Jeûner est une pratique d’adoration centrale dans la religion musulmane puisqu’il figure au nombre des cinq piliers de l’islam. Pour autant, l’image d’une obligation difficile et restrictive colle parfois trop souvent à la peau du jeûne faisant presque oublier ses mérites nombreux et les vertus qu’il permet d’acquérir au fidèle. L’occasion pour Mizane de revenir sur quelques-unes d’entre elles.
Qu’est-ce que jeûner ? Les définitions s’accordent sur la dimension de privation de nourriture comme caractérisant le jeûne. « Ne pas s’alimenter volontairement ou être, par force, privé de nourriture (…) S’abstenir volontairement d’aliments dans certaines conditions fixées par la religion et par esprit de mortification. Jeûner le mois du Ramadan », présente le Centre de ressources textuelles et lexicales. Pour le Larousse : « S’abstenir de manger ; pratiquer le jeûne, la diète ». Le jeûne est donc un acte volontaire de la conscience qui s’abstient de s’alimenter, généralement par conviction religieuse. C’est précisément la valeur ajoutée du jeûne considéré sous sa dimension religieuse, à savoir un acte accompli par Dieu et pour Dieu. Le jeûne en islam n’échappe pas à cette règle puisqu’il est commandé par le Coran et détaillé par la tradition prophétique. Parmi les conditions de validité religieuse du jeûne, l’intention qui donne vie au jeûne en lui conférant une âme, une sacralité qui le consacre comme acte d’adoration réservé à l’Unique.
Le jeûne comme moyen d’accès à la piété
Cette abstention s’étend à la nourriture, la boisson, l’ingestion de toute substance solide ou liquide, les rapports conjugaux et son sens, sa raison d’être est l’obéissance libre, consentie à Dieu ou pour les muhsinin (adeptes de l’excellence de la foi) et les mutaqquiyin (les partisans de la crainte révérencielle de Dieu) pour l’amour de Dieu. Des mérites confirmés par la tradition prophétique. Dans un hadith qudsî (parole divine rapportée par le Prophète mais qui ne fait pas partie du Coran, ndlr), Dieu l’Exalté dit : « Toute œuvre du fils d’Adam lui appartient, sauf le jeûne, il M’appartient, et c’est Moi seul qui le récompense à sa juste valeur. » Le Prophète a également dit : « Le poids de la terre en or n’égalerait point la récompense réservée, le Jour de la Résurrection, à quiconque jeûnerait une journée volontairement ». (Rapporté par Abou Ya’la Al-Mawsili dans son Musnad et déclaré authentique par Al-Hafidh Ibn Hajar).
Les vertus spirituelles du jeûne en islam
Quels sont les avantages spirituels conférés par le jeûne ? Le Coran apporte une première réponse dans la sourate 2, verset 183 : « Croyants ! Le jeûne vous est prescrit, comme il l’avait été aux confessions antérieures. Ainsi atteindriez-vous à la piété. »
Le jeûne est donc un moyen express pour le croyant d’atteindre à la piété, la taqwa ou crainte révérencielle de Dieu, qui est un des niveaux supérieurs de la foi. Il ne faut pas perdre de vue que la vision islamique établit une continuité naturelle et indissociable entre foi et acte de foi, le Coran recensant systématiquement les deux dimensions ensemble (al ladhina amanou wa ‘amilou salihat, ceux qui croient et accomplissent les bonnes œuvres). Si la foi précède l’acte, elle s’incarne, se vivifie en lui et se renforce par lui. L’acte de foi nourrit d’une intention sincère permet donc au croyant de s’élever et de s’accomplir religieusement et spirituellement. Il est également un acte de volonté, d’endurance et donc d’affermissement de l’âme et du cœur face aux excès, aux langueurs et aux facteurs régressifs de la consommation.
Lorsque le fidèle rompt son jeûne au coucher du soleil, il se retrouve à un moment propice de dialogue et d’écoute divine
Autre avantage du jeûne : sa rupture légale est un moment propice à l’exaucement des invocations divines. Lorsque le fidèle rompt son jeûne au coucher du soleil, il se retrouve à un moment propice de dialogue et d’écoute divine qui est un moment de satisfaction mutuelle et d’échange. « L’invocation de celui qui jeûne sera exaucée chaque fois qu’il rompt son jeûne » (Ibn Maja).
Les avantages ultérieurs du jeûne dans la vie future sont également considérables. Parmi eux, la protection contre le feu de l’Enfer et la joie d’accéder au Paradis par la porte des jeûneurs. « Le jeûne préserve de l’enfer, tel un bouclier au combat » (rapporté par Ahmed). « Celui qui jeûne un jour pour l’amour de Dieu, sera éloigné du feu, de la distance parcourue en 70 années » (Boukhari et Muslim). « Une des portes de Paradis est appelée « Porte de Rayane » – La Porte des Rafraîchissements. Seuls ceux qui jeûnent la franchissent. Il sera dit « Où sont ceux qui jeûnaient ? ». Ils se lèveront alors et entreront. Aucune autre personne ne la franchira. Elle sera refermée à jamais » (recueils d’Abu Sonni et Abu Naim).
Jeûner est un aussi acte de consolidation sociale
En tant que tel, les vertus sanitaires et physiques du jeûne ne sont plus à démontrer. Le Prophète a dit : « Jeûnez, vous acquerrez la santé » (Recueil d’Ibn Sunni), même si l’intention première du jeûne doit demeurer un acte d’adoration pour être valide.
Voici quelques effets salutaires du jeûne pour notre corps, décrits par le docteur Françoise Wilhelmi de Toledo, spécialiste du jeûne et auteure de « L’Art de jeûner ». « La flore intestinale est au repos, elle n’est plus en contact avec de la nourriture toxique et se rééquilibre. La production de sébum est donc réduite, les impuretés disparaissent, la peau se régénère et devient plus lisse (…) Le foie et les parois de l’intestin se régénèrent, le pancréas et l’estomac sont mis au repos et la flore intestinale se rééquilibre (…) Pendant le jeûne, le corps puise directement dans ces réserves et brûle des calories (…) notre taux d’insuline et notre taux de sucre diminuent, les graisses stockées sont mobilisées, et les réserves excédentaires vidées ». Le jeûne est une purification du corps par l’élimination des toxines.
Le jeûne collectif purifie de l’avarice, élève l’âme et développe le sens de l’égalité
Les effets sociaux du jeûne sont par ailleurs considérables : il noue les liens sociaux entre ceux qui jeûnent, favorise la générosité, le partage, l’empathie, préconise le don, l’aumône. Le jeûne collectif, dans son esprit comme dans sa pratique, purifie de l’avarice, de la corruption matérialiste et vénale, élève l’âme et développe le sens de l’égalité.
Pour les célibataires qui ne peuvent se marier, le Prophète a recommandé la pratique du jeûne pour désamorcer et affaiblir les tentations sexuelles qui s’offrent aux jeunes et les préserver, ainsi que la société, des dérives liées à la pratique permissive de la fornication ou de l’adultère. « Celui qui est incapable de se marier, qu’il jeûne. Cela émousse son ardeur ». (Recueil de Boukhari)