Plongée dans quelques textes du juriste et théologien damascène Ibn Taymiyya sur Jésus, traduit par l’un des plus grands spécialistes de sa pensée, Yahya Michot, sur Mizane.info.
[Ibn Taymiyya] – le Dieu Très-Haut lui fasse miséricorde ! – fut interrogé à propos de deux hommes qui se disputaient au sujet du Prophète de Dieu, Jésus, le fils de Marie – sur lui la paix !
« Jésus, le fils de Marie, » disait l’un des deux, « Dieu l’a fait trépasser (tawaffa-hu), puis élevé vers Lui » ; tandis que l’autre disait : « Au contraire, Il l’a élevé vers Lui vivant ! » Qu’est-ce qui est correct à ce sujet ? Dieu l’a-t-il élevé ou non avec son organisme (jasad), ou son esprit ? Quelle est la preuve de ceci ? et de cela ? Et quelle est l’exégèse de ces paroles du Très-Haut : « Voici que Je te recouvre (mutawaffi-ka) et t’élève vers Moi. »
À Dieu la louange ! répondit-il. Jésus – sur lui la paix ! – est vivant. Dans le Sahih, il est établi à propos du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – qu’il a dit : « Le fils de Marie descendra parmi vous en juge juste et imam équitable. Il brisera les croix, tuera les porcs et imposera la capitation (jizya). »
Dans le Sahih, ceci est aussi établi à son propos : il descendra sur le minaret blanc, dans la partie est de Damas, et tuera l’imposteur (dajjal). Quelqu’un dont l’esprit se serait séparé de l’organisme, son organisme ne descendrait pas du ciel. Et s’il était ressuscité, il surgirait de sa tombe.
L’élévation corps et esprit de Jésus
Pour ce qui est de ces paroles du Très-Haut « Voici que Je te recouvre (mutawaffi-ka), t’élève vers Moi et te purifie de ceux qui furent des infidèles », c’est une preuve que, par-là, Il ne voulait pas parler de la mort. S’il avait par-là voulu parler de la mort, Jésus serait en cela comme le reste des croyants : Dieu prend (qaba’a) leurs esprits et les fait monter vers le ciel. On le sait, il n’y a là rien de spécial.
Il en va semblablement de Ses paroles : « …et te purifie de ceux qui furent des infidèles. » Si [323] son esprit s’était séparé de son organisme, son corps (badan) se trouverait enterré comme le corps du reste des Prophètes, ou d’autres Prophètes.
Dans un autre verset, le Très-Haut a dit : « Ils ne l’ont pas tué, ils ne l’ont pas crucifié, mais c’est ce qui leur a semblé. Ceux qui sont en désaccord là-dessus sont assurément dans le doute à ce sujet. Ils n’en ont d’autre savoir que la poursuite d’une opinion. Ils ne l’ont certainement pas tué. Bien plutôt, Dieu l’éleva vers Lui. »
« Bien plutôt, Dieu l’éleva vers Lui… » : ces paroles montrent à l’évidence qu’Il a élevé son corps et son esprit, tout comme il est établi dans le Sahih qu’il [re]descendra corps et esprit. S’Il avait voulu dire qu’il mourut, Il aurait dit : « Ils ne l’ont pas tué, ils ne l’ont pas crucifié, mais il est mort. » Ses paroles « Bien plutôt, Dieu l’éleva vers Lui… » montrent à l’évidence qu’Il a élevé son corps et son esprit, tout comme il est établi dans le Sahih qu’il [re]descendra corps et esprit.
C’est pourquoi un des ulémas a dit : « Voici que Je te recouvre (mutawaffi-ka), c’est-à-dire Je te prends (qabid) ; c’est-à-dire Je prends ton esprit et ton corps. » « J’ai recouvré un compte » (tawaffaytu l-hisab), dit-on. Et : « J’en ai obtenu le recouvrement (istawfaytu-hu). »
Le terme « recouvrement » (tawaffin) ne signifie pas obligatoirement, en soi, le recouvrement de l’esprit et non du corps, non plus que le recouvrement des deux, sinon en vertu d’un contexte distinct. Par ce terme, on peut aussi vouloir dire le recouvrement [résultant] du sommeil, comme [c’est le cas dans] ces paroles du Très-Haut : « Dieu recouvre les âmes au moment de leur mort ». Il dit aussi : « C’est Lui Qui vous recouvre la nuit et sait ce que vous recherchez le jour. » Il dit également : « De sorte que, lorsque la mort advient à l’un de vous, Nos messagers le recouvrent. »
Des choses ont été évoquées, pour décrire le recouvrement du Messie, qui sont évoquées en leur lieu. Et le Dieu Très-Haut est plus savant !
Au deuxième ciel, avec la volonté de revenir sur terre
[Ibn Taymiyya] – le Dieu Très-Haut lui fasse miséricorde ! – fut interrogé à propos de ces hadiths [dans lesquels il est dit] que le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – vit Moïse – sur lui la paix ! – en train de prier dans son tombeau, qu’il le vit en train de circumambuler la Maison, et qu’il le vit dans le ciel ; et semblablement pour certains des Prophètes.
Quand quelqu’un meurt, lui reste-t-il des actions [qu’il peut alors accomplir] ? Il y a pourtant un hadith [disant] que ses œuvres s’interrompent [alors]. Et tire-t-on profit d’une telle prière et d’une telle circumambulation ? En ces [divers] endroits, [Muhammad] vit-il les Prophètes en leurs organismes (jasad) ou en leurs esprits ?
À Dieu, le Seigneur des mondes, la louange ! répondit-il.
[Quand le Prophète] vit Moïse – sur lui la paix ! – circumambuler, c’était une vision en songe ; cela ne se passa pas la nuit de son Ascension (mi‘raj). Ainsi du moins [cette vision] at-elle été interprétée. Il vit aussi le Messie, semblablement, et il vit l’imposteur (dajjal).
[Muhammad] vit par ailleurs, au ciel, [Moïse] et d’autres d’entre les Prophètes – la nuit de son Ascension, quand il vit Adam dans le ciel le plus bas, vit Jean et Jésus dans le deuxième ciel, Joseph dans le troisième, Idris dans le quatrième, Aaron dans le cinquième, Moïse dans le sixième et Abraham dans le septième, ou l’inverse. Cette fois-ci, il vit leurs esprits se représenter sous les formes (musawwara fi suwar) de leurs corps.
Peut-être, ont dit certaines gens, vit-il les organismes mêmes, ensevelis dans les tombes. Ceci n’a cependant aucun sens. [329] Jésus monta d’ailleurs au ciel avec son esprit et son organisme. Chose semblable a été dit ce qui concerne Idris. Quant à Abraham, Moïse et les autres, ils sont ensevelis, en terre.
Cela ne peut manquer, le Messie – Dieu prie sur lui et sur le reste des Prophètes, et leur donne la paix ! – [re]descendra vers la terre sur le minaret blanc, dans la partie est de Damas. Il tuera l’imposteur, brisera les croix et tuera les porcs ainsi qu’établi dans les hadiths authentiques.
Voilà pourquoi il était dans le deuxième ciel alors même qu’il est plus éminent que Joseph, Idris et Aaron : il veut en effet [re]descendre vers la terre avant le Jour de l’Anastasie, à la différence des autres.
La béatitude de la louange
Adam se trouvait dans le ciel le plus bas parce que les mânes (nasam) de ses enfants lui sont présentés – les esprits des bienheureux et [ceux] des misérables, « pour qui les portes du ciel ne s’ouvriront pas et qui n’entreront point dans le Jardin jusqu’à ce que le chameau ne pénètre dans le chas de l’aiguille. » Comme ils lui sont présentés, il faut donc, immanquablement, qu’il soit proche d’eux.
Que [le Prophète] a vu Moïse debout en train de prier dans sa tombe et qu’il l’a aussi vu dans le ciel, l’un n’exclut pas l’autre. Les affaires (amr) des esprits sont en effet du [même] genre que les affaires des anges : en un instant ils montent et descendent comme les anges ; ils ne sont pas, s’agissant de cela, comme les corps.
J’ai parlé ailleurs, de manière étendue, du statut des esprits après leur séparation des corps et j’ai [alors] mentionné une partie de ce qu’il y a à ce sujet comme hadiths, comme récits et comme preuves.
Une telle prière, et des actions similaires, sont d’entre les choses dont le mort jouit et auxquelles il trouve de la béatitude, tout comme les gens du Jardin en trouvent [330] à glorifier [Dieu]. Il leur est en effet inspiré de [Le] glorifier tout comme, dans ce bas-monde, il est inspiré aux hommes de respirer. Il ne s’agit pas là d’une action imposée par la religion (‘amal altaklif) et pour laquelle on demande une récompense distincte.
Cette action elle-même participe de la béatitude que les âmes ont et en laquelle elles trouvent plaisir. « Lorsque le fils d’Adam meurt, ses œuvres s’interrompent, à l’exception de trois d’entre elles : une aumône qui se perpétue, un savoir dont on a de l’utilité, un enfant vertueux qui invoque [Dieu] pour lui. »
Par ces paroles, le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – visait les œuvres pour lesquelles il y a une récompense. Il ne visait pas, par-là, les actions mêmes auxquelles on trouve de la béatitude.
Les gens du Jardin trouvent de la béatitude à regarder Dieu, ils trouvent de la béatitude à se souvenir de Lui et à Le glorifier, ils trouvent de la béatitude à la lecture du Coran.
Au lecteur du Coran on dira : « Lis et enchante[-nous] ! Déclame-le comme tu le déclamais dans ce bas-monde ! Ta demeure se trouve en effet auprès du dernier verset que tu liras. »
[Les gens du Jardin] trouvent de la béatitude à s’adresser à leur Seigneur et à converser avec Lui. Alors même qu’il s’agit là, dans ce bas-monde, d’actions auxquelles une récompense est attachée, ce sont dans l’au-delà des actions auxquelles leur auteur trouve une béatitude plus grande qu’à manger, boire et coïter.
Certes, il s’agit là aussi d’actions. Boire, manger et coïter sont, en ce bas-monde, d’entre les choses qu’il nous est ordonné de faire et pour lesquelles on est récompensé, quand elles sont accompagnées d’une intention vertueuse.
Dans l’au-delà, elles constituent par ailleurs la récompense même à laquelle on trouve de la béatitude. Et Dieu est plus savant ! Voilà tout ce que ce feuillet permettait d’écrire, alors qu’il serait possible de s’étendre longuement sur ces questions.
Jésus jugera selon la Loi de Muhammad
Les questions suivantes furent posées à [Ibn Taymiyya] – le Dieu Très-Haut lui fasse miséricorde ! Les gens du Jardin mangent-ils, boivent-ils et coïtent-ils en y trouvant du plaisir comme en ce bas-monde ? Ces corps ci seront-ils ressuscités en leur identité (bi-‘ayniha) ? Jésus est-il vivant ou mort ? Lorsqu’il [re]descendra, jugerat-il selon la Loi (shari‘a) de Muhammad – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – ou selon sa première Loi à lui, ou bien une nouvelle Loi lui sera-t-elle donnée ?
Les gens du Jardin, répondit-il, mangent, boivent et coïtent, en trouvant par-là de la béatitude. Il y a à ce sujet consensus (ijma‘) des Musulmans, tout comme le Livre et la Tradition (sunna) en parlent. Ce n’est nié que par ceux des Juifs et des Nazaréens qui le nient.
Ces organismes-ci (jasad) sont ceux qui seront ressuscités, ainsi que le Livre et la Tradition le disent. Jésus est vivant, dans le ciel, et il n’est pas encore mort. Lorsqu’il [re]descendra du ciel, il ne jugera que selon le Livre et la Tradition, non pas selon autre chose, qui en serait différent. Et Dieu est plus savant !
Yahya Michot
Notes :
*Textes extraits des épîtres « La Réponse valide à ceux qui ont remplacé la religion du Messie par d’autres choses » et « l’Épître chypriote ».