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Jean Sur :  « Faire changer le monde, c’est changer soi-même de posture vis-à-vis de lui »

Jean Sur :  « Faire changer le monde, c’est changer soi-même de posture vis-à-vis de lui » Mizane.info

Ecrivain, humaniste, auteur d’une quinzaine d’ouvrages, Jean Sur est mort à 90 ans. Mustapha Cherif lui rend hommage dans un texte à lire sur Mizane.info.

Jean Sur, écrivain français et formateur en entreprise, nous a quitté, à l’âge de 90 ans, le 21 Avril 2024. Foudroyé par la maladie, il laisse un grand vide. Il était porteur d’une pensée critique, humaniste, progressiste, pleine et exigeante. Il était bon, attentif à l’altérité et à la justice, pour le vivre ensemble. Sa francité était assumée et chaleureuse, ouverte sur le monde.

Il offre un regard incisif sur la modernité et la condition humaine. Observateur averti et sensible du monde du travail, il a durant des décennies étudié les mécanismes du rapport entre culture et économie. Il se préoccupait du triple développement : de la personne, du citoyen et du travailleur.

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, de plusieurs pièces de théâtre et de nombreux articles, avec la « Mise en expression », méthode d’inspiration socratique, il a proposé une conception alternative de la formation permanente. Il croyait possible et souhaitable l’articulation entre le spécifique et l’universel, entre l’un et le multiple, entre l’individu et le commun. Pour cela il était ouvert au vrai débat.

Discuter et échanger avec Jean était un bonheur. Sa maitrise de la langue française était géniale, lumineuse, poétique, hors du commun. Il n’est pas étonnant qu’il fût ami d’Aragon. Parfois je sollicitais Jean pour relire mes manuscrits. Il me comprenait fort bien. Un de ses livres qui a passionné des générations est « Alternative au management », paru aux éditions Syros. « L’amitié intellectuelle enfante, disait-il, pourvu qu’elle soit droite et désintéressée, un quelque chose que je ne sais nommer. »

Dans notre parcours Intellectuel, nous avions au moins un point commun : nous étions tous deux proches amis du savant professeur au Collège de France, Jacques Berque, né en Algérie en 1910, mort dans les Landes en 1995.

Connaisseurs de cette figure majeure et subtile du dialogue des civilisations, et de la décolonisation, nous avions ensemble écrit un livre paru aux éditions Anep à Alger, sur ce maître de l’orientalisme, de l’islamologie et de l’anthropologie, passeur entre les deux rives, intitulé « Jacques Berque, Orient-Occident ».

Berque nous inspirait de par sa vision engagée du monde, soucieuse d’équité et de passerelles et sa discipline scientifique pour faire connaître le vrai visage de l’islam : Histoire sociale de l’Islam contemporain. Jean Sur avait auparavant écrit deux livres d’entretiens avec Jacques Berque, le premier « Les Arabes, l’islam et nous », paru en 1995 – juste après la mort de Berque – aux éditions Mille et Une Nuits. Le deuxième « Il reste un avenir », une réédition d’autres entretiens avec Jacques Berque, aux éditions Arlea.

La pensée de Jean Sur, intellectuel inclassable, peut se traduire par cette phrase qu’il a écrit : « …la fraternité première des gens qui ont le bonheur de chercher leurs signes vrais. Et aussi le regard neuf qu’ouvre cette fraternité-là, et le goût de réfléchir qu’elle cheville non pas dans la boîte crânienne mais au cœur de la chair. »

Exigeant avec lui -même, il a ouvert un site magnifique où il s’adresse au monde : Résurgences. Il voulait passer à une existence plus libre, plus généreuse, plus ouverte. Jean Sur était un homme de principes et de paix, ami de tous les humains et des peuples épris de justice et opposé à l’exploitation de l’homme par l’homme.

En 2003, à l’occasion du colloque Algérie-France « Hommage aux grandes figures du dialogue des civilisations » Il proclamait que « critiquer la culture moderniste, c’est aider l’Occident à faire un pas en direction du monde. »

En 2004, il a participé à Alger à l’Hommage national à Jacques Berque, que nous avions organisé à La Bibliothèque Nationale. En souvenir, il écrira : « C’est ici, à cause de ce pays, que, sans même m’en apercevoir, j’ai commencé ma vraie vie. » Dans une époque décadente marquée par la xénophobie et le fanatisme, il défendait l’attachement au respect de la dignité humaine.

Il réfutait avec force et clarté l’islamophobie : « En accusant d’ignorance, de vulgarité et de fanatisme des millions d’êtres humains, (elle) produit elle-même un remarquable concentré d’ignorance, de vulgarité et de fanatisme ». Un de ses leitmotivs était : Faire sauter les ciments pétrifiés ». Il n’hésitait pas à affirmer « L’Occident doit se décoloniser de soi-même. »

Sur le fond, il savait que l’économique, le politique et la technique ne suffissent pas pour forger une humanité épanouie. L’essentiel est aujourd’hui en danger, c’est à dire le sens de l’humain, sa vocation, les finalités de l’existence. Avec Jacques Berque et Jean Sur nous pensons que la politique n’est plus un recours suffisant pour répondre aux problèmes du temps.

Le fondamental est remis en cause par le monde dominant, deshumanisant, et les réactions irrationnelles, et c’est à ce niveau qu’il faut porter notre attention. Jean Sur en homme vivant insistait : « Faire changer le monde, ce n’est pas le commenter, c’est changer soi-même de posture vis-à-vis de lui ».

Il suivait une ligne de conduite humaine, il disait : « qui nous conduit à être tout ce que nous sommes, d’emblée présents aux autres, à ce monde et à cette Histoire que nous n’avons pas inventés, présents d’une présence humble mais non négociable, attentive mais irrépressible. » Il s’opposait au conformisme, au fatalisme et au désespoir. Certainement. Adieu l’ami.

Mustapha Cherif, philosophe, écrivain

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