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Les ruptures laïques d’Emmanuel Macron

Dans son discours sur les séparatismes, prononcé aux Mureaux le 2 octobre dernier, le président de la République s’est illustré par cinq entorses majeures à la laïcité. Une analyse exclusive publiée par Mizane.info.

« Le problème, ce n’est pas la laïcité. »

Hélas, si. Pour Emmanuel Macron, qui prononçait vendredi 2 octobre un discours sur « les séparatismes » aux Mureaux, la laïcité est, il faut le regretter, une notion qui a perdu de son prestige conceptuel, de son autorité morale, de sa force de loi.

Le propos pourrait, de notre part, sembler exagéré ou inopportun, voire défavorablement orienté.

Un simple examen des mots du président de la République nous prouvera malheureusement le contraire.

Rappel salutaire. La laïcité est la séparation des Eglises et de l’Etat.

Elle définit un régime politique neutre sur le plan doxastique (du grec doxa, opinion ou croyance).

« La laïcité, c’est la neutralité de l’État et en aucun cas l’effacement des religions ». Macron

L’Etat, ses représentants politiques et ses fonctionnaires sont tenus, de par un ensemble de textes de lois dont la loi-cadre de 1905, à faire preuve d’impartialité, de non-discrimination des citoyens en vertu de leur appartenance confessionnelles ou philosophiques, et, dans le cadre de leurs fonctions publiques, de s’abstenir de professer des convictions religieuses ou doxastiques, et de prendre parti positivement ou négativement en fonction d’un critère de cette nature.

« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public (article 1). La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (article 2). » Loi de 1905.

Il existe souvent une autre dimension de la laïcité présente dans les discours politiques, consistant à affirmer que la laïcité doit nous affranchir des dogmes religieux et nous garantir une liberté civique.

Ce type de discours, marqué historiquement par la référence aux conflits entre l’Eglise catholique et les révolutionnaires français, est un élément de langage idéologique qui ne participe en rien de la loi et des institutions françaises.

Pour une raison évidente : cette interprétation oriente l’Etat dans une politique hostile à la religion, ce qui est précisément le contraire de la laïcité censée garantir un espace social libre de contraintes et offrant aux citoyens français la possibilité d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du trouble à l’ordre public.

Paradoxalement, le président de la République réaffirme cette définition lorsqu’il déclare ceci : « Je l’ai plusieurs fois rappelé, la laïcité en République française, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire, la possibilité d’exercer son culte à partir du moment où l’ordre public est assuré. La laïcité, c’est la neutralité de l’État et en aucun cas l’effacement des religions dans la société dans l’espace public. »

Il la réaffirme mais ne la respecte pas à au moins cinq reprises.

L’école contre la religion

La première rupture laïque d’Emmanuel Macron intervient sur la question de l’école, de son rôle et de sa fonction.

Le président désigne explicitement l’école comme un rempart contre…la religion.

« L’école, c’est le creuset républicain. C’est ce qui fait qu’on protège nos enfants de manière complète par rapport à tout signe religieux, à la religion. C’est vraiment le cœur de l’espace de la laïcité, et c’est ce lieu où nous formons les consciences pour que les enfants deviennent des citoyens libres, rationnels, pouvant choisir leur vie. »

Cette mise en opposition entre école et religion est à la fois erronée, répréhensible et inquiétante.

Erronée car elle ne définit pas le cadre laïque de l’école stipulant seulement que l’enseignement est laïque, c’est-à-dire neutre.

Oui, l’école n’est pas un lieu du croire mais du savoir. Ceci étant dit, ce cadre n’implique en aucune façon une conflictualité.

L’école n’a pas à interdire la croyance et n’a pas à statuer sur elle dès lors que le cadre de l’enseignement est respecté.

Les parents ont le droit de transmettre des croyances et des valeurs religieuses à leurs enfants et les enfants ont le droit de les vivre dans une certaine mesure, dans le respect du cadre scolaire.

L’école n’est pas un rempart contre la religion car la religion en soi n’est pas une menace, ni un danger contre lesquels il faudrait « protéger » les élèves. Cette position est donc répréhensible car elle mène Emmanuel Macron à sortir de sa réserve laïque à l’égard de la religion en adoptant une position hostile contre elle.

Elle est en outre inquiétante car elle verbalise, de la part du chef de l’Etat qui est le représentant de la République, un conflit ouvert contre les religions en général et l’islam en particulier.

La loi sur les séparatismes est devenue dans le discours du 2 octobre une loi contre le séparatisme islamiste. Nous en reparlerons.

La fausse polémique des menus confessionnels

C’est dans ce contexte que l’exemple de la cantine et des menus halals, vieille antienne rabâchée sans cesse pour illustrer la revendication d’un islam conquérant nos assiettes, est cité par le président.

« Des élus, parfois sous pression de groupes ou de communautés, ont pu envisager et peuvent envisager d’imposer des menus confessionnels à la cantine. Nous avons sur ce sujet des cas, dans des départements comme la Seine-Saint-Denis, mais aussi en Normandie. »

« Ont pu envisager et peuvent envisager » : traduction, il n’y a pas de menus confessionnels dans les cantines.

La référence est conditionnelle, le président est dans un registre préventif et plus exactement dissuasif.

D’ailleurs, si tant est qu’il y aurait des menus confessionnels, cela pourrait correspondre encore à une lecture laïque des règles scolaires car la laïcité est aussi égalitaire et manger de la viande casher ou halal revient à manger de la viande (à l’exception du porc qui peut être servi, toujours dans une lecture laïque).

Priver les enfants de viande n’est pas égalitaire, manger de la viande casher ou halal n’a pas d’effet opératoire en terme de croyance.

Il n’y a néanmoins, et malgré cette lecture laïque, aucune dynamique générale de demande de menus confessionnels dans les cantines. Cet exemple ne s’appuie donc sur aucune réalité.

En marche vers un islam d’état gallican

La seconde rupture laïque d’Emmanuel Macron cible la gestion de l’islam.

Le président de la république présente sa méthode pour bâtir ce qu’il appelle un islam des Lumières.

« C’est ce chemin que nous allons ouvrir ensemble. C’est-à-dire, essayer ensemble de bâtir une organisation qui va nous permettre, je l’espère, je le crois, de construire un islam des Lumières dans notre pays (…) Ce n’est pas le travail de l’État de structurer l’islam. Mais nous devons, nous, permettre, accompagner cette émergence, et c’est ce que ce dialogue, toute cette préparation nous a permis de faire (…) nous allons nous-mêmes former nos imams et nos psalmodieurs (…) ça n’est pas l’État qui le fera, en vertu même du principe de séparation, ce sera au Conseil français du culte musulman. Mais je lui fais confiance et c’est une responsabilité immense que nous lui confions. Mais en même temps, je leur ai dit avec le ministre il y a deux jours, c’est une pression immense que nous allons exercer sur eux, parce que nous n’avons pas le droit d’échouer. »

Le président Macron annonce donc vouloir construire un islam « compatible avec les valeurs de la République » en s’appuyant sur les clercs du Conseil Français du Culte Musulman.

Il indique deux étapes dans ce processus : celle du dialogue, aussitôt suivie par l’étape d’un prosélytisme politique puissant puisque, selon les termes du président de la République, « c’est une pression immense » qui sera exercée contre eux pour atteindre cet objectif.

Ces propos témoignent à l’évidence d’une double rupture laïque d’Emmanuel Macron.

La première rupture consiste pour le chef de l’Etat à sortir de la réserve laïque et du devoir de neutralité qui lui est associée, en annonçant la volonté de construire une organisation de l’islam, suivie en second lieu du fait aggravant d’exercer, à cette fin, une contrainte, une pression politique sur une institution religieuse (CFCM), ce qui est là-encore une violation manifeste de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.

Ce qui contredit au passage cette déclaration du président de la République : « Je ne pense pas qu’il faille une forme d’islam gallican, non. »

Une rupture du pacte républicain

La troisième rupture est bien plus qu’une rupture laïque, c’est une rupture du pacte républicain.

Nous faisons référence à la continuité établie directement et indirectement dans ce discours entre le terrorisme et des phénomènes ou des comportements relevant d’une certaine forme de sociabilité musulmane, statistiquement dérisoire, et créant un groupe hétérogène dit de séparatistes.

Il s’agit là clairement d’un amalgame dangereux car il désigne des catégories de la population française comme des ennemis de la République et en fait donc des cibles potentielles de la vindicte populaire.

Il importe d’être ici extrêmement clair et de faire preuve de discernement : il a existé et il existe peut-être encore (les services de renseignements sont mieux informés) des activistes terroristes qui ont déjà frappé le territoire français.

Cette menace n’est pas un fantasme et il est du devoir de tout citoyen de la combattre, selon ses moyens.

La définition du terrorisme est la suivante : action ou entreprise violente (attaque, attentat, crime) exercée sur une population et destinée à générer un climat de peur dans des buts politiques précis.

Le terrorisme peut être exercé par un individu, un groupe ou un Etat.

Ceci étant dit, s’il existe des groupes ou des individus projetant de préparer des actions terroristes, ils doivent être mis immédiatement hors d’état de nuire, et ce sur la base de faits concrets, réels, des preuves manifestes, et en établissant toute la lumière sur ces auteurs et les commanditaires (ce qui est loin d’être toujours le cas). Dans le cadre du droit.

Il y a aujourd’hui deux sources du terrorisme en France : l’idéologie extrémiste de Daesh qui s’exporte par le net et le suprématisme racial d’extrême droite qui a ses défenseurs organiques dans toutes sortes de structures, et parfois même, des idéologues ayant pignon sur média.

Hormis ce cadre très précis, toute volonté d’établir une continuité, par nature factice, entre des terroristes et des individus qui, pour des raisons religieuses, demandent des créneaux horaires à la piscine, ne souhaitent pas serrer la main de femmes ou d’hommes, portent un voile, pratiquent la prière durant leur temps de pause, etc, est non seulement illégale mais encore une fois dangereuse car elle conduit à criminaliser des personnes innocentes et à entraîner pour elles toutes sortes de préjudices (discriminations, agressions, rejet et exclusion sociale) ce qui est intolérable dans un Etat de droit républicain.

Une telle continuité perceptuelle ouvrira certainement la porte à toute sorte de troubles à l’ordre public dans la société française, du fait des agressions, des entorses à la loi et des tensions inévitables qu’elle génèrera.

Cette vision confuse, alimentée par une médiatisation alarmiste et anxiogène, et présente jusqu’à l’intitulé lui-même des « cellules de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire », instances régionales chapeautées par des préfets, se nourrit du flou sémantique des termes successifs utilisés pour la nommer (communautarisme, islamisme, séparatisme).

Un flou alimentant un énième amalgame que le président n’ignore pas, lui qui se faisait pourtant fort de le désamorcer, en vain.

Dans son discours, Macron fait donc référence aux réservations non mixtes de piscine pour les femmes.

Cette pratique, courante chez nos compatriotes de confession juive, tout comme celle de ne pas serrer la main des femmes chez les rabbins et les religieux juifs, n’a jamais posé problème aux élus de la République, quoi qu’on puisse en penser.

Le président ferait-il une différence entre les enfants de la République ?

Dans le discours des Mureaux, ladite continuité, il faut le déplorer également, est établie entre des catégories d’individus très diverses (gestionnaire de salles de sport, responsables associatifs, délinquants et trafiquants dans les quartiers, militants décoloniaux, etc) qui n’ont qu’un seul point commun : une origine musulmane présumée.

Ce qui, hélas, correspond à la définition de la racialisation.

On peut, au-delà de ce constat inquiétant, s’interroger sur le sens à vouloir exclure des citoyens (surtout des citoyennes) de confession musulmane de tous les lieux de sociabilité (salles de sport, débit de boissons), des citoyens qui, jusqu’à preuve du contraire, n’ont commis aucun délit puisqu’il n’y a pas de condamnation judiciaire ? Et poser cette question : les libertés religieuses sont-elles encore garanties dans notre pays ?

La République, une Eglise de substitution ?

Dernière rupture laïque : l’érection de la République en religion de substitution.

Il est fréquent, dans le discours politique français, de présenter l’école comme un sanctuaire laïque, sécularisation d’une fonction religieuse qui en dit long sur la volonté de faire de l’école un espace contre-religieux.

Nous ne développerons pas ce point précis.

Ce qui est intéressant à analyser est cette volonté elle-même qui transpire également dans les propos du chef de l’Etat.

« S’il faut faire craindre la République en appliquant ses règles sans faiblesse et redonner force à la loi, s’il faut reconquérir sur des axes essentiels que j’ai évoqués, il faut aussi la faire aimer à nouveau en démontrant qu’elle peut permettre à chacun de construire sa vie. Nous avons au fond un devoir d’espoir (…) Et ça ne se décrète pas l’amour. Ça ne se légifère pas l’espoir. Ça se démontre (…) La République c’est à la fois un ordre et une promesse. Et donc ce qu’il nous faut faire avec beaucoup de force c’est aller plus loin sur cette voie. »

Il est incontestable que le président Macron engage la France et les Français dans une « voie » de sacralisation de la République, ce qui renforce ce paradigme politique de mise en opposition et en concurrence de la religion et de la République.

La République se doit d’incarner un idéal sacré et de mobiliser des fidèles/citoyens en leur enseignant l’amour et l’espoir, deux notions fortement teintées de religiosité que la France hérite du catholicisme.

Dans cette grille de lecture, la laïcité devient un dogme, l’école un sanctuaire, le panthéon un mausolée de saints laïcs, et la République une Eglise fondée sur la Trinité Liberté/Egalité/Fraternité.

Cette lecture est une fois de plus une rupture laïque et disons-le un « sacrilège » républicain, dès lors qu’il est bien entendu que la République est un régime politique fondé sur un ordre humain (et non divin) immanent (et non transcendant).

Pour autant, et c’est là l’une des pirouettes dont le chef de l’Etat a le secret, ce discours du 2 octobre 2020 demeure effectivement, à bien des égards, un discours de lutte contre un séparatisme fondateur et constitutif de la République française : le séparatisme laïque (régime politique et juridique de séparation des Eglises et de l’Etat).

Fouad Bahri

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