Les écrits historiques sur le passé arabo-musulman de l’Andalousie (Al-Andalus) et sur la Reconquista chrétienne ne manquent pas. Pourtant l’actuel Portugal, anciennement connu comme « Gharb Al-Andalus », a également été une région musulmane « luso-arabe » pendant plus de cinq siècles. Focus.
La péninsule ibérique occidentale (Portugal) entretient depuis des siècles de nombreux liens historiques avec le monde musulman. Moins connue, cette région fut désignée sous le nom de Gharb Al-Andalus durant plus de cinq siècles. Pendant que les califes gouvernaient Al-Andalus de 711 à 1492, la partie « luso-arabe » de l’Andalousie resta quant à elle sous influence musulmane entre les VIIIe et XIIIe siècles.
Gharb Al-Andalus : une partie méconnue de l’Histoire
Ces dernières années, les chercheurs se sont davantage penchés sur Gharb Al-Andalus pour mieux comprendre l’héritage historique, scientifique, architectural, linguistique et culinaire laissé par les dynasties musulmanes avant la chute de Grenade en 1492.
Selon Elsa Cardoso, docteure en Histoire et spécialiste d’Al-Andalus, l’historien Alexandre Herculano de Carvalho Araújo (1810-1877) a eu « le mérite de donner au passé islamique une place au Portugal ».
Toutefois, « beaucoup de travail reste à faire dans l’académie portugaise, près de 150 ans après la publication de l’Histoire du Portugal (1875) », afin de mieux mettre en lumière cette partie méconnue de l’Histoire.
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Un oubli volontaire du passé islamique du Portugal
Dans un article intitulé « Al Mu’tamid, entre imaginaire et nationalisme », Elsa Cardoso étudie le règne d’Abbad III, dernier émir abbadide de Séville, né à Beja (Portugal actuel). Il gouverna de 1068 à 1091 avant d’être renversé par ses alliés almoravides (1040-1147) et exilé au Maroc, où il mourut en 1095 à Aghmat.
Elsa Cardoso souligne que « le manque d’intégration des études arabes et islamiques au Portugal », ainsi que la manière négative ou absente avec laquelle l’historiographie traditionnelle présente la conquête islamique, ont poussé certains historiens à promouvoir un « orientalisme positif », visant à lutter contre « l’oubli du passé islamique péninsulaire ».
Dans une deuxième analyse, Elsa Cardoso fait référence aux travaux d’auteurs tels qu’Oliveira Parreira et le médiéviste António Borges Coelho. Ce dernier, dans son ouvrage Portugal na Espanha Árabe (Le Portugal dans l’Espagne arabe, 1972-1975), remet en question « le narratif national traditionnel basé sur la Reconquista et une identité exclusivement chrétienne », ainsi que « l’appropriation d’Al-Andalus comme patrimoine uniquement espagnol ».
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La tolérance luso-arabe
Borges Coelho propose d’attribuer au Portugal des « caractéristiques de tolérance », en contraste avec l’Espagne, qu’il associe à « l’extermination du multiculturalisme ». Contrairement à l’Espagne des Rois Catholiques et de Philippe III, Gharb Al-Andalus n’a « ni extermination, ni expulsion massive des Morisques ».
L’historien français Pierre Guichard explore ce sujet dans son article « Formation de la société andalousienne dans le Gharb et dans la marche supérieure ». Il explique qu’après la domination arabe, des chefs muwallads (autochtones convertis à l’islam) s’emparèrent du pouvoir, tout en étant « culturellement arabisés ou en voie d’arabisation ».
Lire sur le sujet : Portugal – Une empreinte arabo-musulmane multi-centenaire
Ces gouvernants luso-arabes auraient reproduit des structures de pouvoir inspirées des modèles arabo-musulmans de l’époque.
Une société profondément arabisée
Manuela Marin, chercheuse espagnole, approfondit cette question dans « L’invention d’une tradition, l’Algarve médiéval ». Elle affirme que l’arabisation de la région luso-arabe fut profonde, illustrée par des paysans capables de réciter des poèmes en arabe classique, ce qui démontre, selon elle, une société « profondément arabisée, voire simplement arabe ».
Ainsi, ce passé partagé entre le sud de l’Europe et la rive sud de la Méditerranée rappelle l’importance d’Al-Andalus, non seulement comme héritage espagnol, mais aussi comme une part essentielle de l’histoire portugaise et européenne.
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