Suite de la série des méditations aristotéliciennes proposées par Islam Belala sur Mizane.info. Quel est le rapport entre le discours et la vertu ? La réponse dans une explication de texte d’une citation d’Aristote tirée de la Rhétorique.
« Mais, m’objectera-t-on, user à des fins injustes de cette puissance du discours peut nuire gravement, à quoi l’on rétorquera que cet inconvénient est commun à tous les biens — excepté la vertu — et surtout aux biens les plus utiles comme la force, la santé, la richesse et le pouvoir. Qui en fait juste usage peut rendre les plus grands services, qui s’en sert injustement peut causer les plus grands torts ».
— Aristote, Rhétorique, 1355 b 1-5, dans Œuvres complètes, trad. fr. P. Pellegrin (dir.), Paris, Flammarion, 2014.
Introduction
La citation d’Aristote souligne une dualité intrinsèque à l’existence humaine : le potentiel bénéfique et maléfique de nos actions et possessions, à l’exception notable de la vertu. Cette exception place la vertu au-dessus des autres biens, non en tant que bien suprême mais en tant que principe régulateur de l’usage des autres biens.
1. La vertu : fondement de l’éthique aristotélicienne
a. La nature de la vertu
Dans l’éthique d’Aristote, la vertu (ou excellence morale) occupe une place centrale. Elle est définie comme une disposition acquise par l’habitude, consistant en un juste milieu entre deux extrêmes. Cet équilibre étant déterminé par la raison et tel que l’homme de bien le définirait. La vertu est donc intrinsèquement liée à l’activité de l’âme en accord avec la raison et sa pratique est ce qui permet à l’homme de réaliser son potentiel et d’atteindre la fin architectonique de l’homme, c’est-à-dire le bonheur.
b. La vertu comme bien suprême
Contrairement aux autres biens, la vertu est un bien en soi, dont la valeur est inconditionnelle. Cela signifie que, tandis que la richesse, la santé et le pouvoir peuvent être utilisés à des fins bonnes ou mauvaises, la vertu est toujours orientée vers le bien. Elle est ce qui confère à l’homme la capacité de bien user des autres biens, guider ses actions et ses choix vers ce qui est juste et bon.
2. Le discours et les biens humains : dualité d’usage
a. Le discours comme exemple paradigmatique
Le discours, selon Aristote, illustre parfaitement la dualité d’usage des biens humains. Comme force persuasive, il peut édifier la communauté et promouvoir la justice, ou bien manipuler, tromper et détruire. L’éthique du discours repose donc sur la vertu de celui qui s’exprime, soulignant l’importance de l’éducation morale et de la sagesse pratique pour un usage éthique de la parole.
b. Implications politiques et sociales
La rhétorique, dans le contexte politique, devient un instrument de pouvoir. Une gouvernance vertueuse utilise le discours pour éclairer et unir, tandis qu’une gouvernance dépourvue de vertu peut s’en servir pour manipuler et opprimer. La citation d’Aristote nous invite alors à réfléchir sur la responsabilité des dirigeants et sur l’importance de la formation éthique et civique des citoyens.
3. Au-delà du discours : force, santé, richesse et pouvoir
a. Analyse éthique des ressources humaines
La comparaison d’Aristote entre le discours et d’autres biens comme la force, la santé, la richesse et le pouvoir, met en lumière la nécessité d’une éthique de l’usage (une éthique foncièrement pratique) dans tous les domaines de la vie humaine. Chacun de ces biens peut contribuer au bien-être commun ou être détourné à des fins égoïstes. La vertu est ce qui oriente leur utilisation vers le bien.
b. La force et la santé
La force et la santé, en tant que biens corporels, sont essentielles à l’accomplissement des activités humaines, y compris la pratique de la vertu. Aristote reconnaît leur valeur mais souligne que leur bonne utilisation dépend de la direction morale de l’individu. Ainsi, une personne vertueuse utilise sa force pour protéger et aider, tandis qu’une personne dépourvue de vertu peut l’utiliser pour dominer et nuire. De même, la bonne santé permet d’engager pleinement ses capacités dans la poursuite d’une vie vertueuse, tandis qu’une mauvaise gestion de la santé peut être le résultat d’excès ou de défauts moraux.
c. Richesse et pouvoir
La richesse et le pouvoir sont des biens externes qui augmentent la capacité d’un individu à influencer le monde autour de lui. Aristote met en garde contre la tentation de considérer ces biens comme des fins en soi. La vertu consiste à utiliser la richesse et le pouvoir non pas pour l’accumulation personnelle ou la domination, mais pour le bien de la communauté et la réalisation du bonheur humain. Cela implique générosité, justice dans la répartition des ressources et gouvernance équitable.
4. La vertu comme régulateur éthique
a. Vertu et choix moraux
La vertu influence directement la capacité de l’individu à faire des choix moraux. Elle agit comme un régulateur interne, orientant les désirs et les actions vers le juste milieu entre excès et défaut. Cette capacité de modération est fondamentale dans l’utilisation éthique de tout bien, qu’il s’agisse du discours, de la force, de la santé, de la richesse ou du pouvoir.
b. Éducation et formation à la vertu
La formation à la vertu est un processus qui implique l’éducation et l’habitude (comme on l’a expliqué dans une précédente méditation). On comprend donc aisément l’importance de la communauté politique dans ce processus, car c’est à travers les lois et les institutions que les citoyens apprennent à cultiver la vertu. Cela met en évidence le rôle crucial de l’éducation civique et morale dans la formation des individus capables d’agir éthiquement dans la société.
5. Vertu et société moderne
a. Défis et applications
Dans le contexte moderne, la citation d’Aristote nous interpelle sur les défis éthiques posés par les nouvelles technologies, les médias sociaux et la mondialisation. Comment appliquer la notion aristotélicienne de vertu à l’usage de ces nouveaux biens ? La réponse réside dans la promotion continue de l’éducation à la vertu, dans la reconnaissance de la responsabilité individuelle et collective et dans l’engagement envers une gouvernance éthique et transparente.
b. Rôle de la communauté et de l’individu
La communauté joue un rôle essentiel dans la promotion de la vertu en offrant des cadres de référence pour l’action éthique et en soutenant les individus dans leur quête du bien-être. Cependant, si l’on est aristotélicien, l’ultime responsabilité repose sur l’individu qui doit chercher à développer sa vertu et à l’exercer dans tous les aspects de sa vie. « C’est en forgeant que l’on devient forgeron », dit-on, et en ce qui concerne Aristote et la vertu, cette maxime ne saurait être plus vraie : c’est en s’habituant à pratiquer la vertu que l’on devient vertueux.
Conclusion
La citation d’Aristote, en mettant en lumière la dualité d’usage des biens et la place exceptionnelle de la vertu, nous invite à une réflexion profonde sur la nature de l’éthique et sur notre responsabilité morale dans l’utilisation des ressources à notre disposition. En reconnaissant la vertu comme le bien suprême et le régulateur de nos actions, nous sommes appelés à cultiver notre caractère moral, à faire des choix éthiques dans l’utilisation de nos biens et à contribuer ainsi au bien-être collectif et à l’épanouissement de la communauté humaine.
Islam Belala
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