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Monia Mazigh : « Les musulmanes sont généralement confinées à leur religion ou leur sexualité »

Canadienne, auteure de quatre romans abordant les réalités de femmes musulmanes, Monia Mazigh témoigne de son rapport complexe à l’écriture, dans lequel sa féminité et sa religiosité s’expriment naturellement, hors de toute injonction artificielle à l’islamité. Une chronique de Muslim Matters publiée en français sur Mizane.info.

Souvent, en tant que femme musulmane écrivant des romans, je me suis demandé si mon identité musulmane pouvait être dissociée des sujets sur lesquels j’écrivais. Est-ce que le fait que je sois une femme musulmane pratiquante me confine à une identité en dehors de laquelle je ne peux pas exister ? Y a-t-il des sujets « islamiques » spécifiques sur lesquels je devrais écrire ? Et si oui, comment puis-je les aborder de manière « islamique » ? Je me souviens qu’il y a quelques années, en discutant des titres de livres dans un club de lecture (dont les membres étaient toutes des femmes musulmanes), j’ai proposé à notre club de lire « L’immeuble Yacoubian ».

J’ai défendu le livre pour ses mérites littéraires mais aussi pour avoir abordé des sujets très « controversés » (comme l’homosexualité) dans une société majoritairement musulmane.

Au plus près de la réalité des femmes musulmanes

Un membre du club de lecture a démoli tous mes arguments et m’a dit que ce genre de livres encourageait la dépravation et l’immoralité. J’ai été choqué par la virulence de sa réaction car je me considérais comme une « bonne musulmane », du moins avec un certain sens de la moralité.

Mon objectif n’était pas de prendre parti ou de plaider en faveur de l’homosexualité, mais plutôt d’entamer une discussion intellectuelle sur la présence de tels problèmes au sein des sociétés musulmanes. Cependant, cet incident m’a fait prendre conscience que j’avais franchi une ligne rouge, au moins pour certains.

Quand j’ai écrit mon premier roman, Mirrors and Mirages, je voulais vraiment créer des histoires sur les femmes musulmanes, mais en aucun cas similaires à celles de « Pulp Fiction » décrites par Lila Abu Lughod dans son livre Do Muslim Women Need Saving ? où les femmes musulmanes sont généralement présentées comme des victimes de leur religion, maris ou pères, et finissent par être finalement sauvées par « l’Occident ».

Je voulais des histoires qui décrivent la vie des femmes que je vois autour de moi : des femmes musulmanes qui luttent au sein de leur communauté de foi, au sein de leur lieu de travail, au sein de leur famille, mais aussi des femmes qui aiment leur foi, leurs cultures et leurs études. Des femmes musulmanes qui cherchent l’amour et le trouvent, ou peut-être pas.

La littérature ne se confond pas avec le prosélytisme

Dès lors, me fallait-il expliquer les rituels de l’Islam ? Fallait-il que je sois décente ? Pas toujours, sauf si l’histoire ou son contexte l’exigent.

Ai-je dû transmettre dans mes écrits un quelconque sens de la moralité propre au musulman ou à l’islam ? Non, pour autant que je sache. Dois-je éviter de décrire la « dépravation » ou la mettre en avant ? Pas nécessairement. En tant qu’écrivain, mon objectif ultime était de pouvoir rapporter des histoires, telles que je les imagine.

Je ne vois pas spécifiquement la nécessité de parler de ma religion. Il n’est pas toujours nécessaire qu’un auteur musulman explique sa religion aux lecteurs, ou même « fasse la promotion » de sa propre religion auprès des lecteurs. L’art et la littérature ne sont pas du prosélytisme : leur registre est plus subtil.

Il s’agit de révéler la beauté du monde et des sens. En tant qu’auteur, je crois que l’Islam peut être « présenté » aux lecteurs, par exemple dans l’audition de l’adhan, l’appel à la prière, intégré dans un récit.

Le beau témoigne du Divin

Prenons aussi l’exemple de l’architecture islamique et comment l’innovation des artistes musulmans a remplacé la représentation humaine – si répandue dans les civilisations grecque et romaine – par la représentation géométrique. C’est toujours une forme étonnante d’adoration d’Allah subḥānahu wa ta’āla (Dieu glorifié et exalté soit-Il, ndlr) sans nécessairement citer de mots. La contemplation de la beauté suffit.

Dans mon humble entreprise artistique, tout ce que je fais est d’essayer d’humaniser les femmes musulmanes, qu’elles portent le hijab ou non, qu’elles prient ou non, qu’elles soient les meilleures musulmanes ou non.

Pendant des années et encore aujourd’hui, les femmes musulmanes, principalement dans les livres occidentaux (et même dans certains livres « musulmans ») sont généralement strictement confinées à leur religion ou à leur sexualité.

Sur le terrain, les femmes musulmanes ne se réduisent pas à ces deux aspects. Ce sont également des ouvrières dans les usines, des militantes dans des organisations, des paysannes pauvres, ce sont toutes ces situations socio-économiques et bien d’autres encore. Ces statuts sociaux nuancés et complexes et la façon dont les femmes musulmanes jonglent avec eux et avec leur foi, voilà ce que je m’efforce personnellement d’illustrer dans mes livres.

« Mes livres sont le reflet de la réalité »

Monia Mazigh.

En tant que musulmans, nous ne vivons pas dans une bulle. Nous vivons dans le monde et, par conséquent, nous sommes affectés par tout ce qui se passe autour de nous. Mais je peux vous dire que plus nous essayons de raconter nos histoires, différentes (et pas seulement des histoires stéréotypées sur les femmes musulmanes), et aussi diverses que possible, plus notre récit sera meilleur et diversifié sur les musulmans et l’islam.

Une fois, j’ai été critiqué par quelques lecteurs musulmans qui m’ont demandé pourquoi je parlais de « terrorisme » dans mes livres.

Je pense que mes livres sont le reflet de la réalité. Cette réalité n’est pas toujours joyeuse et il est important d’inclure ce que je vois autour de moi dans mes livres. Cependant, la différence entre moi et les autres auteurs est que j’« humanise » toujours mes personnages et les rends aussi nuancés que possible. Il n’y a pas de mal définitif.

Un personnage romanesque masculin musulman, quand bien même s’agirait-il d’un terroriste, ne peut pas être réduit à cette dimension, il reste par ailleurs un être humain qui mérite compassion et justice.

Un personnage féminin musulman ne peut pas seulement être une femme opprimée attendant que l’Occident la sauve. Et si elle le fait, elle a toujours le droit d’aimer sa foi et de l’embrasser, au lieu d’y renoncer comme on l’attend toujours d’elle.

A lire également : Nadia El Bouga : « La sexualité doit garder une dimension spirituelle »

Les écrivains, photographes de leurs communautés

Mon deuxième roman, Hope Has Two Daughters, parle des révolutions, des femmes et de l’éveil politique. Les protagonistes de ce livre sont des femmes musulmanes, et leur rapport à leur foi ne prend aucune place prépondérante dans leur vie. Ce choix n’est pas délibéré, mais plutôt naturel. C’est ce que je ressens autour de moi, et c’est ainsi que j’ai pu capter ces histoires.

Écrire sur l’oppression et la nécessité de défier la tyrannie est à mon avis une « question musulmane », mais malheureusement, elle n’est pas largement considérée comme faisant partie des sujets islamiques classiques comme la prière, la charité, le pèlerinage, etc.

Je considère les écrivains comme les photographes des communautés auxquelles ils appartiennent. Ils prennent plusieurs photos de la vie des personnes qu’ils rencontrent, avec lesquels ils parlent, se lient d’amitié, qu’ils détestent ou avec lesquelles ils interagissent tout simplement. Ces clichés ne sont pas réalisés dans une intention particulière de voyeurisme et de jugement, mais dans un objectif de partage artistique.

La sensibilité, la subtilité et les émotions sont mes guides. J’essaie de suivre cette approche dans mes écrits sans prêcher, sans faire de prosélytisme, sans « agenda musulman », mais avec un objectif en tête : humaniser autant que possible les femmes et les hommes musulmans.

Aujourd’hui, dans un monde où même les femmes musulmanes voilées sont objectivées, sexualisées et enfermées dans une autre classe de consommatrices, les écrits sur les femmes musulmanes ont donné naissance à une nouvelle catégorie littéraire appelée « Muslim chick lit ».

« Nous avons aussi besoin de solidarité entre femmes musulmanes »

Dans ce nouveau genre littéraire, les femmes musulmanes participent à des rencontres « halal » ou partent en voyage pour le Hajj avec leur mari. Bien que je n’aime pas particulièrement ces histoires, les filles musulmanes ont besoin de se représenter dans ce type de récit, qui doivent être racontées et lues. Nous avons besoin d’autant d’histoires que possible.

Nous avons aussi besoin de solidarité entre femmes musulmanes. Nous ne pouvons pas seulement parler de l’oppression qui sévit à l’étranger, et ne pas vraiment parler de ce qui se passe dans nos propres communautés. Nous avons besoin d’histoires transversales de femmes et de leurs luttes.

Les voix musulmanes sont certainement importantes aujourd’hui et doivent être prises très au sérieux afin de lutter contre ce qui se passe autour de nous en ce moment ; en particulier lorsqu’il s’agit de questions telles que la xénophobie et l’islamophobie. Nous ne pouvons pas simplement compter sur des événements de mosquée ouvertes et des parutions de livres sur le« bien-être » ou sur la façon dont nous étions incroyables et réussissions dans le passé.

Ces initiatives se produisent depuis des années, alors que l’islamophobie et les actes haineux sont en hausse. La littérature, les arts visuels, les médias et la télévision sont des outils très importants grâce auxquels nous pouvons changer ces réalités. « Nos » histoires doivent commencer par là.

Monia Mazigh

Chronique publiée initialement sur muslimmatters.org

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