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Hussain : « Nous sommes à Dieu et nous retournons à lui ! »

Illustration de la bataille de Karbala.

Second acte de la narration de la tragédie de Karbala par Tabari dans ses Chroniques*. Privés d’eau par l’armée de Oubaydallah ibn Ziyad, Hussain et ses fidèles combattent l’ennemi jusqu’à ce que la soif et le déséquilibre massif des forces fassent leur sinistre office. Récit du martyr successif de Hussayn, de ses cinq frères et de leurs fils survenu le jour de ‘Achoura, suivi de l’épilogue.

Un homme de l’armée d’Omar, fils de Sa’d, nommé ‘Abdallah, fils d’Omaïr, s’avança vers Hussain et lui dit : « Tu vas être précipité dans le feu de l’enfer ! » Hussayn répliqua : « Que le jour n’arrive jamais où, paraissant devant Dieu, je doive m’attendre au feu de l’enfer ! » Puis il ajouta : « Seigneur, fais périr cet homme ! » Lorsque ‘Abdallah s’en retourna, son cheval fit un faux pas dans le fossé ; ‘Abdallah tomba et son pied étant resté dans l’étrier, il fut traîné sur le sol jusqu’à ce qu’il fût mort.

Hourr, fils de Yezid, le Tamimite, le même qui était venu au-devant de Hussayn et lui avait annoncé l’approche de l’armée ennemie, se présenta ensuite et salua Hosaîn, en le bénissant, lui et le Prophète.

Hussayn lui demanda : « Que viens-tu faire? » — « Je viens, répliqua ‘Hourr, pour te sacrifier ma vie ; je veux lutter contre tes ennemis jusqu’à la mort. » Hussayn dit : « Que Dieu t’accorde un martyre propice ; tu vas entrer dans le paradis en homme libre, comme l’indique ton nom ! »

« Ces hommes ont fait un pacte avec la mort »

Schamir dit à Omar, fils de Sa’d : « Pourquoi hésites-tu ? Commence l’attaque. » Omar ajusta une flèche sur son arc et dit : « Vous êtes témoins que c’est moi qui lance le premier trait. » Et il le lança. Alors, deux hommes de son armée, affranchis de Obaïdallah, fils de Ziyâd, l’un nommé Yasar, l’autre Sâlim, s’avancèrent et défièrent les gens de Hussayn.

Habib, fils de Moutahhar, et Bouraïr, fils de Khedaïr, répondirent au défi et les tuèrent. Bouraïr tua également Ma’qil, fils de Yezîd, et un autre homme qui avait défié l’armée de Hussayn. Mouzâ’him, fils de Hour’ath, de l’armée d’Omar, fut tué par Nâft, fils de Hilâl. La chaleur était devenue forte, et les amis de Hussayn souffraient de la soif.

‘Amr, fils de Haddjâdj, qui commandait l’aile droite de l’armée de Omar, lui dit : « Ces hommes ont fait un pacte avec la mort ; il n’est pas possible de les vaincre individuellement; il faut une attaque générale. » Omar fit avancer les archers et leur ordonna de tirer tous à la fois. Vingt hommes de la troupe de Hussayn tombèrent morts; tous les autres furent blessés, mais ils continuèrent la lutte.

A lire également : Karbala vu par Tabari : Acte I – Alliance et désaveu

Le tour de combattre était venu à Hussayn, et il s’avança. Mais ses compagnons lui dirent : « Fils de l’apôtre de Dieu, aussi longtemps qu’il en restera un seul d’entre nous, nous ne te laisserons pas aller au combat. » Hussayn, les larmes aux yeux, répliqua : « Que Dieu vous récompense ! » Ils partirent successivement, et chacun qui s’avançait dit : « La paix sur toi, fils de l’apôtre de Dieu, salut »; et Hussayn répondait : « Sur toi la paix ; pars, je te suivrai. » Quand tous ses amis furent tués ou blessés et qu’il ne resta avec lui que ses frères, ses fils, ses neveux et les membres de sa famille, Hussayn dit : « Voilà mon tour. » Ceux-ci dirent : « Tant que nous serons vivants, il ne serait pas juste que tu allasses au combat. » Puis, son fils Alî, l’aîné, le premier d’entre les membres de sa famille, s’avança en chantant : « Je suis Ali, fils de Hussayn, fils d’Ali. Nous autres, par le Seigneur du temple ! Nous sommes les plus proches parents du Prophète ! Jamais, par Dieu, le fils du bâtard ne sera notre maître ! » Et, devant les yeux de son père, il chargea l’ennemi à dix reprises, et à chaque assaut il tua deux ou trois hommes.

Le martyr de Ali, fils de Hussayn

Il était épuisé de soif, et sa langue était sèche. Il vint auprès de Hussayn et lui dit : « Mon père, j’ai soif. » Hussayn répliqua : « Mon fils, que mon corps soit ta rançon; que puis-je faire ? » Puis il s’approcha de lui et mit sa langue dans la bouche de son fils.

Etant retourné au combat, un homme, nommé Mourra, fils de Sa’d, vint à sa rencontre, se glissa derrière lui et lui asséna un coup de sabre. Ali tomba et fut aussitôt entouré par un grand nombre d’ennemis, qui mirent son corps en pièces. Hussayn, en voyant son fils en cet état, se mit à pleurer et à sangloter (on ne l’avait jamais entendu pleurer jusqu’à ce jour), et Zaïnab sortit de la tente et se jeta sur le corps d’Ali en poussant des cris.

Abdallah, fils de Mouslim, fils de ‘Aqil, s’avança ensuite. Un homme, nommé [‘Amr, fils de] Çabî’h, le visa et lui lança une flèche qui cloua sa main à son front. Lorsque Abdallah se retira, le même homme tira de nouveau sur lui ; la flèche entra dans le dos et sortit par le ventre. Dja’far, fils de ‘Aqil, fut tué par une flèche qui lui entra dans le ventre.

Qâsim (10 ans) : « Mon oncle, je t’adjure par le Prophète, laisse-moi aller ! »

Il ne resta plus avec Hussayn que ses cinq frères, ‘Abbâs, ‘Abdallah, ‘Othmân, Mo’hammed et Dja’far. Ses deux autres frères, Mo’hammed, fils de la ‘Hanifite, et ‘Omar, étaient restés à la Mecque. Qâsim, fils de Hassan, qui n’avait que dix ans, sortit de la tente un sabre à la main. Hussayn lui dit : « Rentre, tu es trop jeune pour combattre ». Qâsim dit : « Mon oncle, je t’adjure par le Prophète, laisse-moi aller ! » Et il partit. Un cavalier s’élança sur lui et lui asséna un coup de sabre qui fendit la tête en deux moitiés. Les frères de Hussayn se jetèrent ensuite sur l’ennemi, tous les cinq en même temps. Ils furent entourés et tués.

Puis le cheval de Hussayn tomba, frappé par une flèche. Hussayn mit pied à terre. C’était vers l’heure de la prière de l’après-midi.

Hussayn, affaibli par les tourments de la soif, s’assit par terre. Plusieurs soldats ennemis s’approchèrent de lui pour le tuer ; mais aucun d’eux n’osa le frapper. Ils s’en allèrent en disant qu’ils ne voulaient pas se charger de la responsabilité de sa mort.

Hussayn avait un enfant, nommé Abdallah, âgé d’un an. Touché au cœur par ses cris, il le prit sur son sein et pleura. Un homme des Beni-Asad tira sur lui ; la flèche pénétra dans l’oreille de l’enfant qui expira sur-le-champ. Hussayn le déposa par terre et s’écria : « Nous sommes à Dieu et nous retournons à lui ! Seigneur, donne-moi la force de supporter ces malheurs ! »

Le martyr de Hussayn

Il se leva. Complètement épuisé par la soif, il se dirigea vers l’Euphrate et chercha un endroit où il pût boire. Schamir s’écria : « Malheur à vous ! Ne le laissez pas boire ! Il est mort par les effets de la soif, et s’il boit, il reviendrait à la vie ! »

Au moment où Hussayn se penchait et aspirait l’eau, une flèche fut lancée sur lui et entra dans sa bouche. Hussayn rejeta la gorgée d’eau qu’il n’avait pas encore avalée, retira la flèche de son palais, quitta les bords du fleuve et se plaça à l’entrée de sa tente, perdant le sang par la bouche. Omar, fils de Sa’d, courut vers lui pour le tuer. Quand il se fut approché, Hussayn lui dit : « Tu viens pour me tuer ? » Omar en eut honte.

Il s’en retourna et dit à ses fantassins : « Pourquoi restez-vous ainsi tranquilles, hésitant à l’entourer et à le tuer ? » Alors, les soldats fondirent de tous les côtés sur Hussayn, qui les attaqua et en tua plusieurs. Schamir et Omar, fils de Sa’d, regardèrent de loin. Schamir dit : « As-tu jamais vu un homme qui, après avoir perdu tous les gens de sa maison, après avoir reçu tant de blessures, privé d’eau depuis si longtemps et assailli par tant de soldats, ait montré tant de vaillance ? »

Hussayn continua à se défendre contre les soldats ; blessé en trois ou quatre endroits de son corps par des coups de sabre, des coups de lance et par des flèches, il perdit une grande quantité de sang et ses blessures augmentèrent sa soif. Alors, Schamir, avec six hommes de sa suite, se lança sur lui.

Hussayn les reçut en faisant jouer son sabre. Un homme, nommé Zor’a, lui asséna un coup de sabre qui lui détacha le bras de l’épaule. Hussayn tomba, puis il se releva et voulut se jeter sur cet homme, mais il tomba de nouveau. Zor’a se glissa derrière lui et lui plongea dans le dos sa lance, dont la pointe sortit par la poitrine. Zor’a, en retirant sa lance du corps de Hussayn, qui était tombé sur sa face, lui arracha le dernier souffle de la vie.

Schamir s’approcha et lui trancha la tête ; Qaïs, fils d’Asch’ath, lui enleva la chemise; Ba’hr, fils de Ka’b, le caleçon; Akhnas, fils de Mazyad, le turban, et ‘Habib, fils de Bodsaïl, le sabre. Schamir fit ensuite piller la tente; on arracha même aux femmes leurs vêtements.

La profanation de la dépouille de Hussayn

Omar, fils de Sa’d, entendant les cris des femmes, arriva au moment où Schamir, le sabre à la main, allait tuer Ali le jeune, ce fils de Hussayn qui était malade. Omar lui dit : « N’as-tu pas honte de tuer un enfant ? » Schamir répliqua : « L’émir ‘Obaïdallah, fils de Ziyâd, m’a ordonné d’exterminer tous les mâles de sa famille. » ‘Omar dit : « Les infidèles mêmes ne tuent pas les enfants ! Amène-le auprès de l’émir; il statuera à son égard. » Les soldats empêchèrent Schamir de tuer l’enfant. Schamir dit ensuite à Omar : « L’émir a ordonné de faire fouler le corps de Hussayn aux pieds des chevaux. » En conséquence, il commanda à vingt cavaliers, parmi lesquels se trouvaient Ish’àq, fils de Haïwa, et Akhnas, fils de Mazyad, de faire passer leurs chevaux sur le corps de Hussayn, qui fut broyé.

On passa la nuit en cet endroit. Omar expédia une lettre à ‘Obaïdallah et lui envoya la tête de Hussayn par Khawall, fils de Yezid, de la tribu d’Açba’h. Le lendemain, il enterra les morts de son armée au nombre de quatre-vingt-huit, en laissant sans sépulture les cadavres de Hussayn et des siens. On fit monter les femmes sur des chameaux, et l’on prit la route de Koufa.

On raconte que, au moment du départ, une voix plaintive, sortant de l’air, fit entendre les vers suivants : « Comment un peuple, qui a tué Hussayn, peut-il espérer l’intercession de son grand-père au jour du jugement dernier ? Ceux qui ont prononcé contre lui une sentence injuste, trouveront bien différente la sentence du jugement dernier ! » On entendit encore ces autres vers : « Ô vous qui, dans votre folie méchante, avez tué Hussayn, sachez que vous subirez un châtiment rigoureux. Certes, vous êtes maudits par la langue de David, de Moïse et de l’auteur de l’Évangile. »

Le corps de Hussayn et ceux des autres morts restèrent exposés, pendant trois jours, dans la plaine de Karbala, sans que personne n’osât les enlever. Enfin les habitants de Ghâdhiriyya, village situé sur les bords de l’Euphrate, qui appartenaient à la tribu d’Asad, dirent entre eux : « Musulmans, ces cadavres deviennent la proie des lions et des loups ; craignez Dieu ! » Alors ils se concertèrent et vinrent enterrer le corps mutilé de Hussayn. Ils mirent à ses pieds le corps de son fils Ali. Les autres martyrs furent enterrés tous ensemble, à un endroit bien connu, sauf ‘Abbàs, fils d’Ali, que l’on enterra à l’endroit même où il avait été tué, sur la route de Ghâdhiriyya.

Zaynab : « Gloire à Dieu, qui a honoré ma famille des fonctions d’apôtre et d’imâm »

Lorsque Khawal, portant la tête de Hussayn, arriva auprès de ‘Obaïdallah, fils de Ziyâd, il lui dit : « Tu dois me combler de cadeaux, car je t’apporte la tête du meilleur de tous les hommes ! » Le lendemain, Omar, fils de Sa’d, fit son entrée à Koufa, amenant les femmes et les enfants de la famille de Hussayn, qu’il traîna comme un troupeau de captifs [et les fit entrer dans le palais], Zaïnab avec les enfants s’assit dans un coin, entourée des enfants et des femmes de sa maison.

‘Obaïdallah demanda quelle était cette femme. On lui répondit que c’était Zaïnab, fille d’Ali. ‘Obaïdallah, se tournant vers elle, dit : « Gloire à Dieu, qui a découvert votre infamie, qui a fait périr vos mâles et qui a mis au jour l’imposture de ton père, de ton frère et de ton grand-père, qui prétendaient au rôle d’apôtres et d’imâms! »

Zaînab répliqua : « Gloire à Dieu, qui a honoré ma famille des fonctions d’apôtre et d’imâm, et qui a découvert l’infamie et l’imposture d’autres que nous, leur iniquité et leur impiété ; gloire à Dieu, qui nous a comblés de ses faveurs ! » ‘Obaïdallah dit : « Comment expliques-tu l’action de Dieu à l’égard des gens de ta famille ? » Zaînab répondit : « Dieu, dans le livre du destin, leur avait assigné une mort violente ; ils sont entrés dans leur repos ; et, certes, Dieu te réunira avec eux, et vous vous expliquerez devant lui. »

‘Obadaïllah voulut la faire tuer, mais ‘Awar, fils de Horaïth, qui était présent, lui dit : « Émir, c’est une femme malheureuse, dont les paroles ne tirent pas à conséquence. » ‘Obaïdallah dit à Zaînab : « Dieu m’a rendu insensible aux injures et aux insolences de ta famille. » Zaînab répliqua : « Par ma vie ! Tu as tué mon vieillard et dispersé mes gens ; tu as coupé mes branches et arraché ma racine. Si c’est cela qui t’a rendu insensible, alors tu es bien insensible. » Et elle pleura. ‘Obaïdallah dit : « Cette femme a l’éloquence de son père ! » Puis il toucha avec une baguette la bouche de Hussayn, en récitant ce vers : « Nous tranchons les têtes des hommes qui nous sont chers, mais qui sont devenus rebelles et insolents. »

« C’est le seul survivant de notre famille ; si tu veux le tuer, fais-nous mourir d’abord »

Il se tourna ensuite vers Ali, fils de Hussayn, et lui demanda son nom. — « Ali, fils de Hussayn », répondit l’enfant. — « On m’avait dit, reprit ‘Obaïdallah, que Dieu a tué Ali, fils de Hussayn ». Alî hésitant à répondre, ‘Obaïdallah lui dit : « Pourquoi ne parles-tu pas ? » ‘Ali dit : « J’avais un frère, nommé également Alî, plus âgé que moi, que les hommes ont tué. » ‘Obaïdallah s’écria avec colère : « Voyez si ce garçon a les signes de la virilité; dans ce cas, je veux le faire mourir. » — « Il les a », répondirent ses gens; et ‘Obaïdallah donna l’ordre de le tuer. Alors Zaïnab et les autres femmes poussèrent des cris et lui dirent : « C’est le seul survivant de notre famille ; si tu veux le tuer, fais-nous mourir d’abord ; car nous n’avons plus d’autres parents que lui ! » ‘Obaïdallah renonça à son dessein. ‘Obaïdallah, après avoir donné l’ordre de conduire ces femmes, la tête découverte, à Damas, [se rendit à la mosquée], monta en chaire et parla en ces termes : « Gloire à Dieu, qui a fait paraître le droit et montré quels étaient les siens; qui a donné la victoire au prince des croyants Yezîd et à son armée, et qui a tué l’imposteur, fils de l’imposteur, et son parti. » L’un des assistants, ‘Abdallah, fils d’Afîf l’Azdite, se leva et dit : « Ennemi de Dieu, l’imposteur c’est toi, et ton père, et celui qui t’a nommé, et son père. Fils du bâtard, tu fais mourir les enfants des Prophètes et tu montes dans la chaire des justes ! »  ‘Obaïdallah donna l’ordre de le mettre à mort.

Le lendemain, il fit promener par les rues de Koufa la tête de Hussayn et celles des autres martyrs; puis, lorsqu’on les eut rapportées dans le château, il les remit à Za’hr, fils de Qaïs, pour les porter à Damas.

Epilogue

Quand Za’hr se présenta devant Yezid, celui-ci lui dit : « Ô Za’hr, malheur à toi ! Qu’apportes-tu, quelle nouvelle? » Za’hr, qui était l’un des hommes les plus éloquents de son temps, répliqua : « Sache, Yezid, que Dieu t’a donné la victoire; Hussayn, fils d’Ali, vint au-devant de nous avec dix-huit membres de sa famille et soixante de ses partisans. Nous les avions rejoints et nous leur proposâmes soit de se soumettre ou de venir auprès de l’émir ‘Obaïdallah, qui statuerait à leur égard, soit le combat. Ils choisirent le combat. Nous tombâmes sur eux avec le soleil levant et nous les pressâmes de tous les côtés; et lorsque les sabres eurent eu leur part de têtes de l’ennemi, ils se mirent à fuir de divers côtés et se cachèrent de nous derrière les collines et dans les fossés, comme les colombes se cachent du faucon. Mais par Dieu, prince des croyants, ils furent couchés et abattus, jusqu’à ce que nous en eûmes atteint le dernier, et voilà leurs corps dépouillés, leurs vêtements trempés de sang, et leurs joues souillées de poussière. Maintenant, les rayons du soleil les cuiront, les vents les balaieront, les aigles et les vautours les visiteront ! »

Yezîd fut ému par ce discours terrible ; il frappa, avec une baguette qu’il avait dans la main, sur la bouche de Hussayn et dit : « Que Dieu ait pitié d’Obaïdallah ! Nous nous serions contenté de la soumission des habitants de l’Irâq, sans ce meurtre. Mais toi (Hussayn), tu avais brisé les liens de la parenté et tu es devenu rebelle ! »

Abou-Barza, l’Aslamite, qui se trouvait présent, dit : « Écarte cette baguette de cette bouche, que le Prophète a maintes fois baisée. » Yezid, irrité de cette parole, lui mit la main sur la poitrine. Puis, se tournant vers Ali, le jeune fils de Hussayn, il lui dit : « Fils de Hussayn, ton père a brisé les liens de la parenté, il s’est révolté contre moi et a méconnu mon droit ; c’est pour cela que Dieu lui a fait ce que tu as vu. » Ali répliqua : « Il n’arrive rien sur la terre, ni à vous-mêmes, qui ne soit, dès avant que nous l’eûmes créé, écrit dans le livre. Et cela est facile à Dieu. » (Coran, 62/22) Yezid dit à son fils Khâled : « Réponds-lui ». Khâled ne trouvant pas de réponse, Yezid dit : « Tout ce qui vous arrive, vous l’avez gagné par vos œuvres. Mais Dieu pardonne beaucoup. » (Coran, 42/29)

Puis, en regardant Zaïnab et les enfants de Hussayn, il dit : « Que Dieu réprouve le fils de Merdjàna (‘Obaïdallah) ! S’il y avait des liens de parenté entre vous et lui, il n’aurait pas agi envers vous de cette manière. »

Yezid les fit ensuite conduire dans les appartements de ses femmes. Après quelque temps, il fit venir No’mân, fils de Beschîr, l’Ançâr, et lui ordonna de les mener à Médine et de les traiter avec beaucoup d’égards, et il leur fit fournir toutes les provisions pour le voyage. Avant leur départ, il fit appeler Ali, fils de Hussayn, et lui dit avec bienveillance : « Que Dieu maudisse le fils de Merdjâna ! Si j’avais été le maître du sort de ton père, je lui aurais accordé tout ce qu’il aurait désiré. Mais personne ne peut détourner ce qui a été décrété par Dieu ! » Ali retourna à Médine avec le reste de la famille du Prophète.

Notes :

L’ouvrage original en langue arabe de Tabari (Târîkh al-rusul wa l-mulûk) a fait l’objet de certaines critiques portant sur sa méthodologie dans la mesure où l’auteur aurait intégré toutes sortes de récits sans opérer de tri sélectif établi sur une approche historique critique. A ces critiques se sont ajoutées celles portant sur la version persane du livre de Tabari qui a « peu à peu remplacé » la version originale très volumineuse. Voici ce qu’en disait Hermann Zotenberg, auteur de l’une des deux traductions orientalistes existantes à partir de la version de Bel’ami.

« Vers 352 de l’hégire (968), le vizir Abou Ali Mohammed ben AbdAllah Bel’ami traduisit en persan, d’après les ordres de Mansour ben Nou’h, prince samanide dans le Khorasan, l’ouvrage de Tabarî, en supprimant les longues citations des autorités sur lesquelles Tabarî avait appuyé sa narration, et en choisissant une seule des différentes relations que l’auteur arabe rapporte sur un même fait. La version persane, à son tour, se répandit rapidement dans les différentes parties de l’Orient; elle fut traduite plus tard en turc et même en arabe, et remplaça peu à peu l’ouvrage original, qui, en raison de son étendue, ne fut que rarement reproduit, et dont on ne possède plus aujourd’hui que quelques fragments. »

Malgré ces observations préliminaires générales sur l’ensemble de cette encyclopédie de Tabari, notre rédaction a choisi de publié les chapitres VII et VIII de la traduction de Zotenberg dont le contenu correspond, dans ses grandes lignes historiques, à ce que l’on sait sur la mort de Hussayn assassiné ainsi que sa famille par une armée envoyée sur les ordres de Yazid, fils de Mou’awiyya.

Cette publication en deux parties vient contribuer à mieux faire connaître cet événement à la fois tragique et fondateur de l’histoire de la civilisation islamique, et largement méconnu par le grand public musulman. Elle œuvre en ce sens à la réintégration de l’histoire de l’institution des Ahl al Bayt, attribué exclusivement et faussement à la seule tradition chiite, à la mémoire de la tradition sunnite de l’islam à laquelle elle appartient tout autant, les deux traditions étant finalement les deux faces d’une même pièce.

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