Qu’est-ce que l’orientalisme ? Comment Edward Said le définissait-il ? Quels objectifs poursuivaient ses promoteurs ? Etudiante en histoire, chroniqueuse sur Mizane.info, Ikrame Ezzahoui nous dresse une présentation de cette notion polémique née de l’histoire coloniale et établit sa filiation et son héritage sur le traitement médiatique de l’islam.
“La conquête de la terre qui consiste essentiellement à la prendre à ceux dont la peau est d’une couleur différente de la nôtre et le nez légèrement plus épaté, n’est pas bien jolie si l’on y regarde d’un peu près. Elle ne peut se racheter que par une idée. Une idée directrice, non pas un prétexte sentimental, mais une idée et une croyance désintéressée en cette idée; une chose devant laquelle on puisse se prosterner et à qui l’on puisse offrir des sacrifices.” Joseph Conrad
Cette citation est extraite du grand roman britannique de Joseph Conrad “Au cœur des Ténèbres”, livre qui a marqué l’étude de l’intellectuel palestinien Edward Said à propos de l’Orientalisme.
Dans le roman, le narrateur raconte l’histoire d’un fonctionnaire britannique de la Compagnie marchande de la Couronne chargé de rétablir des liens commerciaux avec le directeur d’un comptoir situé en plein cœur de la forêt congolaise.
Le fonctionnaire entreprend ce voyage accompagné par d’autres jeunes hommes espérant faire fortune dans l’extraction de minerais en terre africaine.
Le récit de ce périple loin des images magnifiées de l’explorateur s’avère être pour le fonctionnaire une désillusion absolue et une profonde descente à la fois métaphorique et matérielle dans les ténèbres de l’entreprise impériale et coloniale dans ses aspects les plus cruels.
Le narrateur y pointe les ironies de la “mission civilisatrice » qui n’hésite pas à employer des moyens de violences à grande échelle contre les populations indigènes, et celles des projets de modernisation politique et de développement économique prônée par le discours impérial pourtant basés sur l’exploitation sans mesure des ressources naturelles.
Ce lien intime entre le savoir et le pouvoir et la façon dont l’érudition peut être employée par le politique, est l’un des thèmes principaux de l’étude de Edward W. Said, intellectuel d’origine palestinienne et professeur de littérature comparée à l’université de Columbia, décédé en 2003.
L’œuvre de Said “L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident” parue en 1978, pierre angulaire des études postcoloniales, a durablement modifié le regard porté sur les productions culturelles occidentales sur l’Orient en rendant visible leur impensé colonial.
Elle a aussi suscité de nombreuses critiques tant positives que négatives ainsi qu’un très vif débat mis en lumière par le nombre de préfaces et de postfaces ajoutées par l’auteur au fur et à mesure des publications et des rééditions.
Ses travaux montrent comment cet ensemble de discours orientalistes, qu’ils soient littéraires ou scientifiques, ont fait système, et qu’ils ont fait partie du processus de domination.
Ce discours qui a prévalu dans l’immense majorité des productions de savoirs du XIXe siècle créa une géographie imaginaire opposant un Orient primitif et balbutiant à côté d’un Occident surpuissant et énergique, pourvoyant ainsi d’une assise scientifique solide l’entreprise coloniale.
Le sous-titre de l’œuvre “L’Orient créé par l’Occident” qui tenait par avance à désamorcer les critiques, qui lui seront tout de même faites, d’avoir essentialisé une identité orientale et une identité occidentale; montre bien que c’est en créant l’Orient que l’Occident se crée lui-même, qu’il s’élève et se distingue par contraste et par démarcation dans cette fiction de surplomb et d’autorité.
Comme l’explique Saïd, cette entreprise de domination culturelle puis politique s’est appuyée sur une longue tradition d’administrateurs coloniaux, un impressionnant corpus de textes savants ainsi que d’innombrables “experts” en matière d’orientalisme se composant d’un corps professoral bien ancré en lien étroit avec les puissantes institutions socio économiques et politiques.
L’ancien premier ministre de Grande Bretagne Benjamin Disraeli ne disait pas déjà en 1847: « L’Orient est une carrière!”
Si l’analyse de Said en tant qu’éminent professeur de littérature comparée se concentre sur la production littéraire française et britannique du XIXe siècle, ses travaux suivants comme “L’Islam dans les médias” (1981) et “Culture et Impérialisme” (1993) ont pour but de s’interroger sur les mutations plus contemporaines de l’orientalisme.
Les études suivantes de Saïd se concentrent davantage sur le contexte étatsunien de la décennie 1990, qui voit une administration américaine en pleine tentative de justification des ingérences militaires au Proche-Orient et qui fait donc grand usage d’ “experts” et d’universitaires à ce titre.
Said a donc peu côtoyé la classe des « intellectuels médiatiques” en France, mais il serait intéressant de voir en quoi ses analyses critiques de l’orientalisme comme système peuvent nous permettre de comprendre les enjeux actuels du traitement médiatique et académique de l’Islam en France dans une période où ces deux sphères tendent souvent à se mêler l’une à l’autre.
Cet article en deux parties se propose de parcourir brièvement les points les plus importants de la critique de l’orientalisme, et de mettre en lumière quelques-uns des travaux ayant repris le geste critique amorcé par Saïd, nous permettant de mieux comprendre notre contexte.
L’orientalisme de “discours savant à institution impériale”
L’orientalisme qui désigne d’abord un mouvement littéraire et artistique né en Europe occidentale à la fin du XIXe siècle, est un concept repris de façon critique par Edward Saïd pour décrire le système de représentation de l’Orient par l’Occident.
Said soutient que l’orientalisme, au sens de la préoccupation scientifique occidentale sur le monde oriental, est inextricablement lié aux sociétés impérialistes qui l’ont produit, ce qui rend ces productions culturelles ou érudites (peintures, littérature, histoire) intrinsèquement politiques.
Le terme d’orientalisme fait référence à plusieurs choses au sein même de l’œuvre de Said, et la coloration péjorative que lui procura son étude de 1978 accentua encore la difficulté à le définir.
Pour Said, le mot fait en fait référence à au moins trois choses distinctes mais interdépendantes, qui font de l’orientalisme, à la fois; une tradition ou un domaine académique; une vision du monde et une représentation; un style de pensée fondé sur une distinction ontologique et épistémologique faite entre l’Orient et l’Occident qui devint un puissant instrument politique de domination lorsque ces discours savants furent employés par l’administration coloniale.
La création en 1795 de l’Ecole spéciale des langues orientales vivantes, ancienne INALCO pour la formation de traducteurs et de linguistes fonctionnaires par Volney proche de l’administration napoléonienne pendant l’expédition d’Egypte, est un exemple de cette intrication entre savoir et pouvoir.
Cette prise en main de la production de savoir par le politique est liée à l’évolution de la question d’Orient qui nourrit la nécessité d’une implication politique et stratégique européenne dans l’affaiblissement de l’Empire Ottoman.
Dès août 1798, au retour de Napoléon en terre égyptienne, est fondé l’Institut d’Egypte qui a pareillement pour but “le progrès et la propagation des Lumières en Egypte” ainsi que la libération du “Tiers-Etat égyptien” (le vocabulaire de la Révolution Française est alors très utilisé et calqué sur une entreprise de libération mondiale) du despotisme oriental turc.
Une quantité d’experts sont formés par l’Institution qui finance déjà deux prix pour les érudits menant leurs recherches sur l’Egypte ancienne.
En tant que tel, l’Orientalisme est donc la source centrale des représentations culturelles inexactes qui forment les fondements de la pensée occidentale et de la perception du monde oriental.
Les exemples utilisés dans l’étude de Said incluent aussi des analyses critiques de la littérature française, de Chateaubriand à Flaubert, dans leurs représentations d’un Orient vide propice à l’exaltation du moi romantique pour le premier et exacerbé de sensualité pour l’autre.
Le terme “orientalisme” dénote toujours cette exagération de la différence, la présomption de supériorité occidentale et l’application de modèles analytiques jugés universaux comme le positivisme en histoire ou la philologie en linguistique.
Il y a une quantité d’ “idées orientales” essentialisantes, comme le despotisme oriental, la cruauté orientale, la sensualité orientale, qui se construisent alors et deviennent des catégories générales d’analyses formant la base de l’observation des sociétés de “l’Orient”.
L’historienne Jocelyne Dakhlia dans “L’Empire des Passions, l’arbitraire politique en Islam” montre que ce thème du “despotisme oriental” revient souvent dans les écrits des orientalistes comme Montesquieu.
Ces derniers expliquent que le despotisme oriental est propre aux pays aux climats chauds où les dirigeants auraient moins d’’énergie et de panache nordique pour débattre et défendre leurs opinions devant un vizir essentiellement guidé par la décadence et la mollesse.
Au travers même de cette description, Montesquieu tient aussi à accentuer et à exagérer l’opposition avec un monde occidental où se développe la “séparation des pouvoirs” et “l’esprit des lois”.
On comprend donc que l’orientalisme comme discours savant sert également la mise en valeur de la supériorité de l’Occident sur les mondes extra européens, dans les domaines politiques mais aussi culturels.
Dans le champ culturel par exemple, ce sont les « bizarres jouissances” des Orientaux à la volupté déchainée décrites par M. de Chabrol dans son “Essai sur les mœurs des habitants de l’Egypte” qu’analyse Said et servant à mettre en valeur par contraste flagrant “la sobriété et la rationalité des habitudes occidentales”.
L’étude de Saïd montre bien comment le savoir accumulé par l’orientalisme légitimait une forme d’autorité occidentale sur cet Orient imaginé; “le nom même d’orientalisme suggère le style sérieux, voire même pesant d’un expert”.
Le système savant se renforce en s’appuyant sur une dialectique d’information et de contrôle dans laquelle “savoir donne le pouvoir et un pouvoir plus grand demande plus de savoir”.
Cette autorité se fond dans la production savante, elle est “irradiée, disséminée, instruite et persuasive” et, nous dit Saïd, “elle établit les canons du goût, les valeurs, elle est pratiquement indiscernable de certaines idées auxquelles elle donne la dignité du vrai”.
Ces représentations culturelles décrivent généralement l’ “Orient” comme primitif, irrationnel, violent, despotique, fanatique et essentiellement inférieur à l’informateur occidental, et par conséquent, “l’illumination” ne peut se produire que lorsque les valeurs “traditionnelles” et “réactionnaires” sont remplacées, par des idées “contemporaines” et “progressistes” qui sont d’influence occidentale ou occidentale.
L’Orientalisme conclut que “la connaissance occidentale du monde oriental” comme elle est produite durant le XIXème siècle français et britannique, c’est-à-dire l’orientalisme, dépeint fictivement l’Orient comme un “Autre” irrationnel, psychologiquement faible et féminisé, non européen, qui est négativement contrasté avec l’Occident rationnel, psychologiquement fort et masculin.
La notion d’Orient a joué un rôle central dans la construction de la culture européenne et a contribué à définir l’Europe (ou l’Occident) comme son image, son idée, sa personnalité, son expérience contrastées.
Le travail de Saïd fait donc valoir que “l’orientalisme n’est pas un simple sujet ou champ politique reflété passivement par la culture, l’érudition ou les institutions”, mais qu’il se caractérise plutôt par “une répartition de la conscience géopolitique dans des textes esthétiques, savants, économiques, sociologiques, historiques et philologiques”.
“L’Islam dans les médias”
Dans une tribune publiée en septembre 2000 (en accès libre sur Le Monde Diplomatique) intitulée “Ma rencontre avec Jean Paul Sartre”, Edward Saïd raconte sa rencontre avec le philosophe français alors que ce dernier l’invita en 1979 à prendre part à une conférence organisée à Paris censée vaguement porter sur le thème de “la paix au Moyen-Orient”.
Cette « rencontre » avec Jean-Paul Sartre que nous raconte Saïd est l’occasion pour lui d’entrer en contact avec les trois grandes figures majeures du paysage intellectuel français, que sont Jean-Paul Sartre, Michel Foucault et Simone de Beauvoir, ainsi qu’une grande partie de la classe intellectuelle du paysage médiatique français de cette période.
Le récit de Saïd qui se concentre, à juste titre, davantage sur l’ambiance immergée dans “un philo sionisme fondamental » régnant durant cette conférence, est néanmoins intéressant pour la description en creux qu’il fait du milieu universitaire français de l’époque.
Cette “rencontre” sera celle d’une intense désillusion et d’une grande déception pour Saïd, le sujet véritable de la conférence s’avérant être “la consolidation d’Israël (ce qu’aujourd’hui l’on nomme la “normalisation”)”.
La plupart des intervenants, même Sartre qui avait par le passé dénoncé la torture en Algérie et dans lequel Said plaçait grand espoir, y recourait “aux pires platitudes pour louer le courage de Sadate” au lendemain des accords de Camp David sans faire mention aucune du sort “des Palestiniens ou leur passé tragique ou des territoires occupés”.
Ce témoignage demeure néanmoins très intéressant dans le cadre de notre sujet puisqu’il préfigure en creux l’intérêt croissant de Said pour le traitement médiatique de l’Islam devant un milieu qui réunit les “ressassements habituels, avec peu de véritables confrontations d’idées et encore moins de découvertes intéressantes” dans “un jeu verbal de discussions ampoulées et vaines”.
Cette rencontre est en effet assez frappante de résonance avec l’attitude contemporaine de la majorité de la classe intellectuelle française aujourd’hui envers des sujets qui touchent de près ou de loin à l’Islam.
Saïd raconte à propos de Simone Beauvoir par exemple: “Simone de Beauvoir était déjà là, avec son fameux turban, donnant à qui voulait l’entendre une conférence sur le séjour qu’elle allait faire à Téhéran avec Kate Millett, où elles prévoyaient de manifester contre le tchador.
L’ensemble me frappa par sa condescendante stupidité, et malgré mon désir de savoir ce qu’elle avait à dire, je vis qu’elle était particulièrement imbue d’elle-même et particulièrement inaccessible à toute discussion à ce moment-là” et “Simone de Beauvoir s’était révélée une sérieuse déception, et, de surcroît, après une heure de dissertation dogmatiquement verbeuse sur l’islam et le port du voile, elle était partie.”
Trois années plus tard, en 1981 Said publiera “Covering Islam” qui ne fut traduit en français qu’en 2011 sous le titre “L’Islam dans les médias” qui examine les origines et les répercussions d’une représentation de l’Islam monolithique véhiculée par les médias assimilant cette religion “au terrorisme et à l’hystérie”.
Détaillant et investiguant les perceptions véhiculées par les médias notamment américains qui lie les violences terroristes à une nature proprement agressive de l’Islam sans considération pour les circonstances concrètes, Said montre comment ces visions nourries d’ethnocentrisme, de distorsions historiques et sociologiques et d’un maniement frauduleux de l’étymologie permettent à ces nouveaux expert « d’élaborer de grandes théories culturelles sur une multitude de peuples”.
Le nouveau règne des “experts” qui se retrouve également dans le champ médiatique européen et français se caractérise par « l’ordre post industriel qui nécessite un besoin inégalé de techniciens et de gestionnaires.”
Ces derniers sont très appréciés à notre époque où, d’après Christopher Lasch un sociologue et historien des médias que Saïd cite ici : “Les entreprises et le gouvernement sous la pression de la révolution technologique, de l’accroissement de la population et de la guerre froide ont développé une dépendance accrue à un vaste attirail de données systématisées » (in The New Radicalism in America 1889-1963, 1965).
Plus largement, Said explore dans cette étude la création d’un “marché de l’expertise attractif et rentable des travaux sur le Moyen-Orient” et observe une forme de collusion entre “des recherches universitaires à la fois dociles et bâclées et des intérêts politiques pour le moins troubles”.
Un exemple de ce type de marchandisation de l’expertise se trouve dans la figure de Bernard Lewis, un historien universitaire britannique qui finit par acquérir les nationalités américaine et israélienne pour ses services rendus en tant que consultant régulièrement sollicité par le Pentagone et conseiller de Benyamin Netanyahou alors ambassadeur d’Israël à l’ONU (1984-88).
Lewis est l’auteur d’ouvrages exposant l’hostilité génétique des musulmans voués à la rage et à l’irrationalisme envers l’Occident, dont s’inspirera largement Samuel P. Hutington pour écrire “Le Choc des civilisations ».
Cette attraction pour ce marché d’information est conjuguée à un effacement de “la conscience méthodologique » qui contribuent à essentialiser un rapport pathologique à la religion chez des musulmans incapables d’entrer dans la « modernité ».
La plupart de ces discours s’appuient sur une intense psychologisation dans l’analyse du fait religieux qui pointent “l’esprit de l’Islam” ou “la mentalité arabe” intrinsèquement rebelle à tout changement en face d’un Occident
Les nouveaux chantres de l’orientalisme
L’orientalisme contemporain a cependant innové en employant désormais des « intellectuels publics” d’origine arabe ou des « informateurs indigènes » qui leur permettent d’accentuer la légitimité de leurs analyses et la véracité de leurs propositions.
L’ouvrage de Hamid Dabashi, ancien collègue et ami de Said à l’université de Columbia, qui s’intitule “Brown skins, White Masks” (Peaux noires, Masques blancs) et qui s’inspire de celui de F. Fanon publiée en 1952 “Peaux Noires, Masques Blancs”, étudie ce phénomène nouveau dans les sociétés occidentales qui voient l’émergence de ce que l’auteur appelle « l’intellectuel comprador” à savoir une personnalité médiatique “indigène” ou provenant de régions du Tiers Monde, mise en avant par les pouvoirs occidentaux afin de légitimer l’entreprise de domination culturelle.
Dans le contexte étatsunien qui est le sien, Dabashi se penche principalement sur les intellectuels irakiens ou d’origine irakienne qui ont travaillé à justifier la nécessité de l’invasion américaine de l’Irak en 2002 par exemple.
Ce phénomène global est aussi visible en France dans le succès littéraires d’auteurs comme Kamel Daoud ou Bouallem Sansal arguant tous deux de la même violence intrinsèque à l’Islam et à son “antihumanisme” radical.
Dans ses textes uniquement destinés à un public français, malgré la mission proclamée de Daoud de décrypter et guider l’Algérie contemporaine, l’auteur conforte son usage du français dans des analyses philologiques essentialistes sur la langue arabe comme étant « piégée par le sacrée, par les idéologies dominantes », incapable de vérité ou délivrer un discours cohérent sur le monde.
Recycler ces méthodologies orientalistes d’analyses est une pratique courante chez les intellectuels compradors dont Dabashi trace le portrait.
Dans le contexte français, renvoyer à l’inévitable “esprit arabe” qui verrouille toute possibilité de penser autrement l’histoire, se retrouve également chez le poète syrien Adonis dont le dernier ouvrage et succès en libraire au titre tapageur “Islam et Violence” se compose d’entretiens menés avec la psychanalyste Houria Abdelouhed tombant dans les mêmes ornières des analyses psychologisantes d’un “esprit arabe” stérilisé et immuable et d’un “Islam” fondamentalement belliqueux.
Cette vision d’une “immuable psyché islamique s’avère confortable car elle permet, comme toutes les analyses psychologiques, « d’interpréter une actualité politique et culturelle façonnée non pas par des faits mais par des hypothèses”.
Celui qui a dédaigneusement qualifié les soulèvements populaires de 2011 de vulgaire « thawrat al masjid » (révolte de mosquées), s’appuie sur une épistémologie occidentale à qui il est impossible que la religion soit porteuse d’un renouveau social ou d’une critique politique.
Une autre forme de discours orientaliste est parfois présente chez des intellectuels arabes ou musulmans locaux. Said s’inquiétait déjà dans l’étude de 1978 de voir “l’influence [de l’orientalisme] s’étendre à “l’Orient” lui même” où des pages entières de livres et journaux, imprimées en arabe sont remplies d’analyses de deuxième ordre écrites par des Arabes sur “l’esprit arabe”, “l’islam” et autres mythes ».
Cette nouvelle intelligentsia veut pourvoir au rôle qui lui a été prescrit de “moderniser” leurs sociétés, “en accordant légitimité et autorité à des idées concernant la modernisation, le progrès et la culture qu’elle reçoit en majeure partie des Etats-Unis”.
Ce phénomène est visible également, d’après Saïd chez les intellectuels de gauche ou les intellectuels marxistes du monde arabe qui s’appuient sur des raisonnements et des paradigmes d’analyses occidentaux.
Des intellectuels arabes comme Abdallah Laroui ou Mohammed Abed al Jabri dont les œuvres ont ceci de problématique pour Said qu’elles tiennent le discours de la nécessité pour le monde arabe d “entrer dans la modernité”.
L’œuvre “Critique de la raison arabe” de Jabri, par exemple appelle la pensée arabe à innover et à adopter les méthodes d’analyses historiques modernes comme le positivisme ou l’historicisme afin de sortir de sa “crise”, de se défaire des blocages conceptuels et des attachements entêtés à la “Tradition” (turath).
Les philosophes Taha Abderrahmane et Georges Tarabichi sont évidemment ici des référents très importants qui ont procédé à une lecture critique très intéressante de Jabri mettant à découvert le modèle épistémologique positiviste sur lequel ce dernier se base comme cet article publié sur Mizane.info par Mouhib Jaroui, en fait l’analyse.
Ikrame Ezzahoui
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