L’empereur Taizu de la dynastie Ming. Musée national du palais.
On l’ignore souvent mais les relations des populations musulmanes dans la Chine des Ming (XIVe siècle) étaient florissantes. Une entente cordiale a même donné lieu à une alliance contre la dynastie Qing qui réussit à renverser malgré tout l’Empire Ming. Retour sur cet épisode passionnant avec Riyaad Ouakrim sur Mizane.info.
Vers la fin du XIVème siècle, l’empereur Hongwu fonde la dynastie des Ming.
Très respectueux de la religion islamique qui le fascine, il encourage l’islamisation de nombreuses contrées, fait construire des mosquées et promulguer des édits favorisant l’insertion sociale des populations musulmanes, tout en s’entourant d’érudits, d’explorateurs et de généraux musulmans. Loin de se réduire à la seule personne de Hongwu, c’est tout au long de la dynastie des Ming que l’influence musulmane s’opère, et que des lois viennent régir la vie religieuse, intellectuelle et politique de la population musulmane.
C’est le début d’un essor islamique chinois, et d’une assimilation des plus réussies dans l’histoire des rapports entre musulmans et institutions impériales.
Des mosquées sous protection impériale
Nanjing, alors capitale de l’empire, devient un centre d’études islamiques. La Chine des Ming se voit ainsi dotée d’une élite musulmane, dont la foi est jugée beaucoup plus en adéquation avec les principes du Confucianisme que les branches du christianisme et d’autres mouvements spirituels. Dans de nombreuses provinces, on y étudie l’arabe, le persan, le droit et le hadith. Les empereurs se font protecteurs des arts islamiques et de l’intégrité des édifices musulmans. On retrouve sur certaines mosquées cet édit des empereurs :
« Je vous donne par la présente mon décret impérial afin de garder votre résidence. Les fonctionnaires, civils ou militaires, ou quiconque, ne doivent pas vous offenser ou vous insulter. Quiconque vous offense ou vous insulte contre mon ordre impérial sera puni comme un criminel. »[1]
Cette présence musulmane au sein des hautes institutions de l’empire a une répercussion sur la politique impériale et étrangère. Sous le règne de Ming Wuzong, on promulgue par exemple l’interdiction de l’abattage du porc. Les Ming se font protecteurs des principautés musulmanes du sud-est, et avertissent les autres états contre toute tentative d’invasion. Portugais et autres puissances voisines se verront infliger de lourdes sanctions.[2]
De nombreuses figures musulmanes vont s’illustrer : les généraux Fu Youde, Mu Ying et Lan Yu, aux commandes d’une armée chinoise et musulmane, battent en 1381 la dernière armée de loyalistes Mongoles à la dynastie des Yuan (en partie musulmane également) lors de la conquête du Yunnan [3]. Cette bataille met définitivement fin à la présence mongole sur le territoire chinois. Au début du XVe siècle, Zheng He, eunuque de la cour et explorateur chinois, se fera connaitre pour ses expéditions dans l’Océan Indien à la tête d’une flotte de soixante-dix grands navires[4]. Il se voit décerné le titre bouddhique de « Sanbao taijian », soit le « Grand Eunuque aux trois joyaux ». De nombreux musulmans épouseront la voie confucéenne [5] : Ma Zhu en est un exemple typique. Savant sunnite de rite hanafite et de l’école maturidite, il saura combiner la voie islamique et la pensée confucéenne [6].
100 000 musulmans morts pour l’Empire Ming
Jusque dans leur chute, les Ming sauront compter sur le soutien musulman. Au moment des invasions Mandchoues en 1644, de nombreux musulmans lutteront aux côtés des empereurs, dont le philosophe Ma Zhu précédemment cité [7]. Après la défaite des forces loyalistes, durant laquelle près de cent-mille musulmans périront en défendant l’empire, sonne la victoire des Qing.
Les musulmans Hui, refusant la défaite et l’abdication des Ming, continueront de se révolter en supportant des princes Ming, et en adoptant leur patronyme en signe de loyauté. Chinois, Sultans voisins et Tibétains tentent de renverser la situation [8]. Sans succès. C’est la fin des Ming. Pendant les siècles à venir, de nombreuses révoltes sociales auront lieu, et des rivalités entre tariqas soufies engendreront des troubles au profit de l’administration Qing.
Le poème de l’empereur à la gloire du Prophète
Encore aujourd’hui, subsistent les tombes des héros musulmans qui ont combattu jusqu’à la fin de la dynastie Ming, dont ceux de : Milayin, Ding Guodong et Turumtay. Ces tombes portent le nom de « Jiaomen Sanzhong », soit le « Le Trio Loyal des Musulmans »[9]. De nos jours, si le gouvernement chinois estime que seulement 20 millions de Chinois de l’ethnie Hui habitent la nation, les organisations Hui estiment être quatre fois plus nombreuses.
Voici un poème à la gloire du prophète Muhammad, « L’éloge des Cent Mots », composé par l’empereur Ming Hongwu lui-même [10] :
« L’univers fut créé avec une tablette émanant des cieux et comportant son nom.
Une religion délivrée par un grand sage, qui naquit dans les contrées d’Occident.
Garant et réceptacle des saintes écritures en trois parties, transformant à travers le monde toute entité.
Maitre de milliards de chefs, meneur de dix-mille sages.
Assisté par la destinée, protecteur de la Communauté.
Dans chacune des cinq prières, il invoquait en silence pour leur bien-être.
Il espérait qu’Allah se souvienne des nécessiteux.
Qu’Il les délivre de leur tourment vers la guidée, Lui le connaisseur de l’invisible.
Exalté au-dessus de toute âme et de tout esprit, dénué de tout acte blâmable.
Une miséricorde pour le monde, dont la voie est à jamais prééminente.
Renoncez à l’ignorance spirituelle ; Retournez vers l’Unique – C’est ce qu’est cette religion appelée Islam.
Muhammad est le plus noble de tous les Sages. »
Riyaad Ouakrim
Notes :
[1] Donald Daniel Leslie, « The Integration of Religious Minorities in China: The Case of Chinese Muslims » , The Fifty-ninth George Ernest Morrison Lecture in Ethnology, 1998, p. 14.
[2] Colonial armies in Southeast Asia, Routledge, 21 décembre 2005.
[3] Tan Ta Sen et Dasheng Chen, Cheng Ho and Islam in Southeast Asia, Institute of Southeast Asian Studies, 2009, 291 p.
[4] Concernant les sept expéditions qu’il mena, voir Jean-Pierre Duteil, 2016, La Dynastie des Ming, Paris : Ellipses, pp. 66-76.
[5] Nous pouvons citer un autre confucéen de confession musulmane : Liu Zhi (1660-1739) qui vécut sous les deux dynasties Qing et Ming. Voir Sachiko Murata, William C. Chittick, Tu Weiling, 2009, The Sage Learning of Liu Zhi, London : Harvard University Press.
[6] Jonathan Neaman Lipman, Islamic Thought in China: Sino-Muslim Intellectual Evolution from the 17th to the 21st Century, Edinburgh Scholarship Online, 2017.
[7] Jonathan Neaman Lipman, Familiar strangers: a history of Muslims in Northwest China, University of Washington Press, 1998.
[8] FREDERIC WAKEMAN JR., GREAT ENTERPRISE, University of California Press, 1986.
[9] Ibid.
[10] Traduit d’après une traduction anglaise de Brendan Newlon : Praising the Prophet Muhammad in Chinese : A new translation and analysis of Emperor Zhu Yuanzhang’s Ode to the Prophet.
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