déclin de la domination musulmane, nombre d’édifices furent transformés ou disparurent, mais leur style inspira largement les architectes normands. Dans son ouvrage Sicile arabe et Sicile normande – châteaux arabes et arabo-normands, l’archéologue français Jean-Marie Pesez souligne qu’il est « difficile de trouver des témoins de la Sicile musulmane qui n’appartiennent pas à la période suivante ».
L’empreinte arabe dépasse la seule architecture : elle imprègne aussi la langue. Le dialecte sicilien compte plus de 500 mots d’origine arabe. « De nombreuses villes siciliennes doivent leur nom à l’arabe, y compris Palerme, la capitale, dont le nom vient de “Balarm”, la manière dont les Arabes ont adapté le nom grec originel, “Panormos” », explique Cristina La Rosa, professeure de linguistique arabe à l’université de Catane.
Bien que la domination arabe ait officiellement pris fin en 1072, la langue arabe a continué d’être utilisée, notamment par les communautés juives arabophones de Sicile, jusqu’à leur expulsion en 1492. L’arabe est ainsi resté vivant durant encore plusieurs siècles.

L’Islam reste une religion non reconnue en Italie
Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec le boom économique italien, que de nouveaux flux migratoires ont ramené des Arabes – majoritairement musulmans – sur l’île, attirés par les opportunités économiques. Pour Abdelhafid Kheit, président de la Communauté islamique de Sicile, cette nouvelle intégration a été « presque naturelle », du fait de ces liens historiques profonds.
Aujourd’hui, près de 1,6 million de musulmans vivent en Italie, soit environ 4 % de la population. Parmi eux, près d’un million sont désormais naturalisés ou nés en Italie. Cependant, malgré leur importance démographique, l’islam n’est toujours pas reconnu officiellement par l’État italien.
Il n’existe donc pas de législation spécifique sur les lieux de culte, ce qui empêche leur financement public. Seules quelques mosquées bénéficient d’un statut officiel, tandis que de nombreuses salles de prière fonctionnent de manière informelle.

La Sicile, terre d’accueil et d’intégration
Parmi les mosquées reconnues figure celle de Catane, deuxième plus grande ville sicilienne. Fondée en 1980, elle fut la première mosquée moderne enregistrée en Italie. Baptisée Moschea della Misericordia et inauguré en 2012, elle se trouve dans le cœur historique de la ville. Chaque vendredi, des centaines de fidèles s’y rassemblent autour de l’imam Abdelhafid Kheit.
« L’islam n’est peut-être toujours pas officiellement reconnu comme religion, mais cela n’a pas changé notre acceptation en Sicile, où l’islam faisait déjà partie culturellement de l’île », affirme-t-il.
Parmi les fidèles réguliers, on trouve Lhoussine Sardi, Italien de première génération dont le père a émigré du Maroc dans les années 1980. Pour lui, même si l’immigration récente a facilité l’inclusion, « la Sicile était déjà une terre accueillante pour ceux qui cherchaient à s’y sentir chez eux ».
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