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Le rattachement à l’islam de René Guénon

René Guénon au Caire.

A l’occasion du 71e anniversaire de la mort de René Guénon le 7 janvier 1951 au Caire, Mizane.info lui consacre un dossier exceptionnel. Slimane Rezki, l’un des spécialistes de René Guenon en France lui a dédié une trilogie. Voici quelques extraits de son tome 1, « L’homme, le sens de la vérité » sur sa vie et son rattachement à l’islam en 1910.

Les origines : 1886-1893

Issu d’une famille de vignerons originaire de l’Angevin, plus précisément de Saumur, rien ne semblait destiner René Guénon à assumer la fonction d’éveil qui fut la sienne et surtout à devenir Cheikh ‘Abd al-Wâhid Yahia.

Lui dont les parents vinrent s’installer à Blois, de santé fragile, mais intellectuellement très précoce, aurait dû, comme son père Jean-Baptiste qui n’avait aucun goût pour le métier de son père (vigneron), se diriger vers l’architecture. Bien qu’attiré et doué en mathématiques, le jeune Guénon choisira dès son arrivée à Paris une autre orientation.

Le 15 novembre 1886, dans la demeure de ses parents située rue Croix-Boissée, naquit René-Jean-Marie-Joseph Guénon fils de Jean-Baptiste Guénon et de Anna-Léontine Jolly. Il fut baptisé par le curé de l’église Saint-Saturnin, fit sa communion aux alentours de ses onze ans en l’église Saint-Nicolas et grandit dans une belle maison sur les bords de la Loire, située rue de Foix.

Les études : 1893-1919

D’une santé délicate dès sa naissance, il fut un enfant sans problème majeur, studieux et appliqué. C’est la sœur de sa mère, Mme Duru, institutrice, qui s’occupa de lui et restera en sa compagnie jusqu’à sa mort en 1928. Il fit sa communion en 1897 en l’église Saint-Nicolas. Toujours parmi les premiers de la classe, en juillet 1903 il devient bachelier ès lettres et philosophie avec une mention Assez bien. L’année suivante, il entre en Mathématiques élémentaires et montre d’emblée des aptitudes réelles.

Récompensé de la médaille de l’association des anciens élèves, son professeur M. Leclère voyait en lui un excellent élève. Ce professeur eut indéniablement une influence sur lui. Laquelle ? La réponse reste délicate, mais quand on sait qu’ils restèrent en correspondance jusqu’à la mort d’Albert Leclère fin 1920, que Guénon affecté à Blois récupèrera de 1918 à 1919 la chaire de son ancien professeur au collège Augustin-Thierry, que Leclère, auteur de plusieurs livres, lui ouvrira l’accès à certaines revues où Guénon publiera aussi des articles, il est difficile d’affirmer que lui, comme d’autres personnes, n’eurent pas d’influence sur Guénon, comme l’avancent « certains », comme si Guénon ne pouvait pas subir certaines influences sans risquer de perdre son aura ou de voir sa mission dévalorisée.

René Guénon : les étapes de la contre-initiation

Cette influence, nous dit Jean-Pierre Laurant dans Le sens caché de l’œuvre de Guénon (page 8), est très sensible dans la partie critique de ses ouvrages, notamment : L’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues (1921), Orient et Occident (1923) et plus particulièrement au chapitre VII de La Crise du Monde moderne : « une civilisation matérielle ». Il reprend les mêmes arguments et les mêmes références  que Leclère : Berkeley, Stuart-Mill , Bergson et Kant .

Sur les conseils de quelques professeurs, il part à Paris poursuivre ses classes en Mathématiques. Ainsi, en 1904, il intègre le collège Rollin.  Le Collège Rollin avenue Trudaine à Paris

Il obtiendra sa licence de mathématiques et peu après quittera le Quartier Latin, jugé trop bruyant, pour s’installer dans l’Ile Saint-Louis toute proche. Ce n’est que plusieurs années après son installation en Égypte, vingt-cinq ans plus tard, qu’il rendra les clés de son logement parisien. Si, entre temps, comme je l’aborderai plus loin, Guénon s’inscrit à l’École des Sciences hermétiques de Papus, ses études ne s’arrêtent pas là pour autant.

Il est inscrit en 1909 et 1910 à l’École pratique des Hautes Études  où il suit le cours du professeur Lacroix . On le retrouve encore à la Sorbonne pendant l’année universitaire 1915-1916 où il suit les cours de Gaston Milhaud (1858-1918), titulaire de la chaire de philosophie des sciences à la Sorbonne, en compagnie de Pierre Germain et Noële Denis-Maurice, future madame Boulet. Il se présente en 1919 à l’Agrégation de Philosophie, mais bien qu’admissible, il échoua à l’oral. Ces tentatives, comme celle du doctorat un peu plus tard, montrent le désir d’intégrer le corps enseignant et notamment le milieu universitaire, auxquels elles donnaient accès.

C’est encore à Milhaud qu’il présenta son mémoire de diplôme d’études supérieures de philosophie des sciences, dont le titre, Examen des idées de Leibnitz sur la signification du calcul infinitésimal, devint en 1946 Les Principes du calcul infinitésimal. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il lut la version de ce qui devait devenir La Métaphysique orientale et la base de la conférence qu’il donna sur le même thème dix ans plus tard toujours en Sorbonne.

Et cette même année, son professeur M. Milhaud lui suggéra, pour sa thèse de doctorat, de traiter des doctrines hindoues. Bien qu’il ne put la soutenir, sa thèse devint son premier ouvrage qu’il éditera sous le titre d’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues.

Rattachement de Guénon à l’islam : 1910

Nous pouvons aujourd’hui citer l’année 1910 avec exactitude, car elle est indiquée dans un passage d’une lettre de Guénon à son ami le Docteur Grangier que nous avons cité plus haut disant « […] mon rattachement aux organisations initiatiques islamiques remonte exactement à 1910[1] ; en comparant cette date à celle de mes livres, vous pourrez vous rendre compte que cela n’empêche absolument rien d’un autre côté ! »

Par quel intermédiaire cela se produit-il ? Par Abdul Hâdi, qu’il connaît en décembre 1910 ? Par Champrenaud, qu’il a rencontré en 1908 ? Ou par un autre biais ? Encore une fois, cela n’a pas d’importance. Mais personnellement je pense que c’est par le biais d’Abdul Hâdi (John Gustav Aguéli), qui semble être le seul lien raisonnablement identifiable avec le Cheikh Elish El-Kebir à la mémoire duquel Guénon dédie son Symbolisme de la Croix.

D’autres points me semblent bien plus dignes d’être remarqués. Tout d’abord la chronologie inversée du rapport que Guénon entretient avec la Tradition. Normalement, on commence par la dimension shari’a, donc exotérique, puis on se rattache à une tarîqah, l’ésotérisme islamique, pour cheminer vers Dieu et atteindre le dernier degré qu’est celui de la réalisation, la haqîqah. Guénon fait l’inverse, il reçoit dans sa jeunesse une grâce illuminative totale (la haqîqah), de façon certaine bien avant 1910.

En 1910, il se rattache à une forme de l’ésotérisme, celui de l’islam, et adhère donc à la tarîqah. Enfin, en 1930, lors de son arrivée en terre d’Égypte, il adhère à la shari’a. On sait qu’en France il ne suit aucun régime alimentaire spécifique comme en témoignent des passages de sa correspondance avec P. Genty, M. Lesage, etc. Une autre remarque me paraît capitale, c’est que le choix de l’islam n’est pas fortuit, comme on a bien voulu nous le faire croire, et cela n’impliqua aucunement l’abrogation et l’invalidité des autres voies que lui-même tenta jusqu’au bout de vivifier.

Là encore, mais d’un autre côté, on a cherché à instrumentaliser cette œuvre à des fins confessionnelles, voire personnelles. Certains ont su tirer profit de ces deux mésinterprétations. Nous verrons plus loin, à travers deux exemples que furent Les Chevaliers du Paraclet et la loge La Grande Triade, que les espoirs de Guénon reposaient autant sur ces possibilités que sur la tarîqah dirigée par Schuon à son second retour de Mostaghanem.

Premier mariage avec Berthe Loury : 1912

Aux vacances de 1911, nous dit Chacornac[2], René Guénon se rendit à Blois afin de revoir sa mère et sa tante, Mme Duru, ses seules parentes depuis la disparition de son père. Sa tante, devenue institutrice libre à Montlivaut, non loin de Blois, avait pour adjointe une jeune fille pleine de qualités, originaire du Chinonais. Elle s’appelait Berthe Loury.

Née en 1883 à Bourgueil, Mademoiselle Loury était la quatrième de sept enfants d’une famille habitant Tours et qui possédait un coquet domaine à Lémeré, non loin de Chinon.

Très grande, d’une figure agréable, cultivée et musicienne émérite, Mademoiselle Loury sut plaire à René Guénon, si bien que l’année suivante, le 11 juillet 1912, ils se marièrent civilement à la mairie de Blois. Une semaine après, avec dispense des bans accordée par l’archevêque de Tours et l’évêque de Blois, ils s’unirent religieusement dans la petite église Saint-Hilaire, de Lémeré[3]. Rappelons qu’à cette période, Guénon est déjà musulman. Plus encore, selon Noële Denis-Maurice, qu’il fréquenta à la Sorbonne deux ans plus tard, sa femme Berthe sembla ne jamais être au courant de son islam.

Quelques mois après, les deux époux vinrent s’installer à Paris dans le petit appartement de la rue Saint-Louis-en-l’Île. Ils vécurent dans un accord parfait, la vie intellectuelle les absorbant tous deux et n’eurent pas d’enfants. Mais le 15 janvier 1928, René Guénon eut la douleur de perdre celle qui fut sa première femme ; ce fut pour lui un réel chagrin. Pour comble d’infortune, sa tante, Mme Duru, devait mourir neuf mois plus tard et la nièce dont il avait la charge lui fut reprise.

Cela l’attrista mais le libéra en quelque sorte et lui permit de penser sérieusement au projet d’un départ qu’il avait déjà évoqué bien des années avant de se marier, notamment avec son ami Amedeo Rocco Armentano dans une lettre du 12 mars 1912, précédant de quelques mois son mariage : « Comme tu le vois par celle-ci, je suis encore ici en ce moment ; mais il est maintenant à peu près sûr que je partirai pour l’Égypte dans le courant du mois prochain, malgré tous les retards que nous avons eus de différents côtés ». Ce qui laisse supposer que son changement de situation familiale changea ou du moins repoussa ses projets de voyage.

Slimane Rezki

Notes : 

[1] Cette information est confirmée par René Guénon dans une lettre adressée au Bureau des passeports français en 1944 : « Nom d’origine : René Guénon. – Ceci seulement à titre de renseignement strictement personnel, car ce nom n’a pas lieu d’être mentionné sur le passeport, attendu que le nom d’Abdel-Wahêd Yahya a en Égypte un caractère parfaitement officiel, en vertu de l’ishhad en date du 6 mai 1934 (dans lequel il est d’ailleurs bien spécifié : “Musulman depuis l’an 1328 H” [1910]), et que, pour cette raison, il est le seul que porte la demande de nationalité égyptienne, ainsi qu’en fait foi le reçu délivré en date du 8 août 1940 ».

[2] P. Chacornac, La vie simple de René Guénon, Éditions Traditionnelles, Paris, 1958, p. 26.

[3] Extrait de registres de mariage de Lémeré, d’après copie, 14 novembre 1933.

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