Maître de conférences en études islamiques au Centre d’études en religion et théologie Université Monash (Australie), Salih Yucel expose, dans un article traduit et publié par Mizane.info, quelques-uns des fondements de la notion de pensée positive (husnu’l zann) dans le Coran et sa réception dans l’exégèse moderne et médiévale.
Le Coran contient plusieurs points de vue sur la pensée positive, l’ordonnant ou l’encourageant dans certains cas, et dans d’autres cas, interdisant les pensées négatives. La pensée positive est d’abord destinée à être dirigée vers Dieu et l’Univers, incluant tous ses contenus, événements et êtres humains. Une personne devrait réfléchir à l’être de Dieu et à ses attributs et observer leurs manifestations dans ce monde.
Compte tenu de la relation et du lien de l’humanité avec Dieu, penser négativement au Créateur, Donateur de vie et Dispensateur de bénédictions (14 :34), 1 peut conduire à la perdition (41:23). Un certain nombre de hadiths soutiennent ce point de vue. Le Prophète Mohammed a dit : « Aucun d’entre vous ne doit mourir sans avoir husnu’l zann (une pensée positive) de Dieu. Les gens qui avaient « sui zann » (une pensée négative de Dieu) ont péri » 2.
Al husnu’l zann
En ce qui concerne le verset coranique (41:23) « C’est ce que vous pensiez de votre Seigneur ; et c’est cette pensée-là qui a causé votre perte et vous a conduits à être du nombre des perdant ! », al-Tabari déclare : « Il ne fait aucun doute que les actes des gens ont autant de poids que leur husnu’l zann à l’égard de Dieu. Le croyant a une pensée positive de Dieu et accompli de bonnes actions, tandis que les non-croyants et les hypocrites ont une pensée négative à l’égard de Dieu et commettent de mauvaises actions. » 3
Al-Qushayri soutient que ce verset a été révélé à propos des hypocrites. Pour lui, sui zann caractérise celui qui est spirituellement léthargique 4. Al-Nasafi (mort en 1142) considérait sui zann comme un péché majeur. 5
De plus, le Coran et la sunna, les traditions prophétiques, décrivent l’Univers, son contenu et ses événements comme extrêmement positif, ordonnant ainsi aux humains de le considérer de la même manière. « Il a mis à votre service tout ce qui est dans les cieux et tout ce qui est sur la terre ; tout vient de Lui (un don de Sa Grâce) » (45 : 13). Al Qurtubi déclare que tout dans l’univers est créé pour le bénéfice de l’humanité 6, y compris les choses qui sont détesté par les humains.
Comme le Coran le déclare (3 : 191), rien dans l’univers n’est créé en vain. « Notre Seigneur, tu n’as pas créé ceci (l’univers) en vain ». Les humains sont encouragés à réfléchir sur la création et ses mouvements, pour être conduits à la conclusion qu’il existe une sagesse déterminant chaque chose créée, y compris les êtres humains. Tel était la position d’Al-Tabari et al-Zamakshari 7 et 8.
L’ascension vers l’amour
Al-Razi va plus loin, déclarant que le verset 3 : 191 exige que les humains admirent et apprécient toute la création. Rien dans l’univers n’a été créé sans but, même s’il existe des choses qui peuvent paraître étranges ou bizarres 9. De plus, il ne convient pas à Dieu de créer quelque chose inutile 10.
Al-Qushayri soutient que réfléchir aux bénédictions de Dieu augmente l’amour spirituel 11. De même, Ibn Arabi affirme que, parce que tout vient de Dieu, la réflexion sur la création finira par conduire une personne à Dieu 12 et, ce faisant, lui inspirera une pensée positive.
Ismail Haqqi soutient quant à lui que pour être dans l’état le plus élevé de husnu’l zann par rapport à Dieu, il faut la pratique du dhikr, ou souvenir de Dieu par l’invocation. Grâce à cette pratique, une personne peut accéder à la la sagesse de la création.
Premièrement, une personne se souviendra de Dieu à travers sa langue, ce qui peut ensuite conduire au souvenir du cœur. Si une personne poursuit cette invocation, cela conduira à un souvenir de l’esprit ou de l’âme. A ce niveau spirituel ou station, une personne peut atteindre al ma’rifatullah, la proximité divine ou la gnose divine 13, et peut détenir le plus haut degré de husnu’l zann en ce qui concerne Dieu, l’Univers, les humains et même les animaux peu aimables.
Nonobstant la présence dans le monde naturel de créatures dangereuses ou terrifiantes qui peuvent nuire ou terrifier les humains, comme les serpents, si une personne choisit de penser positivement, elle peut en venir à voir les aspects positifs des serpents ou d’autres espèces végétales ou animales, et peut ensuite rechercher d’éventuels avantages tels que l’utilisation de la peau de serpent,
ou du venin dans les médicaments.
Élévation et expiation
De plus, ce principe de pensée positive s’applique également aux événements ou aux occurrences historiques. Les inondations provoquées par les fortes pluies causent des dommages, mais elles peuvent aussi avoir des conséquences positives. Saïd Nursi déclare sur ce point que les choses créées possèdent deux qualités de beauté.
La première qualité est appelée « beauté essentielle », car elle fait partie de l’existence d’une chose. La deuxième qualité est appelée « beauté relative », car elle engendre des effets positifs. « Il y a certains événements qui sont apparemment laids et confus, mais en dessous de ce voile apparent, ils nous offrent les exemples les plus brillants de beauté et d’ordre 14. »
Les conséquences de la pensée positive ne se limitent pas à cette seule vie, ou à ce monde, mais s’étendent également à l’au-delà. La maladie, par exemple, rappelle à une personne sa mortalité, qui à son tour peut nourrir le désir de réaliser de bonnes actions au cours de cette courte vie, ou d’en apprécier les bénédictions.
En ce qui concerne l’au-delà, si la personne reste patiente pendant la maladie, cela peut être considéré comme une adoration. et récompensé dans la prochaine vie. En argumentant de cette façon, Nursi s’inspire du verset « C’est Lui qui a créé toute chose à la perfection » (32 : 7). Al-Zamakhshari dans son commentaire soutient la même position. Tout a été créé avec une intention positive et avec sagesse 15. Al-Razi va encore plus loin en déclarant que Dieu a tout créé de la meilleure façon, ce qui signifie que tout entre les cieux et la terre est bénéfique 16.
Les trois visages du monde
Nursi soutient également que le monde a trois « visages ». Le premier visage agit comme un miroir reflétant les Noms de Dieu. Le deuxième visage est tourné vers l’au-delà et s’oriente vers les champs arables qui seront récoltés dans le « Monde de Eternité », transformant ainsi le transitoire en éternel.
Les première et deuxième visages sont considérées comme d’« essentielles beauté », parce qu’ils sont bons et beaux en eux-mêmes. Le troisième visage regarde les êtres éphémères et se définit comme l’arène de leur procès et de leur examen. Ce visage est constitué d’une beauté à la fois essentielle et relative, et par conséquent ne peut pas paraître belle à tout moment 17.
Nursi ajoute qu’il y a deux dimensions dans l’Univers. Une dimension est tournée vers Dieu et est toujours belle, tandis que l’autre, tourné vers les humains, peut parfois être laide ou peu sympathique 18.
Dans son traité sur la maladie, Nursi énumère vingt-cinq façons dont la maladie peut être utilisée de manière positive 19. Parmi celles-ci figurent la prise de conscience de l’impuissance relative de chacun par rapport à la grandeur de Dieu, ce qui amène à la prise en considération de la valeur de la santé.
Par conséquent, même si la maladie est généralement considérée comme un événement négatif, Nursi estime qu’elle peut conduire une personne à acquérir al husnu’l zann. Ce point de vue est également soutenu par le verset coranique qui déclare : « Il se peut que vous n’aimiez pas une chose, alors qu’elle est un bien pour vous » (2:216).
La règle de l’inversion
Al-Zamakshari souligne la nature de l’âme charnelle humaine (nafs), qui n’est pas capable de percevoir le bien en toute chose en raison de son désir de gratification immédiate, par opposition à la recherche de ce qui peut être bon à long terme.
Pour cette raison, l’âme (nafs) seule n’est pas très fiable 20. Pour illustrer ce point, al-Razi présente l’exemple d’un patient prenant des médicaments, ce qui n’est ni souhaitable ni facile, mais nécessaire à sa santé. Il fait également référence à la charité comme quelque chose de déplaisant dans le présent, mais gratifiant dans l’au-delà 21.
Al-Qushayri considère que les choses déplaisante à l’âme maléfique sont néanmoins utiles à la vie spirituelle (ou psychologique). En accord avec ces points de vue, Ibn Arabi affirme que les gens préfèrent généralement un moindre bénéfice matériel dans le présent, sur un plus grand bénéfice dans l’autre monde 22.
Salih Yucel
Notes :
1 Toutes les sources arabes et turques citées dans le texte ont été traduites par l’auteur, à l’exception des versets coraniques pour lesquels la traduction d’Ali Unal a été utilisée.
2 Al-Qurtubi, M. (1964) al-Jami‘ li Ahkam al-Quran,Cairo: Dar al-Kutub al-Misriyyah, http://www.altafsir.com/Tafasir.asptMadhNo=1&tTafsirNo=5&tSoraNo=41&tAyahNo=23&tDisplay=yes&Page=2&Size=1&LanguageId =1
3 Al-Tabari, J. (2000)Jami‘ al-Bayan fi Tafsir al-Qur’an, Beirut: Muassasah al-Risalah, v. 21, 456
4 Al-Qushayri, A. (n.d) Lata’if al-Isharat, Egypt: al-Hay’ah al-Misriyyah li al-Kitab, v. 3, 324-325
5 Nasafi, O. Midaraki Tanzil wa Haqaiqi at-Ta’wil, http://www.altafsir.com/Tafasir.asp?tMadhNo=0&tTafsirNo=17&tSoraNo=49&tAyahNo=12&tDisplay=yes&Page=3&Size=1&LanguageI d=1
6 Al-Qurtubi,ibid, v. 16, 330-339
7 Al-Tabari, ibid, v.7, 474-476
8 Al-Zamakhshari, M. (1986) al-Kashshaf ‘an Haqa’iq Ghawamid al-Tanzil, Beirut: Dar al-Kitab al-‘Arabi,v.1, 1452-453
9 Al-Razi, F.(1999) Mafatih al-Ghayb,Beirut: Dar Ihya’ al-Turath al-‘Arabi, v. 9, 459-466
10 Al-Razi, ibid
11 Al-Qushayri, ibid, v.1, 303-305
12 Ibn Arabi M. (2003) Ahkam al-Quran, Beirut: Dar al-Kutub al-‘Ilmiyyah, v.1, 397-399
13 Haqqi, I. Ruhu’l Bayan, http://www.altafsir.com/Tafasir.asptMadhNo=3&tTafsirNo=36&tSoraNo=3&tAyahNo=191&tDisplay=yes&Page=2&Size =1&LanguageId=1
14 Nursi, S. (1991) The Words, trans by Sukran Vahide, Sozler Publications, Istanbul, 240-241
15 Al-Zamakhshari, ibid, v.3, 508-509
16 Al-Razi, ibid, v. 25,139-141
17 Nursi,S (1996) The Letters, trans by Sukran Vahide, Sozler Publications, Istanbul, 344-345
18 Nursi,S. (1997) Sozler, ibid, 264 21 For detail information see, Nursi, S (2004) The Flashes Collection, trans Sukran Vahide, Sozler Publication, Istanbul, 266-286
19 Al-Zamakhshari,ibid, v.1, 257-258
20 Al-Razi, ibid, v. 6, 384-386
21 Al-Qushayri, ibid, v.1, 175
22 Ibn Arabi, ibid, v.1,205-206