Mizane.info publie un extrait d’un discours d’Omar Suleiman prononcé au moment d’un hommage à l’Audobon Ballroom, où Malcolm X a été assassiné le 21 février 1965. Omar Suleiman est imam à Dallas aux Etats-Unis, et militant engagé pour la défense des droits humains.
« Le martyr a la vie éternelle. Malcolm est peut-être mort ici, mais en tant que musulmans, nous croyons qu’il a également été reçu par son Seigneur, à cet endroit même, dans un endroit bien meilleur. Le Prophète Muhammad (paix et bénédictions d’Allah sur lui) a dit que quand une personne meurt, soit elle sort soulagée de ce monde, soit ce monde est soulagé d’elle. Je crois que nous pouvons dire en toute sécurité que Malcolm a été soulagé de ce monde alors qu’il faisait la transition vers sa place légitime. Mais où cela nous mène-t-il ? Le monde, et plus particulièrement ce pays, a plus que jamais besoin du message de Malcolm. Selon ses propres termes, « l’histoire est la mémoire d’un peuple, et sans mémoire, l’homme est rétrogradé vers les animaux inférieurs.» Plusieurs forces ont essayé et continuent d’essayer de faire taire Malcolm, mais sa voix est trop puissante. Il savait comment il serait dépeint.
Evoluer avec des vérités révélées
Alors que son autobiographie touchait à sa fin, il a confié à Alex Haley ces mots : « Quand je serai mort, je le dis de cette façon parce que je ne m’attends pas à vivre assez longtemps pour lire ce livre dans sa forme finale, je veux que tu regardes juste si je n’ai pas raison quand je dis que l’homme blanc, dans sa presse, va m’identifier avec le mot « haine ». Il a également déclaré: « Je sais que les sociétés ont souvent tué des personnes qui ont contribué à les transformer. Et si je peux mourir en ayant apporté une lumière, en ayant exposé toute vérité qui aidera à détruire le cancer raciste dans le corps de l’Amérique, alors tout le crédit est à Allah. Seules les erreurs auront été les miennes. » Malcolm a eu le courage de mettre au défi tout le monde de faire mieux. Il a défié l’Amérique blanche de prendre en compte sa pathologie raciste, et l’Amérique noire de s’efforcer de s’autonomiser.
Quand un prisonnier, dans le système moderne d’esclavage américain, commence à libérer son esprit en lisant, et trouve l’espoir dans la foi, refusant de succomber aux tentatives permanentes d’être réduit à ce système, nous avons une dette envers Malcolm. Lorsque nous voyons les activistes se lever pour défier des systèmes d’exploitation apparemment invincibles, nous avons une dette envers Malcolm
Il a défié les musulmans à l’échelle mondiale de se conformer aux Écritures antiracistes de l’islam et de pratiquer sa doctrine de l’égalité et de lutter pour les opprimés. Il a défié chaque être humain de voir son prochain comme un être humain à part entière. Finalement, il nous a montré à quoi cela ressemble de constamment défier ses propres jugements et d’évoluer avec des vérités révélées. Ce n’était pas seulement un signe de son intégrité, mais la marque de sa sincérité incontestée. « Malgré mes fermes convictions », a-t-il déclaré, « j’ai toujours été un homme qui essaie de faire face aux faits et d’accepter la réalité de la vie à mesure que de nouvelles expériences et de nouvelles connaissances se dévoilent. J’ai toujours gardé un esprit ouvert, une flexibilité qui doit aller de pair avec toute forme de recherche intelligente de la vérité. » « Je suis pour la vérité, peu importe qui la dit. Je suis pour la justice, peu importe qui est pour ou contre. Je suis avant tout un être humain et, en tant que tel, je suis pour qui que ce soit et ce qui profite à l’humanité dans son ensemble. »
Le meilleur d’entre nous
Malcolm n’a jamais cessé de grandir. Il était trop grand pour rester petit (allusion à Malcolm Little, le nom de Malcom X, ndlr), trop global pour rester à Detroit, et trop défini pour rester X. Il a continué à grandir jusqu’à devenir El Hajj Malik El Shabazz, notre prince noir de lumière. Pourtant, il était toujours critique envers lui-même et fidèle à ce en quoi il croyait. En mars 1964, alors qu’il quittait formellement la Nation de l’Islam, il écrivait dans sa lettre à Elijah Muhammad : « Je suis et serai toujours musulman. »
Il n’a jamais pris la route la plus commode, seulement la route de la vérité. Et il a montré, plus que toute autre chose, à quoi cela ressemblait d’avoir le courage d’égaler ses convictions. Comme l’a dit Don Will, « Le changement est révolutionnaire par nature et la transformation de Malcolm sert de témoignage durable que nous, en tant que personnes, ne sommes pas résignés à nos défauts caractériels ou à nos malheurs personnels. Notre monde est un microcosme et il évolue en conséquence. »
Malgré le fait qu’il était ministre dans la Nation of Islam, le fondateur de la Muslim Mosque Inc., et l’un des plus grands musulmans du monde, a rejeté le terme « honorable » pour lui-même, choisissant plutôt d’être simplement appelé « Frère Malcolm. » Cependant, comme cela a été dit durant l’éloge : « Quand nous l’honorons, nous honorons le meilleur de nous-mêmes. Malcolm était un révolutionnaire politique, culturel et religieux. » «Celui qui vous aime tellement qu’il donnerait sa vie pour vous. »
Malcolm aimait les mal-aimés parce qu’il savait ce que c’était d’être abandonné. Malcolm aimait Muhammad Ali avant qu’il ne secoue le monde, alors qu’il n’était qu’un jeune Cassius Clay. Malcolm a été le premier à reconnaître la véritable inter-sectionnalité lorsqu’il est devenu le premier leader noir en Amérique à dénoncer la guerre du Vietnam et à reconnaître les injustices commises contre le peuple palestinien, qu’il a visité à Gaza en 1964.
Notre dette envers Malcolm X
Bien avant le Wakanda, Malcolm savait qu’une Afrique forte était essentielle au sort des Noirs en Amérique et dans le monde. Avant les mouvements « Black Is Beautiful » ou « Black Power », avant qu’Ali ne dise, « Je suis beau », et James Brown, « Je suis noir et je suis fier », Malcolm disait : « Qui t’a appris à détester la texture de tes cheveux et la couleur de ta peau ? ». Malcolm a fait passer la suprématie blanche mondiale en jugement, et était prêt à assumer seul le rôle de procureur. Il écrivait à propos de l’Afrique: « Je veux démanteler l’ensemble du système international d’exploitation raciale ».
A chaque fois que Muhammad Ali a secoué le monde, nous avions une dette envers Malcolm. Lorsque Chris Jackson, devenu Mahmoud AbdulRauf après avoir lu l’autobiographie de Malcolm, a pris position contre le militarisme, nous avions une dette envers Malcolm. Lorsque Colin Kaepernick s’agenouille pour protester contre la brutalité policière, nous avons une dette envers Malcolm. A chaque fois que les jeunes enfants noirs trouvent la beauté en eux-mêmes et refusent d’intérioriser la bigoterie toxique, nous avons une dette envers Malcolm. Quand un prisonnier, dans le système moderne d’esclavage américain, commence à libérer son esprit en lisant, et trouve l’espoir dans la foi, refusant de succomber aux tentatives permanentes d’être réduit à ce système, nous avons une dette envers Malcolm. Lorsque nous voyons les activistes se lever pour défier des systèmes d’exploitation apparemment invincibles, nous avons une dette envers Malcolm. Lorsque les jeunes musulmans exercent leur droit non seulement de vivre dignement dans ce pays, mais aussi de défier le pays pour être plus digne, nous avons une dette envers Malcolm. Malcolm était et est notre force. Il nous a donné des épaules et une base intellectuelle sur laquelle bâtir. Et il nous a montré comment une foi sincère peut nous pousser à dépasser toutes les peurs.
Omar Suleiman
A lire sur le même sujet :
–« L’homme dominé », Albert Memmi