La sortie du film de Kim Chapiron narrant l’histoire d’un jeune imam franco-malien formé dans les madrasas et redébarquant 10 ans plus tard dans son pays natal (la France) a été diversement accueillie par le public de confession musulmane. Certains y ont vu une tentative louable de sortir des idées reçues négatives sur l’islam, d’autres la volonté orientée de moderniser son discours au prisme de l’islamologie française. L’avis de la rédaction.
La réception du film de Kim Chapiron, le jeune imam, auprès du public de confession musulmane se caractérise par une chose : son absence d’homogénéité. Une réception à l’image du film qui jongle sur différents registres. Le registre familial est le leitmotiv du film qui n’est pas comme cela a déjà été dit un film sur l’islam mais un film dont l’islam est l’un des arrières plans importants.
Retour d’exil
Envoyé au Mali par une mère célibataire excédée par sa plongée dans la délinquance, le jeune Ali part désabusé et en colère contre celle qui l’a abandonné. Mais cet exil sera pour lui salutaire puisque le jeune sera pris en charge et élevé par une figure paternelle de substitution, l’imam d’une madrasa (école coranique). Formé dans cette école, il revient dix ans plus tard en France et retrouve une mère et une sœur qu’il doit réapprendre à connaître.
La relation mère/fils est donc centrale et la sociologie des quartiers populaires permet au public d’être immergé au cœur de l’une des réalités humaines musulmanes de France.
La volonté de regagner le cœur et l’estime d’une mère déçu, d’exister socialement et financièrement dans une société dont l’argent reste le principal moteur de la respectabilité sociale, la popularité rapide du « jeune » imam inexpérimenté qu’est Ali sur les réseaux sociaux va le pousser à un apprentissage sévère mais tout aussi salutaire sur la notion de responsabilité humaine.
Le thème des faux-semblants
Les faux semblants sont l’un de ces thèmes qui rendent possible cet itinéraire d’un imam inconscient des conditions propre à sa charge. Le bien qui mène au mal et le mal qui mène au bien résume cette dialectique complexe de la réalité. Le vol a mené Ali vers un exil qui le sauvera d’une chute sociale programmée vers une délinquance encouragée par l’absence d’un père, figure d’autorité et d’exemplarité. Le bien apparent de ces protagonistes qui conduiront Ali à participer malgré lui à une arnaque au hadj en est une autre figure. L’amertume de la mère convertie en soutien et en grâce finale au moment où tous veulent la peau du bouc émissaire en marque l’apogée.
Dans un space organisé sur Twitter le réalisateur et le producteur du film ont expliqué leur démarche, les difficultés qu’ils ont rencontré pour vendre l’idée de ce film à des annonceurs et pour trouver les financements adéquats, et la volonté de ne pas tomber dans un film prosélyte mais de proposer une fiction réaliste sur l’histoire d’une famille musulmane.
— Kamil Abderrahman (@kamilabderrahmn) May 3, 2023
Un discours islamique faux et artificiel
Il reste néanmoins un autre élément important sur lequel le film sonne faux, vise à côté et s’inscrit précisément pour cette raison dans cette musique idéologique du moment audible en France. Nous faisons référence à deux passages qui expriment la vision religieuse de l’imam.
Le premier passage nous présente un imam converti aux thèses de l’islamologie libérale et au paradigme strictement immanentiste de l’école hypercritique. Voici ce que cela donne dans la bouche du jeune imam. « Là où le christianisme a mis 4 siècles à accepté la critique, on demande à l’islam de faire ce bouleversement théologique en quelques décennies seulement. Le Coran n’a pas besoin d’être défendu. Il a besoin d’être récité, lu et analysé. Seule la critique sauve le religieux de l’idolâtrie. »
Imam de sa cité, Ali décide d’aider les fidèles à réaliser le rêve de tout musulman : faire le pèlerinage à la Mecque. Mais les choses s’annoncent plus compliquées que prévues.
LE JEUNE IMAM de Kim Chapiron, dès aujourd’hui au cinéma.
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— SensCritique (@SensCritique) April 26, 2023
Une thèse qui se nourrit également de certaines références à Averroès ce qui fera sourire les spécialistes de la pensée du philosophe et juriste musulman andalou qui ne mélangeait jamais les registres de la pensée critique et du discours fidéiste. Passons pour cette incohérence.
L’islamologie hypercritique dans la bouche d’un imam
Le problème est que ce discours de l’imam est totalement déconnecté de la réalité communautaire musulmane et des discours tenus dans les mosquées. Il est artificiel car il débarque de nulle part. Il ne se justifie aucunement par l’histoire du jeune Ali formé dans une madrassa malienne, où ce type de discours est banni pour des raisons que nous allons évoquer plus loin. Où Ali a-t-il donc puisé pour construire ce type de discours, dont l’une des modalités que l’on retrouve aussi dans le film est la référence au doute et la tentative toute aussi artificielle de construire une théologie du doute fondée sur l’instrumentalisation à la fois séculière et grossière d’une référence abrahamique ? Là est la question.
Rachid Benzine est la première réponse à cette question. Islamologue converti à la littérature, proche de Mohamed Arkoun, adepte d’une approche nourrie des thèses propres à l’histoire de l’étude des sources bibliques et chrétiennes applicable aux sources scripturaires de l’islam, Rachid Benzine a été le conseiller « islam » du film, même s’il a rejoint tardivement l’équipe du « jeune imam ».
Les angles morts d’une approche normative
On reconnaît sans faute les éléments de ce type de discours historiciste qu’il ne faut pas confondre d’ailleurs avec une approche factuelle purement historique, mis dans la bouche de l’imam. Rappelons que l’exégèse historico-critique est une méthode et une vision portée par des thèses et des postulats préalables, et comme tout postulat, non justifié, sur ce qu’est le sens de la vérité historique et ce qu’il ne peut être, postulats orientant et conduisant méthodologiquement à exclure d’autres grilles de lecture et d’autres compréhensions de ce qu’est l’histoire, la réalité humaine et supra-humaine.
Dans le contexte de l’étude de textes religieux, cette méthode produit nécessairement une déformation et souvent une réduction normative de la valeur des événements, des textes ou des Hommes tombés sous les catégories a priori qu’elle s’est forgée pour les étudier.
Ces angles morts de la méthode historico-critique ne sont que peu mis en lumière car ils révèlent un aspect problématiquement fondamental d’une démarche qui se définit comme scientifique, expression normative chargée de sens et d’autorité, alors que cette méthode sélectionne les thèses, définit les critères et oriente les « résultats » de son étude, sans même aborder le relativisme de ses conclusions et le contexte historique et idéologique dans lequel cette méthode a été elle-même historiquement construite. Le recours conjecturel à l’histoire permet à travers le double filtre de la relativité spatio-temporelle et de l’interprétation de désacraliser la fondation religieuse.
Subversion et dévoilement
Si « la critique sauve le religieux de l’idolâtrie », qui sauvera l’historiciste de l’idolâtrie de la raison positiviste qui le conduit par le bout du nez ? C’est la question qu’on est en droit de se poser et à laquelle les adeptes de la méthode critique, jamais pratiqué sur leur propre discipline, ne peuvent pas répondre au risque de l’auto-réfutation.
Douter (de Dieu ? De l’islam ? Du Prophète ? Et pour quelles raisons ?) et critiquer (le Coran), tels sont les deux piliers de ce discours littéralement subversif mis fallacieusement dans la bouche d’un jeune imam qui, très logiquement, ignore tout du contexte d’une France qu’il a quitté enfant et qu’il retrouve adulte. La rupture est trop grosse pour être avalée. La finalité de ce discours est donc subversive et comme toute subversion elle vise, selon l’étymologie de ce terme, à renverser et détruire ce qu’elle subvertit.
Le second exemple est le passage relatif au voile où une musulmane questionne l’imam : je dois travailler. Puis-je islamiquement retirer le voile ? Le jeune imam évoquant comme un prétexte une longue tradition juridique de débats islamiques complexes, change son fusil d’épaule et répond de manière déconcertante la chose suivante : comme dirait ma mère, le travail c’est obligatoire alors enlève ton voile ! Peut-on imaginer un imam parler ainsi, avec autant de légèreté et de désinvolture ?
Et pourquoi ne pas être aller au bout de l’analyse, puisque l’usage de la raison critique est donc encouragé en contexte fidéiste, pour comprendre pourquoi une jeune musulmane est factuellement contrainte, dans une société « officiellement laïque », de renoncer à une pratique religieuse la plaçant dans des dilemmes insolubles ? Y aurait-il de bons doutes et de mauvais doutes ? De bonnes critiques et de mauvaises critiques ? Nous ne le saurons pas.
Les dessous d’un discours
L’antienne d’un « islam apaisé » défendu par Ali est une autre manière habile de désamorcer la contestation saine et légitime opposée à l’islamophobie rampante et galopante. La reprise du terme racisme antimusulman pour éviter d’employer le terme d’islamophobie confirme définitivement cette orientation politique du discours du jeune imam.
Au demeurant, il aurait été bon de préciser que personne n’a jamais remis en cause le droit de quiconque de critiquer l’islam mais que personne n’a jamais non plus confondu une critique intellectuelle sérieuse (inexistante, il faut bien le dire, dans le débat public) avec une insulte, un acte discriminant ou une politique aveugle de stigmatisation collective. La critique saine et honnête est toujours bonne car, en dernière instance, elle est bienveillante par nature.
En écoutant le réalisateur et le producteur du film, on comprend que ce type de discours était vraisemblablement nécessaire pour franchir le mur de la censure, de la méfiance et de l’hostilité à l’encontre d’un film dépeignant un islam populaire, un islam du quotidien. Eux-mêmes espèrent avoir ouvert la voie à la réalisation d’autres fictions réalistes plus justes qui soient à l’avenir diffusées dans les grandes salles. Gageons, inch’Allah, que ce pari soit tenu !