Philosophe et logicien, Al Kindi est l’un des premiers représentants de la philosophie en terres d’islam. Le philosophe et historien Abdurrahman Badawi nous expose sa conception de la philosophie en 6 points, dans un texte à lire sur Mizane.info.
Dans son traité de définitions , al- Kindi rapporte ce qu’il appelle les définitions de la philosophie chez les anciens . Elles sont au nombre de 6 :
1. Une définition d’après son étymologie : la philosophie est l’amour de la sagesse, car le mot « philosophe » est formé de philo, c’est-à-dire : ami, et sophia, c’est-à-dire sagesse ».
Nous savons que les mots : φιλόσοφος , φιλοσοφία , φιλοσοφειν se trouvent déjà chez Homère ( II , 15, 412) et Hésiode ( Op. 651 ) ; et plus tard chez Hérodote – mais dans un sens tout à fait général : l’excellence en une discipline ( scientifique ou technique) quelconque. On trouve le mot pióσopos, pour la première fois dans un sens plus précis et restreint, chez Héraclite ( Fragment 35).
2. Une définition d’après son action : « la philosophie est l’effort de ressembler aux actes de Dieu, selon la capacité de l’homme. Par là on veut que l’homme soit parfait en vertu » ( ibidem, II , 172).
Cette définition se rapporte à Platon qui assimile l’effort philosophique à une évasion et cette évasion « c’est de s’assimiler à Dieu dans la mesure du possible or, on s’assimile en devenant juste et saint dans la clarté de l’esprit. » Dans les introductions à la philosophie, qui précédaient les cours exégétiques à Alexandrie au ve et vie siècles de l’ère chrétienne, on en a formé la définition suivante : ὁμοωσις θεῷ κατα τὸ δυνατὸν άvoράл , phrase dont la définition n. 2 d’al- Kindi est la traduction exacte.
3. Une autre définition d’après sa fin : la philosophie est « la préoccupation de la mort. Pour eux, la mort est de deux sortes : une mort naturelle, qui est l’abandon, par l’âme, de l’emploi de son corps ; et une mort qui est la mortification des concupiscences. C’est cette dernière qu’ils visent, car la mortification des concupiscences (ou des désirs ) est le chemin qui mène à la vertu.
Aussi beaucoup d’excellents anciens ont dit : le plaisir est un mal. Nécessairement donc, puisque l’âme se comporte de deux façons une sensitive, et l’autre est intellectuelle , ce qu’on nomme : plaisir, vient de la sensation, car s’occuper des plaisirs sensuels c’est abandonner l’usage de la raison. » ( Rasa’il, I , pp. 172-173) .
Cette définition aussi vient de Platon, qui dit : « quiconque s’attache à la philosophie au sens droit du terme, les autres hommes ne se doutent pas que son unique occupation, c’est de mourir, et d’être mort. Cette définition fut abrégée en cette formule : μλétη Oavátov ( = contemplation de la mort).
4. Une définition d’après la cause la philosophie est « l’art des arts et la sagesse des sagesses ». C’est exactement la traduction de la définition donnée dans ces introductions ci-dessus mentionnées : τέχνη τεχνῶν καὶ ἐπιστήμη ἐπιστημῶν .
5. Autre définition : « la philosophie est la connaissance par l’homme de soi-même. Cette parole est très noble et très profonde. [Pour l’expliquer] je dis, par exemple : puisque les choses sont ou bien des corps ou bien [des êtres ] non- corporels ; que les non-corps sont ou bien des substances ou bien des accidents ; que l’homme est [ formé du ] corps, de l’âme et des accidents ; que l’âme est une substance et non pas un corps [ c’est- à-dire qu’elle est non-corporelle ] — alors l’homme quand il se connaît soi- même, il connaîtra le corps avec ses accidents , le premier accident , et la substance qui n’est pas un corps . Donc, s’il connaît tout cela, il connaîtra le tout . C’est pourquoi les philosophes appellent l’homme un microcosme. » (ibidem, t. I , 173) .
Cette définition se base sur le yvãí σéautov, entendu dans un sens gnostique ; ce qui la fait remonter aux 11 -Ive siècles après Jésus-Christ. Al Kindi, dans un autre endroit, rapporte en détail cette théorie, selon laquelle l’homme, d’après les philosophes anciens, est un microcosme, puisqu’en lui se trouvent toutes les forces qui se trouvent dans le Tout.
6. Une dernière définition selon son essence propre et spécifique : la philosophie est la science des choses éternelles et universelles : leurs êtres, leurs essences et leurs causes, autant que cela est possible à l’homme (Ibidem, t. I, p. 173) .
Cette définition est semblable à celle donnée dans les introductions ci-dessus mentionnées : γνῶσις τῶν ὄντων ᾗ ὄντα ἐστὶ — qui est proche de celle de la philosophie (première) chez Aristote. Aristote (Métaphysique, A 2, 982 a 7-22) dit , en effet, que « nous concevons d’abord le sage comme possédant la connaissance de toutes les choses , dans la mesure où cela est possible…
En outre, celui qui connaît les causes avec plus d’exactitude… La connaissance de toutes choses appartient nécessairement à celui qui possède au plus haut degré la science de l’universel ».
Et plus loin : « il faut que ce soit une science qui spécule sur les premiers principes et les premières causes » ( 982 b 8-9). Voilà les six définitions rapportées par al-Kindî, sans opter pour aucune en particulier. Cet éclectisme sera le trait dominant de son système.
Abderrahman Badawi