Suite des épisodes consacrés à la vie du Prophète de l’islam. Aujourd’hui, focus sur les premières hostilités manifestées à la prédication de Muhammad ﷺ.
Depuis les premières prédications du Prophète les fidèles ne faisaient plus un mystère de leur croyance, mais, pour éviter d’inutiles conflits, ils se rendaient en cachette dans un ravin désert où ils récitaient leurs prières. Un groupe d’idolâtres, les ayant épiés et étant parvenu à découvrir leur retraite, se mit à les accabler d’invectives.
Les croyants ne purent supporter les insultes prodiguées à leur religion, ils se fâchèrent et une bagarre s’ensuivit, au cours de laquelle Sa‘d ibn Abî Waqqâs ramassa une mâchoire de chameau abandonnée dans le sable, pour en porter un coup violent à la figure d’un des associateurs qu’il ensanglanta. Ce fut le premier sang versé dans la lutte qui commençait entre l’Islam et l’idolâtrie.
Voulant éviter que se renouvellent des incidents de ce genre, le Prophètedécida de se retirer pour prier, avec ses disciples, dans la maison d’Arqâm, située sur la colline de Safâ. Néanmoins, dans le camp des idolâtres, l’exaspération grandissait.
Tant que Muhammad s’était borné à les appeler au salut, même en les blâmant et en les menaçant des châtiments célestes, ses adversaires s’étaient contentés de hausser les épaules ou de le tourner en dérision. Mais, lorsque à son tour, il se mit à ridiculiser leurs idoles de bois ou de pierre, muettes, sourdes, aveugles et impuissantes, leur fureur ne connut plus de limites.
Non seulement il les blessait dans leurs croyances, mais il les lésait gravement dans leurs intérêts, car ces idoles étaient, dans les mains des notables de la ville, une source de revenus considérables et un moyen efficace de domination sur la plèbe superstitieuse. Seul parmi ceux de son qawm qui avaient refusé de s’islamiser, son oncle Abû Tâlib lui conservait son affection, au grand scandale des autres Quraysh.
Ceux-ci lui envoyèrent une députation composée des membres les plus influents de leur tribu : ‘Utba ibn Rabî‘a, Abû Sufyân ibn Harb, Abû Jahl et plusieurs autres seigneurs d’égale importance : « Ô, Abû Tâlib, dirent ces députés, le fils de ton frère insulte nos dieux et nos croyances, il ridiculise la religion et les traditions de nos pères, ne nous en débarrasseras-tu pas ? Ou bien, par ta neutralité, ne nous laisseras-tu pas libres d’agir à son égard comme nous l’entendrons ? Car nous le savons, pas plus que nous, tu ne partages ses idées. »
Abû Tâlib les congédia avec une réponse polie et conciliante. Muhammad comme on le pense, continua ses prédications, sans ralentir son ardeur.
L’inimitié des Quraysh prit alors une tournure plus grave ; les députés revinrent auprès d’Abû Tâlib pour lui déclarer : « Nous éprouvons le plus grand respect pour ton âge, ta noblesse et ton rang, mais nous t’avons demandé de nous débarrasser du fils de ton frère et tu ne l’as point fait. Or, nous ne pouvons supporter plus longtemps les outrages dont il couvre nos croyances et nos traditions ; retire-lui ta protection et laisse-nous libres de le traiter à notre guise. Si tu refuses, nous te comprendrons dans la guerre que nous lui déclarons et qui durera jusqu’à l’extermination complète de l’un des deux partis ! »
Puis ils se retirèrent, laissant Abû Tâlib désespéré de se voir séparé de son qawm et, d’autre part, fermement décidé à ne jamais abandonner son neveu. Dans cet état d’esprit, il envoya chercher Muhammad« Ô fils de mon frère, lui dit-il, nos concitoyens, les Quraysh, sont revenus et m’ont fait de graves déclarations… Réfléchis, aie compassion pour moi, pour toi-même et ne m’impose pas ce qui me serait trop pénible à supporter ! »
Le Prophèterépondit : « Ô mon oncle, par Allah ! S’ils plaçaient le soleil à ma droite et la lune à ma gauche pour me contraindre à renoncer à ma mission, je jure que je n’y renoncerais pas avant de l’avoir conduite au triomphe ou d’avoir succombé ! » Et, s’imaginant qu’Abû Tâlib, par ses paroles, avait voulu lui faire entrevoir la nécessité dans laquelle il se trouvait de l’abandonner dans son impuissance à le protéger, il fondit en larmes et s’éloigna…
Mais Abû Tâlib, ému, le rappela aussitôt et lui dit affectueusement : « Va, ô fils de mon frère, va prêcher tout ce qu’il te plaira. Par Allah ! Jamais je ne t’abandonnerai ! » Voyant qu’aucune menace ne parviendrait à séparer Abû Tâlib de son neveu, les députés revinrent une troisième fois à lui, amenant avec eux ‘Umâra ibn Walîd et lui firent cette proposition : « Ô Abû Tâlib, voici ‘Umâra ibn Walîd, un des plus beaux et des plus accomplis parmi les jeunes Mecquois. Nous te l’amenons, adopte le comme ton fils, il est à toi. Mais en échange, livre-nous le fils de ton frère que tu as adopté et qui a semé la discorde dans notre tribu, afin que nous le mettions à mort. »
– « Par Allah ! répondit Abû Tâlib, quel beau marché vous me proposez là ! Vous me donneriez votre fils pour que je le nourrisse et moi je vous donnerais le mien, pour que vous le mettiez à mort ! Cela, par Allah ! Ne saurait être, jamais ! » Et, les députés se retirèrent la rage dans l’âme.
Le Mowsem, c’est-à-dire l’époque du pèlerinage étant proche, les Quraysh idolâtres se réunirent chez Walîd ibn Mughîra afin de se consulter sur l’attitude à tenir à l’égard du Prophète Walîd prit la parole en ces termes : « Ô assemblée des Quraysh, le Mowsem amènera bientôt à la Mecque d’innombrables pèlerins, qui ont certainement entendu parler de Muhammad et qui vous questionneront à son sujet. Que leur répondrez-vous ? Unissez-vous dans un même avis, afin de ne pas vous contredire les uns les autres, ce qui détruirait l’effet de vos paroles. » –« C’est à toi de nous conseiller, ô Walîd ! »
– « C’est à vous de parler les premiers ; je vous écouterai et je discuterai vos opinions. » – « Eh bien ! Nous dirons que Muhammad est un divin. » – « Non ! Nous connaissons les divins et il n’a ni leurs marmottements ni leur emphase rimée. » – « Nous dirons qu’il est possédé. » – « Non ! Nous avons vu des possédés et il n’est pas, comme eux, sujets à des crises d’étouffement et à des convulsions. » – « Nous dirons qu’il est poète. » – « Non il n’est pas poète, nous connaissons tous les modes de versification employés par les poètes et son langage ne répond à aucun d’entre eux. » – « Nous dirons qu’il est sorcier. » – « Non, car nous avons rencontré des sorciers et il n’accomplit aucune de leurs opérations magiques, en vérité ces succès sont dus au charme et à l’agrément de ses paroles. »
Dans leur for intérieur, les assistants étaient obligés de reconnaître l’entière justesse de cette observation : tous, plus ou moins, s’étaient sentis frappés au cœur par les paroles venues du cœur extasié de l’Apôtre d’Allah. Tous avaient été maintes fois sur le point de céder à la fascination qu’exerçaient sur eux ses accents, inspirés par une foi surhumaine. Et il avait fallu toute la violence de leurs intérêts matériels et de leurs passions terrestres, si gravement lésés par sa pure doctrine, pour les retenir.
Cependant, ils devaient prendre une décision immédiate afin d’empêcher, à tout prix, les Arabes étrangers d’être soumis à une pareille épreuve. Ils convinrent donc de dire que Muhammad était en possession de charmes puissants, au moyen desquels il semait la discorde dans les familles, séparant le frère du frère, le fils du père, le mari de la femme…
Puis, quand les pèlerins commencèrent à affluer, Walîd et ses complices les attendirent, postés sur les différentes routes qui conduisent à la Mecque. Et il ne passa sur ces routes aucun Arabe qui ne fût prévenu par eux contre Muhammad. Mais, si quelques-uns des pèlerins furent effrayés par leurs avertissements et redoutèrent les sortilèges dont ils les menaçaient, la plupart d’entre eux sentirent redoubler leur curiosité à l’égard de cet homme extraordinaire, dont les paroles causaient tant d’appréhension aux seigneurs de la cité.
Aussi, de retour dans leurs tribus, racontèrent-ils ce dont ils avaient été les témoins, si bien que le plus clair résultat de la campagne entreprise contre Muhammad par ses ennemis, fut d’étendre sa renommée dans toute l’Arabie. Pour calmer leur colère, exaspérée par la réputation grandissante du Prophète à laquelle ils avaient involontairement contribué, les idolâtres recherchèrent toutes les occasions de lui porter préjudice.
Un jour, réunis dans l’enceinte du Temple, ils s’excitaient mutuellement : « Non ! Jamais, de personne, nous n’avons supporté ce que nous avons supporté de cet homme ! » s’exclamaient-ils. Or, à cet instant, arriva Muhammad qui se mit à accomplir les tournées rituelles autour de la Kâ‘ba. D’un commun élan, ils se précipitèrent sur lui : « Est-ce toi, lui crièrent-ils, qui ose insulter les dieux de nos pères ? »
– « Oui, c’est moi ! » répondit-il impassiblement. L’un des forcenés, se jetant sur lui, le saisit parle col de son manteau et tenta de l’étrangler. Abû Bakr, qui se trouvait auprès de lui, s’interposa, disant avec tristesse : « Eh quoi ? Vous tueriez un homme parce qu’il proclame que son Dieu est Allah ? » Et il délivra le Prophète non sans avoir été lui-même malmené par le mécréant, qui lui arracha une partie de la barbe. Le danger couru dans cette circonstance n’empêcha point le Prophète de revenir à la Kâ‘ba pour prier, sans se préoccuper des regards furieux de ses adversaires rassemblés. Sur l’ordre d’Abû Jahl, un homme alla chercher à l’abattoir des entrailles de brebis.
Il choisit celles d’un animal abattu depuis plusieurs jours puis, tandis que le Prophète se trouvait prosterné dans sa prière, il lui en couvrit la nuque et les épaules. Tous les assistants furent secoués d’un tel rire qu’ils tombèrent à terre, se bousculant les uns les autres. Quant à l’Élu d’Allah il ne sembla même pas s’apercevoir de l’affront dont il était victime et il continua ses oraisons… Ce fut sa fille Fâtima qui, arrivant quelques instants plus tard, rejeta au loin cette ordure en invectivant les misérables qui n’avaient pas reculé devant un outrage aussi répugnant.
Avec Abû Jhal, l’un de ceux qui restèrent à jamais flétris par l’histoire, à cause de leur conduite envers le Prophète fut un de ses oncles, surnommé Abû Lahâb, c’est-à-dire « l’homme voué aux flammes de l’Enfer. » Muhammad prêchant un jour au milieu d’un cercle d’habitants, sur la colline de Safâ, Abû Lahâb l’interrompit grossièrement : « Puisses-tu être anéanti, lui cria-t-il, toi qui nous as réunis pour nous débiter de pareilles inepties ! » C’est à cette injure que répond cette sourate du Coran : « Maudites soient les mains de Abû Lahâb et maudit soit-il ! À quoi lui aura servi son argent et tout ce qu’il possède ? Il rôtira à un feu plein de flammes. De même que sa femme qui s’acharnait à transporter du bois, avec une corde de fibres attachée à son cou. » 28
Cette sourate, rapidement célèbre, augmenta le ressentiment d’Abû Lahâb et peut-être encore davantage celui de son épouse, Ummu al-Jamîl, qui s’y trouvait prise à partie d’une façon aussi blessante, mais aussi méritée. Porteuse de fagots ! Elle ne pouvait endurer ce surnom.
Mais n’avait-elle pas semé des branches d’épines sur le passage du Prophète et sa langue n’avait-elle pas allumé les feux de la haine avec les fagots de la calomnie, qu’elle colportait en tous lieux ? Et, ne reculant pas devant les procédés les plus vils, ce couple odieux jetait quotidiennement des monceaux d’ordures sur la terrasse ou devant la porte de Muhammad qui était leur voisin.
Excités ou terrorisés par ses fanatiques, la plupart des Mecquois repoussaient le Prophète ou le fuyaient. Les enfants et les gens sans aveu le poursuivaient, dans la rue, de leurs quolibets. Mais avec quelle parfaite indifférence il accueillait toutes ces provocations ! Qu’était-ce pour lui, du vent qui passe… Il ne semblait même pas apercevoir leurs auteurs, il n’avait d’yeux que pour ceux dont il espérait la conversation.
Etienne Dinet et Slimane Ben Ibrahim
Notes :
26-Sourate 99, versets 1 à 8.
27-Sourate 7, verset 187.
28-Sourate 111, versets 1 à 5.