Une discrimination systémique est-elle à l’œuvre entre les écoles musulmanes, catholiques et juives ? En trente ans, en France, seuls deux établissements scolaires ont perdu leur contrat d’association avec l’Etat : le groupe scolaire Al-Kindi à de Lyon et le lycée Averroès de Lille. Le quotidien 20 Minutes s’est penché sur la question et les faits sont têtus.
Alors que le lycée musulman Averroès a obtenu gain de cause ce mercredi devant le tribunal administratif de Lille, 20 Minutes a publié hier un article approfondi rassemblant les éléments disponibles sur les contrôles opérés dans les écoles privées musulmanes, catholiques et juives, ainsi que leurs impacts. Les résultats sont clairs : Il existe bien une discrimination systémique.
Deux écoles privées ciblés en trente ans
Les ruptures de contrat entre l’État et les établissements privés sont extrêmement rares. Entre 1991 et 2023, aucun établissement n’avait vu son contrat d’association rompu. Pourtant, en l’espace de deux ans à peine — fin 2023 et début 2025 — deux établissements musulmans ont vu leur contrat résilié : le groupe scolaire Al-Kindi, situé près de Lyon, et le lycée Averroès de Lille.
« J’ai le sentiment d’un deux poids, deux mesures assez choquant entre le sort de l’établissement Stanislas, pour lequel il y a des témoignages abondants et dont le contrat d’association perdure, et le sort du lycée Averroès de Lille, dont le contrat a été rompu par l’État », a déclaré début avril le député Paul Vannier lors d’une audition de la commission d’enquête sur les contrôles des établissements scolaires.
Malgré un taux de réussite de 100 % au baccalauréat général, la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Fabienne Buccio, a annoncé le 10 janvier 2025 la fin du contrat du groupe Al-Kindi, argumentant sa décision par des éléments « contraires aux valeurs de la République ». Le tribunal administratif de Lyon a rejeté, le 12 mars, la demande de maintien du contrat formulée par Al-Kindi.

Des contrôles à répétitions dans les écoles musulmanes
L’établissement avait déjà été visé par de nombreux contrôles : neuf inspections pédagogiques depuis 2014, ainsi que plusieurs inspections à l’initiative de la préfecture. À titre de comparaison, certains établissements catholiques comme Bétharram n’ont pas été inspectés pendant près de trois décennies.
Le lycée musulman Averroès, de son côté, a subi quatorze inspections, dont une évaluation approfondie de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) en 2020, qui lui a pourtant été favorable.
Selon Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman, tous les établissements musulmans sont systématiquement contrôlés. « Je ne connais pas un établissement musulman qui n’est pas contrôlé chaque année, sous contrat ou hors contrat… On a des remontées tout le temps », affirme-t-il.

Les établissements catholiques peu inspectés
À l’inverse, les établissements catholiques semblent être très peu inspectés. Dans un rapport de 2023, la Cour des comptes notait que les contrôles pédagogiques dans les établissements privés sous contrat — en très grande majorité catholiques — étaient « exercés de manière minimaliste », et que le suivi financier était rarement mis en œuvre.
Le cas de l’établissement Stanislas à Paris est emblématique. Malgré une plainte pour discrimination et un rapport accablant de l’Inspection générale évoquant des « dérives » sexistes et homophobes, son contrat d’association n’a pas été remis en cause. D’autres écoles catholiques ont également été impliquées dans des scandales sans conséquence sur leur contrat.
À Notre-Dame-de-Bétharram, plus de 200 plaintes ont été déposées pour agressions sexuelles ou viols sur mineurs, sans remettre en cause le partenariat avec l’État. Un rapport de l’Éducation nationale datant du 10 avril dernier relevait pourtant plusieurs irrégularités. Une inspection générale est en cours, mais la rupture du contrat n’est pas envisagée à ce jour.
Lire sur le sujet : La suspicion généralisée de l’État envers les écoles privées musulmanes
La situation paraît encore plus critique au sein du lycée catholique de l’Immaculée-Conception, à Pau, où, fin décembre 2020, 19 signalements relatifs à des atteintes à la laïcité ont été envoyés au rectorat. Si le chef d’établissement a été suspendu, le contrat, lui, reste intact. De manière générale, les infractions reprochées aux établissements musulmans semblent ignorées dans les établissements catholiques.

Interdiction de « toute inspection » dans les écoles juives ?
Quant aux établissements juifs, ils font l’objet de contrôles encore plus rares. Selon la sociologue Martine Cohen, qui a étudié les écoles juives en 2011, près de 90 % d’entre elles ne respectaient pas la règle de non-discrimination religieuse imposée par le contrat.
Plus préoccupant encore, selon Bernard Toulemonde — ancien directeur de l’enseignement scolaire au ministère — une consigne aurait été donnée dans les années 2000 pour interdire toute inspection dans les établissements juifs. Il affirme que cette politique reste en grande partie inchangée : « Il n’y a pas de contrôle administratif des établissements juifs, comme il n’y en a pas d’ailleurs dans les établissements catholiques, sauf exception », déclare-t-il à 20 Minutes.
Pour lui, l’inégalité de traitement est évident. Ce « deux poids, deux mesures » entre les établissements musulmans et les autres semble refléter une forme de discrimination structurelle. Makhlouf Mamèche confirme ce constat : de nombreux établissements musulmans n’osent même plus demander un contrat avec l’État. « Les établissements sont découragés et ont la conviction que l’enseignement musulman n’a pas sa place en France » déplore t-il.
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