La session plénière du FORIF, samedi 5 février au Conseil économique, social et environnemental.
Depuis le discours des Mureaux, la politique menée sur l’islam par Emmanuel Macron et son ministre de l’Intérieur a été marquée par une série de marqueurs politiques forts autour de la création d’un nouveau champ institutionnel étroitement inféodé au pouvoir, dont le FORIF est l’aboutissement. Analyse en deux parties de Fouad Bahri sur Mizane.info.
« Il fallait bien que quelque chose change, pour que tout reste comme avant ». La célèbre tirade de Burt Lancaster dans le « Guépard » de Visconti, qui désignait les succès du jeune nationaliste et républicain italien Garibaldi face à une monarchie et une noblesse déclinante, a toujours fait des émules dans le monde politique. En France, l’adage s’applique à merveille à l’organisation du culte musulman. L’avis de décès du Conseil français du culte musulman prononcé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin l’atteste : pour que la France garde la main sur l’organisation de la seconde religion nationale et que rien ne change vraiment, il fallait bien que quelque chose change. Cette chose, c’est le FORIF, le Forum de l’islam de France, espace d’échange, de travail, et de concertation, nous dit-on, ouvert avec des acteurs de terrains et le bureau central des cultes, organe chargé des relations entre l’État et les associations cultuelles.
Les participants de ce FORIF ont été triés sur le volet au terme d’une consultation locale organisée par les préfectures, les assises territoriales de l’islam.
FORIF : une appellation qui n’est pas sans rappelé le Conseil d’Orientation et de Réflexion sur l’Islam de France, CORIF, lancé en 1990 par l’ancien ministre de l’Intérieur Pierre Joxe avant d’être mis au placard, trois ans plus tard par Charles Pasqua. Mais beaucoup d’eau a coulé depuis 1990 et la lettre « F » n’est pas la seule chose qui différencie les deux institutions.
Le séparatisme, une notion floue
Un mot sur le contexte d’abord. Depuis le discours des Mureaux, la République de Macron est en guerre contre une menace aussi effrayante que sa dénomination reste vague, celle du séparatisme.
Le mot semble désigner des individus de confession musulmane ou des structures ouvertement hostiles à la République, au point de vouloir faire sécession avec la Nation. Mais cette présentation brumeuse, qui désigne-t-elle concrètement ? La plupart du temps, des individus rigoristes, terme synonyme de salafiste, ou des associations exprimant des opinions critiques contre l’Etat.
La dénonciation d’une islamophobie d’Etat par l’ancien Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), qui lui a coûté sa dissolution (à l’instar de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie), est l’exemple emblématique des usages politiques répressifs de cette nouvelle arme rhétorique de destruction massive.
Dans les faits, le champ d’application de la nouvelle loi confortant les principes républicains peut cibler des commerces, des salles de sports, ou des mosquées, c’est-à-dire des espaces de sociabilité musulmane dans la société française.
« Le problème, déclarait Macron aux Mureaux, c’est le séparatisme islamiste. Ce projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société et dont les manifestations sont la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives, culturelles communautarisées qui sont le prétexte à l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République. C’est l’endoctrinement et par celui-ci, la négation de nos principes, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité humaine. Le problème, c’est cette idéologie, qui affirme que ses lois propres sont supérieures à celles de la République. »
Les attentats qui ont frappé la France depuis 2015 et les dispositions sur l’état d’urgence qui avaient suivi avaient déjà fait l’objet de plusieurs dérives dans leur application. Le terrorisme doit être fermement combattu, sans aucune ambiguïté, mais depuis 2015 aucun attentat n’a été préparé dans une mosquée, une sandwicherie halal ou une salle de sport.
Le séparatisme, n’est pas le terrorisme mais, nous dit-on encore, il pourrait dans certains cas le préparer mentalement. Tout est alors affaire d’interprétation et l’imagination supplante la raison. Avant même le vote de la loi, 24 000 contrôlés avaient été effectués dans des structures musulmanes, et 650 lieux fréquentés par des « fondamentalistes » fermés.
Le déshonneur du CFCM
Revenons au FORIF. Le lamentable échec du CFCM, structure créée en 2003 sous les offices de Nicolas Sarkozy et des réseaux consulaires et religieux algéro-marocains, a élargi le vide institutionnel de l’islam français. « Le CFCM, écrit le politologue Franck Frégosi dans Le Monde, n’a pas relevé certains des défis attendus, comme le financement autonome du culte, un protocole de formation des imams, la juste représentation de toutes les composantes de l’islam et des générations musulmanes. »
Autant dire qu’en presque 20 ans d’existence, il n’a pratiquement rien fait si ce n’est se ridiculiser publiquement par d’interminables règlements de compte. Un camouflet humiliant pour ces cadres religieux qui ont partiellement reconnu ce constat d’incapacité.
Quant aux fidèles (jeunes, cadres moyens, étudiants, pratiquant lambda), ils ont boudé ses obsèques, un non-événement pour eux. Le CFCM ne s’était jamais soucié de leurs opinions ou de leurs positions et ne les avaient pas intégrés dans ses institutions.
Ce vide, le FORIF espère le combler aujourd’hui. Mais sur de nouvelles bases. L’Etat accompagnera et dictera cette fois l’ensemble du processus de gestation institutionnel. La méthode est connue, elle s’appuie sur deux volets. Un volet politique et décisionnel qui fixe le cadre et les conditions de ce processus, et un volet pragmatique de réflexion et de mise en acte sur le terrain.
Charte des principes, FORIF : la continuité d’une ligne politique
Le volet politique est celui de l’Etat, il prévoit l’accord du président de la République, la décision du ministre de l’Intérieur et l’exécution des directives par les préfets. Le personnel des quatre ateliers (statut de l’imam, aumônerie, application de la loi contre le séparatisme, protection des lieux de culte contre les actes antimusulmans) a été sélectionné, trié sur le volet sur la base de plusieurs critères.
Il y a les critères explicites (représentativité, diversité, compétence, travail de terrain) et les critères implicites, ceux qui vont de soi. L’apolitisme des potentiels réfractaires et le suivisme strict de la ligne édictée Place Beauvau, ligne annoncée par Macron, détaillée dans la loi séparatisme entretemps votée, et déjà intégrée dans la charte des principes de l’islam de France. Cette fameuse charte qui aura fait imploser le CFCM.
Une ligne politique stricte si cardinale qu’elle fait l’objet d’un groupe de travail chargé de l’application, ou si l’on préfère, terme chéri par les communicants, d’un « accompagnement » vers la mise aux normes juridiques des associations musulmanes dans le respect de la loi confortant les principes républicains (dite loi contre le séparatisme).
Un « guide pratique » a été réalisée à cette fin, document que la rédaction de Mizane.info a consulté. Guide technique, pratique, indiquant aux associations les démarches à faire pour se mettre en règle et orientée vers une préférence loi 1905 conforme aux souhaits de Gérald Darmanin.
La Grande mosquée de Paris, qui n’a sans doute pas tout à fait renoncé à ses rêves de leadership, a déjà pris les devants en changeant ses statuts. Les vieilles fédérations musulmanes de l’ex-CFCM restent ainsi symboliquement représentés par des personnes mais n’existent plus en tant que CFCM.
Sur l’aspect technique et pratique, le Bureau central des cultes, dépendance du ministère de l’intérieur et des cultes, coordonne les travaux, rédige chaque compte-rendu, avec l’aval des responsables de groupes, et fait office de cheville ouvrière chargée d’avancer sur les solutions pratiques à apporter aux problèmes concrets rencontrés par le culte musulman.
Actes antimusulmans, oui; islamophobie, non !
Les deux dossiers sur l’imam et les aumôniers seront les plus durs à solutionner. Le premier par sa complexité pratique. Le second par l’absence d’instance nationale, chargée de les sélectionner, option pour le moment écarté par le gouvernement. Nous y reviendrons.
Le dernier groupe dont la mission est d’étudier les moyens de prévenir les actes antimusulmans visant notamment les lieux de culte apparaît comme un geste d’apaisement du gouvernement qui n’ignore pas que la politique brutale de fermeture des mosquées et les communications hostiles contre certaines fédérations (CIMG) a laissé des traces dans la communauté musulmane, usée déjà par trois décennies de discours anti-islam.
Mais il n’est plus question d’islamophobie, seulement d’actes antimusulmans. En réalité, les deux termes ont exactement le même sens puisque l’islamophobie désigne la discrimination d’une personne en raison de son appartenance réelle ou supposée à l’islam, et non la critique intellectuelle de l’islam comme cela a été souvent dit. La critique intellectuelle, non l’insulte. Mais le gouvernement, dans le sillage du Printemps républicain, honnit ce terme, médiatiquement politisé et désormais sorti de son contexte sémantique. Ce qu’on peut appeler la jurisprudence CCIF.
Fin de la première partie.
Fouad Bahri