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Mahdi Amri : « L’université est une chaîne de montage »

Écrivain et professeur chercheur à l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication, Mahdi Amri nous raconte dans un texte magistral à lire sur Mizane.info comment l’université, anciennement lieu de pensée et de savoir, s’est transformé en fabrique à la chaîne de diplômes.

Il était une fois, dans les marges silencieuses d’un pays qui enterre les rêves sous les décombres d’une réalité insoutenable, un enfant nommé Samir, né dans une contrée reculée où les livres étaient aussi rares que la pluie. Dès ses premières années, il se détacha du lot : là où les enfants couraient après le ballon, lui courait après les mots. Curieux jusqu’à l’insolence, il remettait en question les vérités toutes faites, disséquait les discours, réclamait le sens. Une vraie épine pour les maîtres dociles de l’ordre établi. Après des années d’acharnement, il accéda à l’université. C’est là, au cœur du tumulte urbain, qu’il trouva enfin sa voie : la philosophie et la littérature. Nietzsche, Ibn Khaldoun, Twain… Il les dévora, non par ambition de gloire ou de fortune, mais avec le noble dessein de devenir l’enseignant qu’il n’avait jamais eu. Un phare pour les esprits en dérive.

Il refusa les postes bien rémunérés, les bureaux climatisés. Il choisit la craie et le tableau, par conviction. Son premier jour à l’amphithéâtre fut celui d’un idéaliste qui croit encore à la noblesse de sa mission. Mais ce qu’il découvrit, c’était l’indifférence. Une mer de visages absents, d’écrans lumineux, de regards fuyants. À sa tentative de parler de pensée critique, un étudiant osa lui demander : « Docteur, avez-vous un résumé du cours ? »

La défaite commença là.

L’université, loin d’être un sanctuaire de savoir, s’avérait une fabrique de diplômes, une entreprise où la réussite se mesure en pourcentages, non en éveils. Les étudiants voulaient passer, non apprendre. Les enseignants, lassés, cédaient. Les rares voix dissidentes s’éteignaient dans le vacarme du conformisme.

Mais Samir refusa l’abdication. Il tenta autre chose : les histoires remplaçaient les schémas arides, la réalité s’invitait au cœur des débats. Il parla d’amour, de foi, de pouvoir — des sujets tabous, brûlants. Il voulait provoquer le choc, réveiller les âmes. Quelques-uns s’éveillèrent. Rares. Mais il s’y accrocha comme un naufragé à une planche de salut.

Et vous, lecteur, vous êtes-vous déjà demandé comment l’on fabrique l’imbécillité en série ?

Soyons clairs : notre système éducatif n’instruit pas, il formate. On prend un jeune, on l’enferme dans une usine à syllabus, on teste sa mémoire, jamais sa pensée. Trois ans plus tard, il croit tout savoir, alors qu’il peine à écrire une phrase correcte.

Samir, lui, exigeait plus : des copies qui pensent, non qui répètent. La réponse ? Des plaintes. Les étudiants ne voulaient pas penser. Ils voulaient des notes. Il essaya tout : récits, documentaires, débats, introspections. Un jour, il leur demanda de rédiger sur leur propre vie. Réponse d’un étudiant : « Docteur, on est ici pour un diplôme, pas pour écrire nos mémoires. »

Le problème n’était pas leur ignorance, mais leur fabrication. Un système entier les a conçus pour être dociles, silencieux, creux. Samir ne faisait pas cours : il prodiguait des soins palliatifs à des esprits en agonie.

Ses cours devinrent des pierres jetées dans un puits sans fond. Aucun écho. Juste un tweet : « Le prof était lourd aujourd’hui. »

Et pourtant, il ne les haïssait pas. Il voyait en eux les premières victimes d’un ordre qui craint la pensée. Mais à trop multiplier les victimes, on crée des foules dangereuses. Lors d’une réunion, il proposa une pédagogie interactive, où l’erreur serait permise, la réflexion encouragée. Le doyen lui répondit, le sourire jaune aux lèvres :

« Monsieur Samir, les étudiants ne sont pas ici pour penser. Ils veulent réussir. Ne leur compliquez pas la tâche. »

Ce jour-là, Samir comprit : l’université n’était pas un temple du savoir, mais une chaîne de montage. Entrée : étudiant. Sortie : diplôme. Ce qu’il advient de leur cerveau ? Personne ne s’en soucie.

Puis tomba le coup fatal. On le convoqua pour enquête. Motif ? Avoir affirmé en classe que certains programmes mériteraient d’être repensés. Un étudiant l’avait filmé en secret. L’accusation : incitation au doute.

Oui, au XXIe siècle, dans une institution censée célébrer l’esprit critique, un professeur fut accusé… d’avoir encouragé ses élèves à penser.

Mais il n’abdiqua pas. Il rédigea un article incendiaire : « L’éducation chez nous : une course vers l’abîme ». L’article fit le tour des réseaux. Les soutiens ? Timides, murmurés, vite rétractés.

L’administration répliqua en le reléguant. Moins de cours. Moins de responsabilités. Surveillance accrue. On traquait la faute, non la pensée. Il persistait. Publiait, sans relâche, des titres acérés : « Comment fabriquer un étudiant sans cerveau », « Le dressage de l’esprit », « L’école contre les questions ».

Il écrivait comme on résiste. Sans relâche. Sans ressources. Et le prix ? Isolement. Soupçons. Visites d’hommes sans sourires.

Mais chaque matin, il revenait. Mêmes pas, même sac. Comme si rien n’avait changé.

Puis, un matin gris, il s’assit dans son bureau. Le parfum du café flottait. Son carnet ouvert, un nouveau titre griffonné :

« Comment se taisent ceux qui ont tenté de faire du bruit ? »

Il regarda son ordinateur, longuement. Le referma sans un mot.

Et sortit.

Il traversa le campus. Aucun étudiant ne le salua. Personne ne le vit. Personne ne remarqua son absence plus tard.

Le soir, il publia une ultime note :

« Quand les mots perdent leur poids, le silence devient plus sincère. »

Puis il ferma sa page.

Il ne fut pas renvoyé.

Ni emprisonné.

Ni mort.

Il fit simplement ce que font les âmes brisées : il se retira. En silence, comme une caravane qui quitte les dunes sans laisser de trace.

Il ne parla plus. Il n’écrivit plus. Il n’apparut plus.

Mais dans un coin, son fauteuil resta vide.

Et son carnet, lui, resta ouvert.

On pouvait encore y lire, de sa main tremblante :

« Peut-être que c’était cela, la leçon finale… Mais dis-moi, ô David, sur qui psalmodieras-tu ton psaume ? »

Mahdi Amri

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