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Les fédérations musulmanes se sont-elles converties à la cause palestinienne ?

De gauche à droite : Amar Lasfar (MF), Chems-Eddin Hafez (GMP) et Mohammed Moussaoui (CFCM). 

La concurrence des communiqués entre CFCM et transfuges du CFCM semble indiquer un intérêt soudain de responsables des fédérations musulmanes pour la défense des Palestiniens. Que faut-il réellement en penser ? Au-delà des communiqués, analyse et décryptage politique sur Mizane.info.

A 48 h d’intervalles, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et les quatre mousquetaires de la CFM (Coordination des fédérations musulmanes, regroupant Musulmans de France, la Grande Mosquée de Paris, le RMF et la FAIACA) se sont livrés à une concurrence des communiqués qui mérite d’être saluée.

La CFM a eu la primeur publiant le 17 mai un communiqué exprimant « ses plus vives inquiétudes face à la dégradation de la situation au Proche-Orient. Le bilan des victimes civils à Gaza –majoritairement des femmes et des enfants – ne cesse de s’alourdir (…) et laisse une population meurtrie et traumatisés par ces bombardements continus. La Coordination des fédérations musulmanes appelle le gouvernement français et l’Union européenne à intervenir instamment afin que cesse ce cycle de violences inouï qui tue des civils innocents de chaque côté. »

Après avoir souligné qu’il ne s’agissait pas d’un conflit de religions, la CFM a rappelé qu’il était question d’un conflit politique qui devait se régler par le respect du droit international et a conclu son communiqué par un soutien au peuple palestinien.

Un prêche pour Al Aqsa

De son côté, Mohammed Moussaoui a joué la carte du pragmatisme communautaire en proposant ce vendredi aux mosquées cinq initiatives :

  1. Consacrer le prêche du vendredi prochain à faire connaître la place de la mosquée Al Aqsa troisième haut lieu saint de l’islam et à la ville d’Al-Qods (Jérusalem) dans la religion musulmane.
  2. Organiser des collectes de fonds au profit des ONG humanitaires qui interviennent dans les territoires palestiniens.
  3. Lancer une large compagne de parrainage entre mosquées de France et mosquées palestiniennes en vue de leur apporter assistance.
  4. En partenariat avec les ONG humanitaires, lancer une large campagne de parrainage entre les familles de France et les familles palestiniennes pour apporter aide et soutien notamment aux enfants.
  5. Multiplier les prières et invocations pour le repos des victimes, la fin des affrontements et l’instauration de la Paix.

Le président du CFCM a également condamné toutes les violences et « le bilan macabre des affrontements dans le Proche Orient (qui) ne cesse de s’alourdir. Au moins 219 palestiniens, dont 63 enfants, ont été tués à la suite de raids israéliens dans la bande de Gaza. Les tirs de roquettes provenant de Gaza ont tué 11 israéliens dont un enfant. Toutes ces victimes sont dans leur immense majorités des civils », en appelant la communauté internationale à y mettre un terme.

Faut-il voir dans ces communiqués un soutien réel à la cause palestinienne ?

Plusieurs éléments directs et indirects démontraient plutôt le contraire.

Le devoir de neutralité politique

Jetons un premier coup d’œil sur les éléments de langage employés dans les deux communiqués qui se ressemblent étrangement sur la partie des condamnations.

Les mots Palestine, colonisation, colons israéliens, occupation, autant de termes clés expliquant les causes du conflit, ne figurent dans aucun des deux communiqués. Ils sont remplacés par Proche-Orient, inquiétude, dégradation, affrontement. La dimension politique de la guerre en Palestine est très vaguement évoquée sans plus d’explications.

Autre élément : le nivellement des responsabilités et l’égalisation factice des parties en présence.

Le communiqué du CFCM mentionne par exemple le détail des pertes civils des deux côtés, sans relever la disproportion massive de ces victimes : 20 fois plus de victimes côté palestinien, tués par les bombardements d’une armée israélienne équipée et financée par la première puissance militaire mondiale, les Etats-Unis. Si toutes les vies se valent, il est des disproportions qui ne peuvent être tues. Au demeurant, et sur le plan politique, les colons israéliens ne sont pas de simples populations civiles neutres mais des acteurs engagés volontairement au côté de l’armée israélienne et supplétifs de la politique consistant à chasser les Palestiniens et à coloniser leurs terres. Les agressions de palestiniens par des colons israéliens sont loin d’être rares et sont généralement couvertes par la « justice » israélienne, très peu de condamnations étant prononcée. Cette asymétrie, sur tous les plans, est occultée.

A l’évidence, la position adoptée par le CFCM et la CFM répond parfaitement à ce qui est attendu d’elles par le Quai d’Orsay. Une position aussi neutre que possible, réduite à une forme d’émotion d’ordre humanitaire toute générale, renvoyant dos à dos colons et colonisés, oppresseurs et opprimés, en évitant soigneusement de les nommer.

D’ailleurs, pouvait-il en être autrement dès le moment où ces fédérations se sont elles-mêmes muselées en s’interdisant officiellement toute position politique autre que celle dictée par le gouvernement, conséquence de toute la séquence de la loi contre le séparatisme, soutenue par ces fédérations à travers la charte des principes de l’islam de France qui en est le versant intracommunautaire et dont l’application leur a été confiée.

Cette impasse explique le fait que les fédérations évoquent la nature non religieuse de cette guerre qui est politique, de leur propre aveu, mais qui en raison même de cette nature ne peut être abordée par elles. Autrement dit des organisations à vocation religieuses, dirigées par des acteurs politiques, sont contraintes d’aborder religieusement un conflit non religieux mais politique au nom d’une considération politique. Sur le plan de la cohérence, on repassera.

MF et le refus d’importer le conflit en France

En outre, il convient d’ajouter que CFCM comme CFM ont réagi au bout d’une longue semaine de bombardements israéliens et face aux pressions des internautes sur les réseaux sociaux, fortement mobilisés. La réaction a été plus que tardive.

D’autres éléments sont évidemment à considérer dans cette affaire.

Des éléments consulaires du côté de la direction du CFCM dont l’actuel président Mohammed Moussaoui préside également l’Union des Mosquées de France, une structure proche de la monarchie marocaine et du réseau consulaire du Makhzen en France. Cette proximité politique et diplomatique est naturellement impactée par l’officialisation récente de la normalisation du Maroc avec Tel Aviv. Outre les usages protocolaires et diplomatiques dans la rédaction des communiqués, cette normalisation israélo-marocaine place statutairement l’actuel président du CFCM (et tous les cadres des structures liées de près ou de loin au Maroc) dans une posture inconfortable, leurs mains étant liées quoi qu’il en soit.

Mais les choses ne sont guère meilleures en face, chez les transfuges de la CFM.

L’exemple le plus significatif étant celui de Musulmans de France, ex-UOIF, qui a intégré depuis quelques années dans sa charte le renoncement au soutien à la cause palestinienne, à travers la formule consacrée du refus d’importer le conflit israélo-palestinien en France.

Dans le chapitre intitulé « Le refus d’importer les conflits étrangers dans notre pays » de la section « L’identité de Musulmans de France », MF déclare : « Le problème des palestiniens trouvera sa solution en Palestine avec l’aide des Nations Unies et des grandes puissances, mais certainement pas par l’action des citoyens de confession juive ou musulmane de France. »

Capture d’écran de la charte de Musulmans de France.

Il est évident que cette concession symbolique majeure pour une organisation qu’on a toujours présentée comme proche des Frères musulmans, le soutien à la Palestine étant historiquement un élément fort de l’identité ikhwaniste, n’a rien d’anodin. En réalité, il participe d’un processus d’évolution et de délestage de l’identité Frères musulmans qui n’est plus assumée publiquement et dont la dimension pro-palestinienne, trop lourde à porter en France, a été abandonnée. Une crise profonde d’identité dont les changements de noms successifs peuvent témoigner (Union des organisations islamiques en France, Union des organisations islamiques de France, Musulmans de France).

En 2004, des rencontre entre les directions du CRIF et de l’UOIF avaient déjà eu lieu dans un climat tendu. L’idée était de tenter d’ouvrir une forme d’apaisement et d’obtenir un compromis avec le CRIF dont le pouvoir politique et l’influence sont importantes en France, notamment sur la question de l’islam. Un débat avait même été organisé sur Europe 1 avec Elkabbach. Très offensif dans ce débat côté juif sur la question israélienne, le ton était sur la défensive côté musulman. Une lettre ouverte de l’ex-président du CRIF Roger Cukierman à Fouad Alaoui (ancien secrétaire général de l’ex-UOIF) sur le cas Hassan Iquioussen avait clôturé cette séquence.

Certes, il fut un temps où l’ex-UOIF participait à des actions de soutien à la Palestine dont la cause était évoquée assez librement dans certains prêches ou interventions de ses prédicateurs et chaque année au moment du Rassemblement annuel des musulmans de France, durant lequel des expositions sur Al Quds étaient présentées et des intervenants palestiniens de la société civile, invités.

Ce temps est bien lointain.

Soumis à toutes sortes de pressions par l’appareil d’état, dont des pressions administratives et fiscales importantes exercées contre certains de ses cadres, son établissement de l’IESH de Saint-Denis ayant été également fermée provisoirement par la préfecture pour cause de non-respect des règles de sécurité, MF a joué la carte du compromis idéologique espérant, par ce gage de conformisme important offert aux autorités, obtenir un allègement des pressions à défaut d’une réhabilitation.

LICRA et GMP : le new deal

Du côté de la GMP, on n’est pas en reste.

La signature par Chems-Edin Hafez d’une convention de partenariat de lutte contre le racisme anti-musulman et l’antisémitisme avec la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) ce 19 mai est le signal fort d’une alliance douteuse avec une organisation engagée historiquement dans la création de l’état d’Israël et notoirement pro-israélienne.

« Dans la logique de sa nouvelle mission, la LICA aide les rescapés juifs qui veulent s’installer en Palestine tout en incitant les instances internationales à étudier les modalités de la création de l’Etat d’Israël », est-il mentionné à ce propos sur le site de la LICRA.

Ce parti pris pro-israélien de la LICRA est évoqué en ces termes par le géopolitologue Pascal Boniface sur le site de l’Iris dans un article intitulé : « La Licra, son livre contre le racisme et l’antisémitisme : un prêche partial pro-israélien. »

Parti-pris qui engagera la Licra à se porter partie civile contre des militants en faveur du boycott des produits israéliens (BDS) et à associer antisionisme et antisémitisme dans un outil pédagogique utilisable dans les écoles.

Son ancien président Alain Jakubowicz avait par ailleurs déclaré que « l’islamophobie était un droit » et a fortement milité contre l’emploi de ce terme symboliquement perçu sans doute comme une concurrence potentielle à l’antisémitisme. En matière de lutte contre le racisme anti-musulman, on a tout de même fait mieux.

Il apparaît donc à la lumière de tous ces éléments qu’il est difficile de parler d’une posture pro-palestinienne du CFCM et de la CFM. Il s’agit là visiblement d’une affirmation sans fondement.

Fouad Bahri

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