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Le sens du cheminement spirituel

A quoi sert un cheminement spirituel ? Comment l’aborder dans un contexte marqué par l’insouciance matérielle et la déconnexion au sacré ? Quelques réponses dans cette chronique de Melchi Sédech Al-Mahi, sur Mizane.info.

Le tassawuf en deux mots est une voie qui permet d’atteindre en soi-même le centre à partir duquel on pourra se connecter au divin afin de « devenir » consciemment ce que nous n’avons jamais cessé d’être, à savoir le miroir des noms et qualités de Dieu ; la conscience, avant d’atteindre cet objectif s’identifie non seulement au corps mais encore davantage au mental qui y est attaché, et toute l’activité de la psyché joue à ce niveau.

On peut dire que ces identifications relatives nous empêchent de réaliser notre identité véritable.

Le cheminement consiste donc à se défaire des multiples couches de nous-même avec qui nous nous identifions à tort de façon trop exclusive, afin d’atteindre ce centre à partir duquel, par une activité ascendante, on prendra effectivement conscience de l’unité et de l’entièreté de l’être.

Sommes-nous le corps ? le mental ? les émotions ?

On pourra constater que souvent, il n’y a plus de pilote dans l’avion et que chacun de ces constituants joue au petit chef au dépend de « l’ensemble » et donc de l’harmonie unitive que nous recherchons tous d’une manière ou d’une autre.

Plus notre conscience atteint ce centre, symbolisé par le cœur et plus chaque élément de nous-même se trouvera à la bonne place et sera intégré dans l’ordre total ; pour prendre l’image de l’entreprise, chacun des éléments sera dans la bonne case de l’organigramme.

On peut se demander en revanche si aujourd’hui, il n’est pas nécessaire de bien préparer le terrain sur le plan mental, ne serait-ce que pour redéfinir la vocation de l’homme dans le monde et par là la religion, sa nature véritable et son lien avec Dieu, tout cela étant tellement déformé par les idéologies profanes telles que le marxisme, le freudisme et ses avatars, qu’on est en droit de penser qu’avoir encore la foi, tout en adhérant à la pensée intellectuelle occidentale, relève soit d’une forme de schizophrénie (…) soit du miracle et de la pure grâce.

Nous voulons dire par là que chaque couche identificatoire saura effectivement à quoi elle correspond, quel sera son rôle dans la constitution totale de l’être : le corps ne commandera plus exclusivement vos gestes comme c’est le cas pour l’animal et obéira à votre raison qui elle demandera conseil aux sentiments et émotions, le tout devant absolument être subordonné au cadre dirigeant qu’est l’esprit (le Soi) dont le siège se trouve dans le cœur.

Si votre conscience n’est pas dans le bureau du chef afin d’en recevoir les directives, chaque ouvrier pensera avoir le droit de diriger l’entreprise et s’occupera d’objectifs qui ne concernent que lui, il en résultera après un manque de coordination patent, de violentes disputes, puis la faillite totale de la firme.

La déformation idéologique moderne

On notera incidemment le lien entre microcosme et macrocosme, chacun pourra constater en effet que ce désordre se donne à voir mutatis mutandis dans le corps social avec ses crises toujours plus importantes, il en va de même dans le cosmos tout entier, c’est aussi pourquoi seule « l’activité spirituelle » peut changer véritablement le monde et aura de toute façon infiniment plus d’impact que l’action profane.

Il convient maintenant de remarquer, toujours en prenant l’image de l’entreprise, que l’ouvrier le plus récalcitrant à soumettre n’est pas le corps, que nous arrivons plus ou moins à discipliner comme le montre le succès des salles de sport, mais bien plutôt l’activité mentale, surtout pour nous modernes qui sommes très cérébrales et qui pendant plusieurs siècles avons érigés la raison en grand maître de maison.

Dans une société traditionnelle où chaque idée est pour ainsi dire intégrée à la doctrine du Tawhid, il n’est pas nécessaire pour le cheminant d’avoir des connaissances doctrinales très précises au départ, car il n’y a sauf exception, aucune véritable disharmonie dans les modes de pensée qu’il faudrait venir corriger de fond en comble, ainsi la connaissance intuitive de l’esprit ne trouve qu’une fine couche de croûte à devoir percer.

On peut se demander en revanche si aujourd’hui, il n’est pas nécessaire de bien préparer le terrain sur le plan mental, ne serait-ce que pour redéfinir la vocation de l’homme dans le monde et par là la religion, sa nature véritable et son lien avec Dieu, tout cela étant tellement déformé par les idéologies profanes telles que le marxisme, le freudisme et ses avatars, qu’on est en droit de penser qu’avoir encore la foi, tout en adhérant à la pensée intellectuelle occidentale, relève soit d’une forme de schizophrénie dont la conséquence est la séparation artificielle entre le spirituel d’une part et le reste de la vie mondaine d’autre part, soit du miracle et de la pure grâce ; sachant que ces idéologies non seulement sont diffusés dans les universités mais sont également très répandues parmi le sens commun, il nous semble nécessaire d’assainir notre « paradigme » à partir duquel le mental va produire de la pensée et générer par là-même une multitude d’états psychiques.

Les enjeux d’une saine éducation

Si un travail était  fait sur ce plan dès la plus tendre enfance à travers une saine éducation, qui devrait être à la hauteur des enjeux, alors le musulman ne pourrait guère confondre sa religion avec une pensée désenchantée telle que le wahhabisme, il saurait également en grandissant que seul un homme qui ne dépend plus des travers de sa propre psychè et qui est illuminé par l’esprit transcendant, peut légitimement s’occuper des crevasses et des pièges de son âme, jamais il ne pourrait mettre en doute la vocation des héritiers des prophètes que sont les « awliya d’Allah », car dans cette « vision du monde » par et dans laquelle il aura été élevé, et à travers laquelle sa capacité cognitive se sera développée,  la présence de ces derniers semblera à juste titre  d’une logique évidente et n’apparaîtra donc pas comme un vestige d’un temps révolu que l’on ne conçoit du reste trop souvent qu’à travers le prisme du miroir brisé du colonialisme.

En somme il faut veiller à ne pas atrophier l’intelligence la plus profonde au profit d’un savoir superficiel fut -t-il quantitativement impressionnant.

Cette éducation qui ne servira qu’à résister aux charmes des idéologies diverses et  dysharmoniques de la modernité, devra permettre inchAllah de s’engager sereinement dans la voie, si possible auprès d’un cheikh murshid (éducateur), qui à travers la prescription d’un travail méthodique approprié et de par la lumière qu’il projette dans les cœurs,  pourra faire cheminer le murîd (l’aspirant) sur le retour vers son propre centre, c’est-à-dire vers le bureau du directeur dont nous parlions plus haut et dont le travail est d’intégrer toutes les parties afin de les soumettre à la politique globale d’entreprise pour que les objectifs tendent vers un seul but commun, unifiant ainsi tous les efforts mis en branle et ceci en prenant exemple sur le cheikh dont le comportement, les actions et les pensées sont impulsés par un point central unique.

On ne saurait trop insister sur l’importance du cheikh qui est comme le représentant de la fonction ésotérique du prophète (que la paix et la grâce soit sur lui).

Ce dernier n’était pas un simple prêcheur chargé de distribuer des codes moraux, c’était un envoyé qui bénéficiait de la proximité divine, c’est cette lumière spirituelle qui était à l’origine de son noble caractère et de ses vertus hors du commun et qui avant tout faisait de lui un pôle d’attractivité irrésistible pour qui savait regarder sans préjugé.

La fonction du cheikh

Sans pouvoir développer la question, nous pouvons ajouter que le Cheikh doit en quelque sorte nous faire atteindre le Cheikh qui existe en nous-même, sans quoi c’est « le monde extérieur » qui nous soumettra.

On pourrait certes dire que le tassawuf ne s’adresse qu’a ceux qui ont la volonté de rencontrer leur seigneur ici et maintenant avant la mort physique  et qu’il ne s’adresse qu’à une certaine catégorie de personnes, et cela ne serait pas inexact tant il est vrai que tous les « niveaux d’aspiration » sont dans la nature, mais il faut ajouter que ceux qui décident de ne pas suivre cette voie d’exigence en se suffisant d’une pratique minimaliste, ou pire en s’y opposant, risquent fort en fait de régresser, car se faisant, ils n’entament aucun retour vers l’origine de la révélation, restant éloignés de la source, le risque d’égarement est logiquement plus grand, en particulier dans une société sécularisée ; on pourrait dire qu’ils sont donc spirituellement parlant,  par rapport à ceux qui suivent la voie, à plus de quatorze siècles de la lumière et de la présence prophétique.

Il va de soi que nous parlons d’un véritable retour aux sources et non pas de celui artificiel qui ne se conçoit qu’à travers une orthopraxie simpliste et vide de sens.

Suivre un cheikh connaissant par Allah (Arif bil-lâh) relié au prophète par une chaîne initiatique (silsilah) c’est se donner les moyens de revivre le compagnonnage et tenter de revivifier le lien qui unissait les compagnons au prophète de l’islam, ce lien est la matrice, le noyau à partir duquel toutes les sciences traditionnelles se sont formées par la suite, la présence de ces maîtres n’est donc pas un luxe qui se serait surajouté à l’islam le long des siècles, c’est à partir de ces héritiers que se maintient l’ensemble de la tradition et donc par conséquence le monde lui-même, ils sont le cœur de la oumma. Les membres d’un corps peuvent-ils continuer d’ignorer d’où vient le sang qui circule en eux et qui leur donne vie sans en subir les conséquences ?

Melchi Sédech al-Mahi

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