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Ma vie en confinement : « L’introspection n’est pas forcément qu’un repli sur soi »

Professeur d’italien auprès de L’ENSG et de l’international Paris School of Business, chroniqueur sur Mizane.info, Gianguglielmo Lozato partage avec nous son témoignage sur sa gestion du confinement. Une tranche de vie entre cours à domicile, lecture de la presse italienne et réflexion sur le devenir du monde. 

Confinement. Ce mot à la mode tombe comme une sanction. Rideau sur la scène des relations sociales. Retour forcé avec soi-même dans l’antre et dans l’entre-soi.

Une période de quasi incarcération s’est bien amorcée. Allant jusqu’au prolongement de peine. Une peine qui n’est pas capitale mais dont le terme tarde à arriver. Meubler son temps devient alors une question de survie intellectuelle et morale.

Paris intra-muros. Ici comme partout ailleurs sur le territoire national le calme règne. La monotonie s’est emparée de notre quotidien. Chaque jour de la semaine ressemble à s’y méprendre au précédent et annonce le suivant. Chaque journée revêt les habits d’un jour chômé ou férié.

Je me trouve dans mon logement. Nous sommes trois puisque ma femme et ma fille partagent ma vie tout au long de l’année. La première chose que j’ai eu à gérer est la gestion du poste de télévision, convoité par la petite pour augmenter son capital en dessins animés.

En cette ère post-moderne, le premier compagnon des ménages est l’audiovisuel. Par Internet, par la télévision. Le téléviseur, nombreux sont ceux qui ont le réflexe de l’allumer dès le saut du lit en temps normal, pour mieux se réveiller en prévision de la journée de travail.

Ce réveil-matin de haute technologie, on l’actionne machinalement et on le consulte très souvent en revenant de la journée façonnée par les obligations d’ordre professionnel.

Avec l’obligation de rester chez soi, le petit écran passe d’un statut fonctionnel à un usage où le libre-arbitre devrait intervenir davantage.

Face au flux incessant d’informations en continu, de la plus importante à la moins intéressante, il est impératif de savoir doser.

Personnellement je les visionne par l’intermédiaire de deux canaux distincts : notre télévision tricolore et son homologue italienne.

Cette variété de points de vue est divertissante en soi, permet de contempler le traitement de l’information d’une nation à une autre. Cela me permet de lutter contre l’ennui. Ou me sert de berceuse.

Une autre chaîne retient mon attention pour son mode de présentation à l’apparence structurée : Euro news. En plus elle présente l’avantage si capital à mes yeux de tout relater par rapport à l’international en variant incontestablement les sujets, les modes d’approche.

Contrairement à la plupart des autres bulletins d’information télévisés, devenus Corona TV.

La toute dernière communication protocolaire du Président Macron m’a néanmoins surpris à partir d’un petit détail. Le chef de l’Etat a en effet cité la petite ville italienne de Bergame, bien moins connue que Milan ou Rome.

Une ébauche d’ouverture qui montre qu’on prête enfin attention à tous les horizons de population ? Et puis j’ai essayé CNN mais je suis hélas devenu un indigent pour ce qui est de la langue anglaise.

Oui, je commence à éprouver ce que l’on peut nommer la lassitude. Une solution est toute trouvée pour contrer cette sensation et laisser place à l’espace psychique nécessaire à l’empathie envers les malheureuses victimes de la pandémie. Il s’agit de varier les programmes.

Les reportages et les documentaires tombent tout à fait bien. En cette période précise, Rai Tre obtient mes faveurs sur ce point concernant la télévision italienne, avec son programme ciblé sur les découvertes géographiques.

Ce moment d’isolement internationalisé donne la possibilité de se retrouver soi-même et autrui. Il laisse du temps pour se consacrer à l’écoute de l’autre. Tous les prétextes qui d’habitude nous détournent quotidiennement se sont estompés.

Sur l’espace télévisuel francophone, la Cinquième et Arte semblent redoubler d’efforts pour trouver grâce à mes yeux.

De plusieurs volets consacrés à la Route de la Soie aux documentaires animaliers. Un axe thématique retient tout particulièrement mon attention à la limite du coma après toutes ces journées d’exil social.

C’est celui consacré aux trous noirs et à la théorie de la Relativité énoncée par Albert Einstein. Une belle leçon d’humilité face aux deux impressionnantes immensités que sont la profondeur de réflexion des intervenants et l’immensité de l’univers. Moi qui suis déjà petit, je me sens vraiment minuscule.

Cette confrontation entre la science et la puissance de l’infini nous ramène au spirituel.

Le moral et la morale. Deux ingrédients à équilibrer si l’on veut réussir son confinement.

Marre des écrans ? Rien de mieux que de se replonger dans la lecture. Je suis un consommateur régulier de journaux « à l’ancienne », c’est-à-dire que je me sens plus dans mon élément dans la version papier que dans celle numérique.

De par mes activités, je peux me procurer régulièrement des quotidiens de toutes tendances. Le journal ça me manque. J’ai déjà terminé tous ceux que j’avais précieusement amassés jusqu’à la fin de la première semaine de distanciation sociale. Quelle frustration !

Heureusement, il me reste des livres. La lecture et l’écriture permettent une pacification de l’esprit. Il a le temps de se préparer. Pas comme devant un flot d’images.

Concernant l’aspect psychologique des choses, l’individu doit faire preuve de ressource pour faire face à lui-même.

Lorsqu’il évolue en famille en attendant la fin du cauchemar épidémiologique, une organisation du temps et de l’espace s’impose encore plus qu’en période de pleine activité.

C’est là que j’ai fait intervenir mon rôle de chef de famille.

En établissant une division spatiale selon un emploi du temps non chronométré mais avec des grandes lignes immuables. Les fondamentaux concernent l’intimité de chacun.

Nous sommes trois à partager l’espace vital de l’appartement. J’occupe seul mon petit bureau une grande moitié de la journée, étant celui qui se lève le plus tôt. Mon épouse et ma fille voguant de la chambre au salon.

Le moment du goûter correspond à une pause partagée ensemble. Le soir en général nous regardons un film. De manière générale, je peux affirmer que je participe à des retrouvailles puisque d’ordinaire m’a fille me voit peu.

L’occasion de superviser ses connaissances scolaires, d’échanger, de dessiner, de lui faire prendre conscience de tous les efforts entrepris par sa mère en s’occupant exclusivement d’elle depuis sa naissance.

Performance à souligner dans le contexte de la France du vingt-et-unième siècle.

Ce moment d’isolement internationalisé donne la possibilité de se retrouver soi-même et autrui.

Il laisse du temps pour se consacrer à l’écoute de l’autre.

Tous les prétextes qui d’habitude nous détournent quotidiennement se sont estompés. Ce rapprochement, je l’ai ressenti au travers des nouvelles échangées autour des états de santé de chacun.

Mais aussi par le biais des appels et messages reçus de France et de l’étranger pour Pâques. Le plus marquant est que c’est la première année où autant de musulmans et de juifs ont pris l’initiative de me souhaiter de joyeuses Pâques.

D’où une infinie satisfaction de constater que l’être humain n’est pas tout à fait perdu. Une grande leçon de morale et de savoir-vivre.

À un niveau plus collectif, le réapprentissage du civisme est bénéfique pour toutes et tous, et pour la planète.

Il peut contribuer à l’éloignement par la distanciation sociale d’après quelques détracteurs. En revanche, par un examen attentif de sa propre conscience et en tenant compte d’autrui, ça peut suggérer le rapprochement en général.

Par la convergence des intérêts, comme ce qui s’est passé entre les Etats ou par l’approfondissement des entraides de voisinage.

Par l’empathie et par la prise de recul. Pouvons-nous espérer par là une issue favorable à l’esprit de concertation plus qu’à la relation conflictuelle ?

La science a combattu pour chercher des remèdes à nos maux. Mais n’oublions pas qu’il lui est arrivé de connaître ses moments de tâtonnements, de doute existentiel.

Le Général de Gaulle parlait déjà en son temps de l’utilité de n’avoir pas seulement « des chercheurs qui cherchent, mais des chercheurs qui trouvent ».

Lors d’états transitoires du moral des populations, le factuel, le résultat pur ne représentent pas tout à cent pour cent. L’encadrement social et moral compte tout autant.

Aussi cela nécessite-t-il une nouvelle approche ne privilégiant plus totalement les sciences dures mais tenant compte en parallèle des sciences humaines et de leur mot à dire.

Ainsi une saine conflictualité pourrait tout à fait déboucher sur une productivité à la fois scientifique et sociale, et par ricochet économique.

Cette complémentarité j’y ai pensé en partant d’un simple fait que j’ai observé à mon domicile, où j’ai eu la confirmation de ma nullité absolue en bricolage.

Le stylo et la feuille de papier ne m’ont pas servi à grand-chose pour pallier à un simple petit aléa électrique, excepté à officialiser mon incompétence.

Cette forme d’intelligence pratique déployée par les mécaniciens, par les grands cuisiniers, puis par les gens du BTP, les électriciens, les plombiers, c’est-à-dire ceux-là mêmes qui ont pu permettre l’édification éclair de blocs opératoires supplémentaires, me manquait.

Dans cette ambiance hospitalière comment ne pas parler du personnel soignant sous-payé qui répond présent malgré tout ?

Une autre catégorie mérite un hommage, elle appartient à l’Education Nationale. On va m’accuser de prêcher pour ma paroisse. Laissez-moi introduire une petite nuance.

J’ai la chance d’exercer dans le cadre tellement épanouissant de l’Enseignement Supérieur. Mais je ne pratiquerai pas ici l’autosatisfaction en glorifiant les universités et les écoles de commerce, nous connaissons déjà leurs incontestables qualités.

Aujourd’hui mes félicitations s’adressent aux professeur(e) s des écoles. Ces enseignant(e) s bâtisseurs/euses mal rétribué (e) s qui ont le mérite de former une classe d’âge délicate à gérer, qui n’ont pas négligé leurs efforts en télétravail.

Une mission d’autant plus subtile qu’il s’agit d’encadrer des jeunes enfants tout en s’efforçant de créer une appétence envers des disciplines variées. Mission plus délicate encore que celle des enseignants du Second Degré.

Cet aperçu placé sous le signe de la subjectivité forcée, vu mon quotidien personnel dans une nation en quarantaine, fait partie d’un ensemble de tranches de vie régissant notre conditionnement en ce moment de crise sanitaire.

Certes, le rayonnement de ma focalisation est restreint par la force des choses et par le respect impératif des règles édictées par l’appareil étatique.

La meilleure chose à entreprendre serait de mettre bout à bout nos tranches de vie pour constituer une chaîne de solidarité par le soutien de la communication.

J’encourage mes confrères journalistes, chroniqueurs, essayistes, éditorialistes à aller en ce sens ou à recueillir des témoignages autres que des danses macabres se produisant tous les soirs à 20h00 alors que le recueillement est nécessaire pour rendre hommage aux défunts.

Certains en profitent même pour jouer l’Internationale au clairon depuis leur fenêtre…

Nos jeunes générations sont en train de vivre un épisode historique qui peut s’avérer formateur s’il est utilisé avec sagesse et non pas relégué aux archives par la suite.

À l’image de toute la mappemonde, la France vit au ralenti. Ce qui n’est pas sans conséquence sur l’économie et de fait sur le pouvoir d’achat et le marché de l’emploi.

Cet aspect préoccupant – désolé de vous effrayer – pourrait aboutir à un incendie social si chacun n’y met pas du sien.

Mon analyse est pessimiste mais elle se veut anticipatrice pour inciter à miser sur ce qui a subsisté de positif en nous. L’avant COVID 19 avait vu prospérer la fronde populaire version gilets jaunes.

L’après COVID 19 risque de se révéler extrêmement tendu, le brasier pouvant être ravivé par une accentuation des précarités.

Ce qui serait susceptible de provoquer des débordements désespérés, des agressions de tous ordres, une recrudescence des vols et une hausse vertigineuse de la mendicité.

La récession poussera des groupes à se former, n’ayant plus rien à perdre.

Avec la violence comme premier langage de l’urgence, des scènes dignes de Orange Mécanique seraient tout à fait envisageables si les pouvoirs publics ne se montraient pas à la hauteur.

L’Etat devra repenser les grilles salariales de deux catégories socioprofessionnelles qui contiennent l’agitation sociale sans les armes dissuasives des forces de l’ordre : les personnels hospitaliers et les enseignants.

Sinon un embrasement insurrectionnel nous guette de façon imminente.

Je suis aussi retombé par hasard sur une date au gré de mes pensées et de mes lectures. Notamment en reparcourant les écrits de Marco Polo. Cette date c’est l’an 1331 de notre ère, commencement d’une épidémie de peste depuis le Hubei, la région de Wuhan. Je dis ça comme ça.

Pendant le temps où j’ai pu méditer plus qu’à l’accoutumée grâce ou à cause du confinement, une inattendue association d’idées m’est venue à l’esprit, réfléchissant de nouveau au hasard œcuménique des vœux que j’ai reçus pour Pâques. Fête pourtant moins suivie et moins médiatisée que Noël.

Oui, le Coronavirus a frappé l’Europe en 2020, et même le monde dès fin décembre 2019 si l’on tient compte du tout premier foyer de départ chinois.

Nous avons vécu l’apothéose de la contagion au moment de l’entrecroisement de la Pâque Chrétienne, de Pessah( Pâques Juive), du mois musulman du Chaabane annonçant le Ramadan.

J’ai effectué un retour en arrière et je me suis aperçu que la jonction entre 1999 et 2000 qui ouvrait la porte d’un nouveau siècle et d’une nouvelle décennie, avait connu un épisode marquant de dérèglement climatique conduisant à de violents accès de tempête.

Avec en parallèle la superposition de Noël, le Nouvel An, Hannoucah et l’Aïd.

Deux phases distinctes de vingt ans. Deux moments charnières symbolisés par une année paire terminant par le zéro. Vingt ans entre les deux. Le temps d’une génération.

Cette durée de vingt années correspond au premier cinquième de notre siècle. Une frise chronologique définie à ses deux extrémités par un sentiment catastrophiste. Un avertissement du destin ou de l’au-delà suivant la sensibilité de chacun ?

Je suis aussi retombé par hasard sur une date au gré de mes pensées et de mes lectures. Notamment en reparcourant les écrits de Marco Polo. Cette date c’est l’an 1331 de notre ère, commencement d’une épidémie de peste depuis le Hubei, la région de Wuhan. Je dis ça comme ça.

Gianguglielmo Lozato

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