Le professeur Mustapha Chérif est lauréat du prix Unesco du dialogue des cultures, auteur notamment de « Le Coran et notre temps » (éditions Albouraq), et « Sortir des extrêmes » (édition Les points sur les i). Dans une tribune exclusive publiée par Mizane.info, il explique les raisons de son engagement en faveur d’une promotion de la culture de la paix.
Dans les violences actuelles du monde, la religion, mêlée malgré elle, est un masque. Les problèmes ont des causes multiples. La culture de la paix au cœur de l’islam est liée au vivre-ensemble. Elle vise la paix intérieure et sociale. Le terme « islam » signifie se remettre en paix. Sa racine est la même que le mot paix. Toutes les orientations coraniques visent la paix intérieure et la paix sociale, y compris l’autorisation, à des conditions humanitaires strictes, à la légitime défense, au combat, à l’effort, afin que la violence et l’injustice ne dégénèrent pas. La vie est fondée sur la liberté, dans la maîtrise de soi, et la foi est une question personnelle, intime, privée, chacun doit les cultiver dans le respect de la vie d’autrui. Éduquer au respect de la sacralité de la vie et du droit à la différence est un devoir. La vertu civique, c’est à dire le savoir–vivre, ou bel-agir, l’ihsan, est un objectif éducatif de l’islam.
Faire émerger une culture de la paix est une priorité
Les institutions publiques, les médias et les élites assument une part de responsabilité. Souvent de leur action dépend la violence ou la paix. Ils contribuent à diffuser la culture de la paix ou de la confrontation. La paix ou l’exclusion dépendent en partie de leur action. Comment le concept de culture de la paix devient-il réalité ou est remis en cause ? En d’autres termes, comment transformer les idées que renferme l’expression « culture de la paix » en politiques publiques et en actes individuels des citoyens et des médias ? La culture de la paix suppose un effort collectif pour modifier les discours, les modes de pensée et d’action afin de promouvoir le vivre-ensemble. Elle signifie accepter et comprendre la diversité, transformer les conflits, prévenir les crises, restaurer la paix et la confiance dans les sociétés et entre les peuples.
Une revendication mondiale en faveur de la paix
Tous les peuples aspirent à la paix, mais sa réalisation est conditionnée par de multiples facteurs. Édifier une culture de la paix c’est dialoguer pour s’entre-connaître, faire comprendre et respecter le droit au culte, à la justice, à l’égalité et à la solidarité. Cela suppose le rejet collectif de l’exclusion, de la violence aveugle et de la haine. Cela implique l’esprit civique, le dialogue interculturel, les moyens de prendre part au développement de la société et à un ordre juste et fraternel. Le racisme, le populisme, les extrémismes, sont des menaces qui pèsent sur la paix. En islam, la culture de la paix est une réponse à ces menaces et à celles de l’hégémonie d’un seul modèle.
Il est temps de consacrer la coexistence, le respect du pluralisme, comme un don et une épreuve. Le Coran est clair : « Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté, mais il a voulu vous éprouver par le don de la différence, courez les uns les autres vers les bonnes actions, un jour il vous expliquera les raisons de vos différences ». C’est un appel à l’humilité et au respect du droit à la différence
La doctrine de la culture de la paix en islam vise des solutions qui par le dialogue doivent venir de la société elle-même et ne sont pas imposées de l’extérieur. Les solutions passent en partie par l’intervention des élites qui, à tous les niveaux de la société, informent et forment sur des sujets variés.
Les efforts pour fonder une culture de la paix dépassent tel ou tel secteur, telle ou telle religion ou culture. Les systèmes politiques, les médias et l’École jouent un rôle décisif. Les citoyens musulmans ne peuvent que pratiquer l’ijtihad, l’interprétation ouverte des textes sacrés et le renouveau de l’approche, pour progresser. Les médias ne pourront qu’en rendre compte. La culture musulmane de la paix doit être comprise comme une chance.
Sortons ensemble des confrontations stériles
La diffusion de la culture de la paix semble une utopie, mais elle est possible. C’est devenu un des grands thèmes de la stratégie de nombre d’organisations depuis des décennies. Cinq domaines essentiels influent sur la culture de la paix : la politique, l’éducation, la communication, l’économie et la religion. Lors des crises, le sensationnalisme est nuisible. Plus un discours devient sensationnel, plus il joue un rôle destructeur dans le processus de cohésion sociale.
Le risque de manipulation des médias et l’accent mis sur des boucs émissaires existe en période de crise. Il appartient à tous les citoyens de savoir faire la part des choses pour ne pas se laisser entraîner et ainsi entraîner le monde dans des dérives inacceptables et un traitement émotionnel de l’actualité. Il faut en particulier sortir de la confrontation mythique Orient-Occident, car il y a des orients et des occidentaux, entremêlés. Les convergences et les points communs sont plus importants que les divergences. Le devenir est lié. De plus, des courants d’idées occidentaux et orientaux, spirituels, progressistes et humanistes, défendent les mêmes idéaux. Il faut rechercher l’intérêt commun pour corriger les dérives.
La fin des logiques médiatiques d’exclusion
Les médias changent les règles et la nature du champ culturel et politique des pays. Des pseudos-experts créent une interférence, un pouvoir de nuisance puissant. Ils stigmatisent et imposent leur loi à l’opinion publique sans voix. Le dialogue des cultures et des religions dans la construction de la paix est une démarche nécessaire. Tout chercheur doit identifier les éléments ayant une influence (positive ou négative) sur un processus de cohabitation. Les influences négatives pratiquent l’amalgame, comportent de l’ignorance, de la propagande et de l’incitation à la haine. Les influences positives se concentrent sur le discernement, la médiation, la réconciliation et la mobilisation pour le dialogue et l’inter-connaissance.
L’islam appelle à la coexistence et au respect du pluralisme
Il est temps de consacrer la coexistence, le respect du pluralisme, comme un don et une épreuve. Le Coran est clair : « Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté, mais il a voulu vous éprouver par le don de la différence, courez les uns les autres vers les bonnes actions, un jour il vous expliquera les raisons de vos différences ». C’est un appel à l’humilité et au respect du droit à la différence. Le Coran ordonne le dialogue civilisé : « Dialogue avec eux de la meilleure façon ! Seul ton Seigneur sait qui est égaré loin de son chemin, il est le Seul à reconnaître les biens guidés » et ajoute « Il guide à Sa Lumière qui Il veut » Coran : 24 : 35.
Il préconise le rapprochement, pour notamment se garder de l’idolâtrie et de l’égocentrisme : « Dis-leur, venez à une Parole commune-juste ». Il insiste sur le fait qu’il n’y a « nulle contrainte en religion » et proclame : « Croit qui veut et nie qui veut ». En même temps, il appelle à la culture de la dignité et à la vigilance pour ne pas être otage de l’autre. Le citoyen de confession musulmane ne peut que s’imprégner de la culture de la paix, du respect de la pluralité et celle du dialogue. Ses textes et l’histoire de sa civilisation l’exigent. Afin de forger des citoyens ouverts, aptes à assumer le vivre-ensemble, l’islam appelle à témoigner et dialoguer avec hauteur de vue.
Mustapha Chérif
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