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Mustafa Akyol : la religion rend-elle les gens plus moraux ?

Sur Mizane Info, une nouvelle chronique de Mustafa Akyol, accessible en français, qui s’interroge sur le lien entre moralité et pratique religieuse. Les religieux sont-ils plus moraux que les non religieux ? Ecrivain, Mustafa Akyol est chroniqueur au New York Times

Au cours des 15 dernières années, mon pays, la Turquie, a traversé une révolution politique colossale. L’élite laïque traditionnelle qui s’identifie avec le fondateur moderniste de la nation, Mustafa Kemal Atatürk, a été remplacée par des conservateurs religieux qui, jusqu’à récemment, étaient largement impuissants et marginalisés. Les conservateurs religieux sont maintenant venus à dominer pratiquement toutes les institutions de l’Etat, ainsi que les médias et même une grande partie du secteur des affaires. En bref, ils sont devenus la nouvelle élite dirigeante. Cette révolution politique a eu un résultat inattendu. Il a testé les vertus morales de ces conservateurs religieux – et, sur ce point, ils ont échoué. Ils ont échoué si terriblement que leur échec soulève la question de savoir si la religiosité et la morale vont réellement de pair, comme beaucoup de personnes religieuses aiment le dire. Les conservateurs religieux ont échoué moralement parce qu’ils ont fini par faire tout ce qu’ils condamnaient comme injuste et cruel. Pendant des décennies, ils ont critiqué l’élite laïque pour son népotisme et sa corruption, pour avoir armé le pouvoir judiciaire et pour avoir utilisé les médias pour diaboliser et intimider leurs adversaires. Pourtant, après leurs premières années au pouvoir, ils ont commencé à adopter le même comportement qu’ils avaient l’habitude de condamner, souvent même de façon plus flagrante que leurs prédécesseurs. C’est une histoire familière : les conservateurs religieux ont été corrompus par le pouvoir. Mais néanmoins, le pouvoir corrompt plus facilement quand vous n’avez ni principes ni intégrité.

« Il ne devrait pas y avoir de religion sans moralité »

Certaines des voix les plus consciencieuses parmi les conservateurs religieux de la Turquie ont critiqué cette dérive. Mustafa Ozturk, un théologien populaire et chroniqueur dans la presse turque, a récemment déclaré que les conservateurs religieux avaient échoué lamentablement au test moral. « Pour les 40 à 50 prochaines années, nous, musulmans, n’aurons aucun droit de dire quoi que ce soit à un être humain sur la foi, la morale, les droits et la loi », écrit-il à ce propos. Un autre éminent théologien, l’ancien mufti d’Istanbul, Mustafa Cagrici, a également écrit sur « l’écart grandissant entre religiosité et moralité ». Dans le passé, notait-il, les conservateurs disaient qu’« il n’y avait pas de morale sans religion ». Mais maintenant, écrivait-il, « il ne devrait pas y avoir de religion sans moralité ». De telles discussions peuvent sembler spécifiques à la Turquie contemporaine, mais elles soulèvent une question qui est globalement et intemporellement pertinente : la religion fait-elle vraiment des croyants des êtres humains plus moraux ? Ou le fossé entre la moralité et les gens moraux – un fossé évident en Turquie aujourd’hui et dans beaucoup d’autres sociétés à travers le monde – révèle-t-il une détestable hypocrisie ? Dans les faits, cela dépend.

Les fidèles d’une religion se considèrent comme moraux par défaut, et ne se donnent jamais la peine de s’interroger. En même temps, ils regardent les autres comme des âmes égarées, de détestables infidèles. Pour de telles personnes, la religion fonctionne non pas comme un remède pour l’âme, mais comme une drogue pour l’ego. Cela ne les rend pas humbles, mais arrogants

La religion peut fonctionner de deux manières fondamentalement différentes : elle peut être une source d’éducation personnelle, ou une source de glorification personnelle. L’éducation personnelle peut rendre les gens plus moraux, tandis que la glorification personnelle peut les rendre considérablement moins moraux. La religion peut être une source d’éducation, parce que les textes religieux comportent des enseignements moraux avec lesquels les gens peuvent s’interroger et se former eux-mêmes.

Mustafa Akyol au cours d’une intervention à l’Institut international de la pensée islamique.

Le Coran, tout comme la Bible, contient de telles perles de sagesse. Il dit aux croyants de « soutenir la justice », « même contre vous-mêmes ou vos parents et vos proches ». Il loue « ceux qui contrôlent leur colère et pardonnent à l’humanité ». Il conseille de « Repoussez le mal avec ce qui est meilleur pour que votre ennemi tel un ami proche ». Une personne qui suit de tels enseignements développera probablement un caractère moral, tout comme une personne qui suit des enseignements similaires dans la Bible le fera. Mais alimenter ses vertus morales est une chose, se considérer comme un être de vertu et de moralité simplement parce que vous vous identifiez à une religion particulière en est une autre.

Résister aux tendances toxiques du puritanisme religieux

Cette dernière attitude transforme la religion en un outil de glorification personnelle. Les fidèles d’une religion se considèrent comme moraux par défaut, et ne se donnent jamais la peine de s’interroger. En même temps, ils regardent les autres comme des âmes égarées, de détestables infidèles. Pour de telles personnes, la religion fonctionne non pas comme un remède pour l’âme, mais comme une drogue pour l’ego. Cela ne les rend pas humbles, mais arrogants. Dans les traditions religieuses légalistes, comme le judaïsme et l’islam, ce problème se produit lorsque la religion est réduite à la pratique des rituels. Le respect d’un code légal permet au croyant de se sentir droit aux yeux de Dieu, même s’il est immoral lorsqu’il traite avec ses semblables. Un célèbre rabbin juif qui a vécu il y a deux millénaires, Jésus de Nazareth, a identifié ce problème. Ceux qui pratiquent, les pharisiens, qui sont « confiants dans leur propre justice et méprisent tout le monde », a-t-il déclaré, ne sont pas vraiment justes. Les pécheurs qui regrettent leurs échecs, dit-il, sont plus moraux que les pieux qui se vantent. Détruire la moralité de la religion peut également se produire lorsqu’un système de croyances est réduit à une simple identité de groupe. Ce genre de mentalité déclinée sur le mode « nous contre eux » peut corrompre et radicaliser n’importe quelle communauté religieuse – les chrétiens, les musulmans, les hindous et les bouddhistes peuvent devenir des militants haineux quand ils se considèrent par nature comme des victimes. Cette tendance est visible partout, depuis les moines bouddhistes encourageant le nettoyage ethnique au Myanmar jusqu’aux hindous qui dominent la politique indienne sans oublier la violence des extrémistes musulmans au Moyen-Orient. Les croyants consciencieux de toutes les traditions doivent résister aux pulsions toxiques qui transforment la religion en un vase creux d’arrogance, de bigoterie, de haine et de cupidité. Sinon, de plus en plus de mal sera fait au nom de leur foi.

Mustafa Akyol

Sur le même sujet, lire : 

« La foi et la morale », Qaradawi

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