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Oumaima Mourtaka : redécouvrir le génie artistique du lieu architectural

Etudiante en architecture et passionnée d’anthropologie architecturale, Oumaima Mourtaka nous livre, sur Mizane.info, ses réflexions sur le lien profond entre l’essence idéelle et spirituelle d’une chose et sa forme, avec une application dans le domaine architectural. En partenariat avec Ribat al Hikma.     

Nous n’apprenons rien à personne si l’on venait à dire que, du fait de la modernité, le sujet ayant perdu toute immanence substantielle, se déployant dans un monologue intérieur, se soit estompé, au profit de l’objet non seulement dans son objectivité qui n’a de sens que par et pour le sujet mais dans son objectalité, le réduisant ainsi à sa dimension de forme pure et lui ôtant les structures symboliques véhiculées par le temps.

En cela, le sens et le figuré, l’analogique, l’occulte, la métaphysique, le mythique ou mystique sont sacrifiés et remplacés par une rigueur rationnelle purificatrice où tout est explicité et où le temps se découpe en contiguïtés et discontinuités avant de se résorber dans la mémoire.

Perte de la contemplation et dévoiement du « faire »

Cette interprétation du monde le dédouble, monde du quotidien (réel, empirique, pratique) et monde de la métaphore qu’elle cherche à dépasser à travers une opposition simulée et une contestation illusoire faisant de lui une banalité pratique et une pratique banale.

De la liquidation des traces de l’histoire qui dans ce mouvement se retourne contre elle-même et s’annihile, de cette question de dualisme entre objectivité du monde et subjectivité humaine transparait un effort méthodique d’abstraction de l’existence humaine.

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Le château Kristin en Bavière.

Ainsi les formes de l’art, produit d’une conscience créatrice passive, sont saturées par une énergie rationnelle qui se décharge dans la vie et en intensifie le rythme.

Ainsi, l’art n’est plus aboutissement serein au-delà de la contingence mais la force qui, au sein même de cette contingence, oblige à accomplir d’une manière claire et transparente jusqu’aux moindres actes de la vie quotidienne.

L’art chez les modernes, condition de la non-contemplation, est une condition du « faire », il est une technique, une acceptation de l’action, un engagement dans l’utilité immédiate.

C’est pourquoi les premières formes abstraites qui apparaissent dans l’architecture « technique » visiblement destinée à résoudre des problèmes objectifs à travers les qualités objectives des nouveaux matériaux (fer, béton) cherchent à déposséder le lieu de ses idées, de ses valeurs et à détacher les signifiants des signifiés.

Redécouvrir la singularité d’un lieu

C’est notamment ce que l’on retrouve avec l’espace universel, cet espace qui se veut homogène et infini, purement physico-mathématique, dénué de toutes connotations et souffle cosmique.

La ville quant à elle est proie aux sciences parcellaires qui découpent et agencent les fragments d’un quotidien étroitement surveillé.

Il en résulte que ces formes privées de contenus et de substance, affirmées en tant que formes pures, chargées d’une fonction structurante, déçoivent du fait d’un détournement de l’énergie créatrice d’œuvres vers la mise en spectacle, vers la visualisation spectaculaire du monde qui devient consommation du spectacle et spectacle de la consommation.

Augustin Berque nous invite à repenser le terrain conceptuel en invoquant l’urgence d’un ré-enchantement du lieu, de la redécouverte du génie contenu dans la singularité en retrouvant le déploiement historique de l’espace à l’intérieur duquel les lieux expriment leur charme, un espace qui s’apparente à celui que Heidegger définit par rapport à la position originelle de notre façon d’ »être au monde », un espace à la fois distance à parcourir (Entfernung) et disposition des choses selon un ordre donné qui change de valeur selon nos changements de position (Austrichtung).

Il s’agit donc de revenir là où nous étions et d’où nous a ôté le dualisme moderne en inventant une nouvelle rationalité qui saisit l’environnement et en fait un milieu afin de se libérer du monde objectifé et faire vivre notre subjectité (être des sujets).

La décoration comme manifestation du génie d’un lieu

Pour qu’une œuvre soit belle en architecture, il faut que chacun puisse penser, en la voyant, qu’elle s’est élevée naturellement, qu’elle ne pouvait être autrement.

Il ne faut surtout pas y découvrir des signes qui trahissent le manque d’idées ou qui sentent le désir de l’auteur de surprendre, d’occuper les yeux du passant à défaut de satisfaire son esprit.

Si riche que l’on veuille supposer un édifice, il faut que cette richesse soit soumise à l’idée, qu’elle ne puisse en affaiblir, en corrompre ou en voiler l’expression.

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Portail tori, au Japon.

Convenons aussi qu’en l’absence de l’idée, il est naturel que l’on essaye de dissimuler cette impuissance sous une décoration parasite.

L’architecture musulmane excelle dans l’application de la décoration.

C’est qu’en effet cette dernière ne vient jamais voiler l’idée, au contraire elle l’appuie toujours avec énergie, elle en est le corollaire.

Il faudrait dire tout d’abord que l’idée ne lui fait pas défaut et que le parler pour ne rien dire est une innovation de la modernité.

La décoration cherche à exprimer l’idée qui ne saurait être représentée par une image car omniprésente.

Que la forme soit appropriée à l’idée !

L’harmonie des tons, l’excellente répartition des dessins, d’une échelle relativement petite composent seules l’ornementation de l’édifice, splendide mais d’une parfaite unité d’aspect, laissant aux lignes toute leur importance, au parti général toute sa grandeur, simple et tranquille comme le signe visible de l’idée que le musulman se fait de la Divinité unique qui a pour sanctuaire l’univers, qui réside partout et nulle part.

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Fontaine traditionnelle à Rabat, au Maroc.

Ce qu’on cherche à démontrer ici, ce n’est pas la nécessité de repêcher bêtement ces symboles pour en revêtir nos façades, mais bien que les formes décoratives doivent être appropriées à l’objet, que la forme exprime l’idée, et qu’on ne saurait impunément prendre dans l’arsenal architectonique quelque forme que ce soit pour exprimer telle ou telle idée.

Il faut bien constater aussi que la décoration n’est pas une parure banale, qu’elle se manifeste dès le plan, dès la conception première sur l’interprétation d’un programme et qu’elle tient à l’édifice non comme le vêtement mais comme la peau tient à l’homme.

Oumaima Mourtaka

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