Dans une intervention qu’il a présentée comme sa dernière sur l’islamophobie en France, l’ancien directeur exécutif du CCIF Marwan Muhammad a dressé un bilan critique et étayé des dix dernières années sur ce sujet en proposant quelques actions. Compte-rendu.
C’était le visage du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dissout récemment par décret. Comme pour tourner une page capitale de son histoire, Marwan Muhammad est revenu, dans une vidéo de 53 min, sur les dix dernières années de son combat contre l’islamophobie, terme désignant toute discrimination à raison d’une appartenance réelle ou supposée à l’islam. Une décision qu’il a justifiée par des raisons personnelles et stratégiques.
« Il y a une faille, il faut dire la vérité, dans la manière dont nous construisons nos mouvements et nos mobilisations. Nous continuons à reproduire des schémas où on attend trop d’une seule personne ou d’une seule structure. On personnifie, on incarne les luttes. On idéalise des personnes et quand on se rend compte que ce sont juste des êtres humains, quand on voit leurs défaillances, on remet en cause tout leur engagement comme si la libération de tous dépendait uniquement d’une poignée de personnes. En plus de faire des personnes des cibles et de les exposer, on fragilise l’ensemble de notre combat parce qu’on a du mal à partager l’ensemble des responsabilités. Cela nous cause du tort. Il faut changer d’approche, faire émerger de nouvelles personnes. Il faut tuer l’idée du leader charismatique qui centraliserait tous les pouvoirs et les paroles pour diversifier et passer la main à d’autres », a-t-il déclaré.
L’homme qui précise avoir passé « les quatre dernières années à former d’autres personnes » en auto-défense intellectuelle, ou à la formation de porte-parole, estime que ce retrait ne l’empêchera toutefois pas de prendre position quand il le jugera nécessaire.
Marwan Muhammad a exprimé le souhait de ne plus vouloir être « l’un des visages principaux de la lutte contre l’islamophobie en France ». « Il y a de nombreux visages qui souhaitent et qui peuvent parfaitement incarner ce rôle ».
Concernant le bilan du travail mené depuis dix ans, M. Muhammad a notamment affirmé que « la lutte contre l’islamophobie (en 2010) ne mobilisait pas massivement les musulmans, on en était encore à des débats sémantiques sur le concept d’islamophobie. Aujourd’hui, elle est l’une des principales cause d’engagement. Certaines des actions que nous avons menées ont réuni des centaines, des milliers voire des dizaines de milliers de personnes. Aujourd’hui, le terme d’islamophobie est clarifié dans sa définition et utilisé par de nombreuses instances nationales et internationales et par les musulmans eux-mêmes. »
L’auteur de « Foulexpress » et de « Nous aussi sommes la Nation » a également souligné l’existence de dizaines de jurisprudences obtenues par le CCIF, « et qui ont permis de résoudre des milliers de dossiers et d’assister des milliers de personnes ». « Ces victoires ont fait du CCIF la principale cible du gouvernement. Incapable de lui répondre sur le terrain du droit ou des arguments, ils en ont été réduits à le dissoudre pour quémander les voix de l’extrême-droite aux prochaines élections », a-t-il ajouté.
Malgré ces avancées, Marwan Muhammad considère que la route sera encore longue.
« Nous avons besoin d’une mobilisation générale toute l’année et non seulement lorsqu’il y a des appels. La situation est grave. »
Evoquant les nombreuses sorties politiques de ministres et du chef de l’Etat, Marwan Muhammad estime qu’on ne peut plus parler à ce propos de dérapages mais d’un système poursuivant des objectifs bien définis. « Tenter de maintenir tout en bas de l’échelle des groupes, détruire toute tentative d’autonomie, prendre le contrôle théologique, politique et financier de toute structure travaillant auprès des musulmans car le système ne supporte pas la contestation, la remise en cause. La diversité raciale auprès des élites françaises est tolérée voire encouragée tant qu’elle est cosmétique, symbolique, tant qu’elle permet la stabilité socio-économique du groupe majoritaire. L’accès à ces cercles de pouvoir est conditionné à de la servilité politique. »
L’ancien directeur exécutif du CCIF a aussi salué l’action de personnalités de la société civile victimes de harcèlement ou de stigmatisation pour leur engagement ou leur identité citant Karim Benzéma, Sihame Assbague, Rokhaya Dialo, Assa Traoré.
Il a aussi proposé quelques actions individuelles ou collectives pour amorcer un changement politique plus équitable.
-L’éducation aux droits. « Aucun règlement ne peut interdire une chose qui n’est pas interdite par la loi ». « Demander une notification par écrit d’une mesure qui vous semblerait abusive. «
-L’éducation à la parole. « Avoir raison sur la forme comme sur le fond. »
-L’apprentissage des langues.
-L’expérience et la connaissance des autres pays.
-La compréhension fine de l’islamophobie et du racisme.
-L’autonomie financière et professionnelle.
-Une éducation religieuse solide
-L’implication citoyenne
-L’engagement personnel
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