Le groupe scolaire musulman Al-Kindi conteste ce lundi devant le tribunal administratif de Lyon la résiliation de son contrat d’association par l’État. Une mesure qui s’inscrit dans un contexte plus large de suspicion latente de l’État envers les écoles musulmanes, marqué notamment par la rupture du contrat du lycée Averroès à la rentrée 2024. Focus.
Les écoles privées musulmanes sous contrat vacillent. Après la rupture du contrat du lycée Averroès de Lille à la rentrée 2024, l’État a décidé de résilier celui du groupe scolaire Al-Kindi, situé à Lyon, pour la rentrée 2025. Ces deux établissements, qui représentaient une part significative des élèves scolarisés dans des écoles musulmanes sous contrat, étaient pourtant vus comme des références dans ce réseau éducatif.
« Acharnement politique » contre l’enseignement musulman
L’enseignement privé musulman, en développement depuis deux décennies, peine à se stabiliser face aux contrôles accumulés des autorités. À ce jour, suite aux deux récentes décisions, aujourd’hui contestées en justice, seuls sept écoles musulmanes disposant encore de classes sous contrat, dont un seul lycée.
En décembre 2023, l’État a justifié les résiliations des deux établissements privés (Averroès et Al-Kindi) par des « manquements graves », mais les écoles concernées contestent ces accusations en justice. Al-Kindi a déposé un recours examiné ce lundi 10 mars, tandis qu’Averroès attend une décision sur le fond au printemps.
Pour Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman, ces décisions relèvent d’un « acharnement politique » contre l’enseignement musulman, qui tente simplement de « trouver sa place ». Il dénonce une politique où « un établissement entier est sanctionné d’emblée », sans prise en compte de la situation spécifique de chaque école.

De l’encouragement au séparatisme
Au-delà de ces cas particuliers, les écoles musulmanes semblent touchées par une suspicion généralisée. Selon plusieurs sources, elles font l’objet d’audits plus fréquents que les autres établissements privés sous contrat, alors même qu’un rapport de la Cour des comptes pointe un contrôle insuffisant de ce secteur en général. L’essor des écoles musulmanes a débuté après la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école.
Entre 2008 et 2014, plusieurs contrats ont été signés avec l’État, sous les présidences de Nicolas Sarkozy et François Hollande, afin de structurer un réseau éducatif musulman. Toutefois, les attentats du 13 novembre 2015 ont marqué un tournant, et à partir de 2017, l’enseignement privé musulman est progressivement perçu comme un « rouage du séparatisme » par les autorités.
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Cette suspicion s’est renforcée avec le discours d’Emmanuel Macron aux Mureaux en 2020 et la loi contre le « séparatisme islamique » en 2021. Haoues Seniguer, maître de conférences à Sciences Po Lyon, estime que cette loi a entériné « l’idée d’un continuum entre conservatisme religieux, organisation communautaire et djihadisme ».

Une approche volontairement différenciée
Le ministère de l’Intérieur revendique une « politique d’entrave à tout ce qui relève de l’islam politique » et justifie un traitement différencié entre les écoles musulmanes et catholiques, ces dernières n’ayant, selon lui, « pas de projet politique ». Une approche perçue comme un « deux poids, deux mesures », pour Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon.
Avec la loi Gatel de 2018, la loi pour une école de la confiance de 2019 et celle sur le séparatisme en 2021, l’arsenal législatif permettant le contrôle et la fermeture des écoles hors contrat s’est considérablement renforcé. Diane-Sophie Girin, postdoctorante spécialisée sur le sujet, estime que « bien que cela ne soit pas explicite dans les textes, les débats parlementaires ne laissent aucun doute : ces lois visent en priorité les écoles musulmanes ».
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