Depuis le lancement de l’opération militaire « Déluge d’Al Aqsa », une propagande pro-israélienne intense s’est diffusée dans la plupart des médias et des discours politiques, sans jamais aborder le fond du problème en Palestine. De quoi cette opération palestinienne est-elle le nom ? Quels sont les fondements de l’équation en jeu dans cette affaire ? Mizane.info répond à ces questions dans un éditorial de la rédaction consacrée à la Palestine.
Depuis vendredi, la Palestine est au cœur d’une des batailles les plus importantes de notre temps. Sous la houlette des organisations palestiniennes, une attaque d’ampleur a été menée contre les colonies israéliennes de Sderot, Netivot, Ofaqim et plusieurs bases militaires de l’occupation israélienne proches de Gaza.
Plusieurs milliers de roquettes ont été lancées par le Hamas à l’aube du samedi 7 octobre 2023, 50 ans jour pour jour après le déclenchement de la guerre du Kippour en 1973.
Cette attaque surnommée « Déluge d’Al Aqsa » a été à l’évidence, militairement et stratégiquement, préparée de longue date. La visite en avril dernier du leader de l’organisation palestinienne Hamas, Ismaïl Haniyeh, reçu à Beyrouth par Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah libanais, était un signe annonciateur d’une opération d’envergure dans la région.
Palestine : un nouveau rapport de force
Depuis le déclenchement de l’attaque, des bilans font état de plus de 700 à 800 morts côté israéliens, ce qui en fait la bataille la plus meurtrière pour les israéliens depuis 1973. Un échec à la fois militaire et sécuritaire qui a montré les faiblesses du renseignement israélien.
Cet échec israélien est aussi politique. A l’heure où quelques pays arabes, en échanges d’illusoires strapontins, ont choisi au nom du doux euphémisme de « normalisation » la voie de la collaboration avec Tel Aviv, les pertes subies par Israël ont démontré aux Etats attentistes, tentés ou soumis à de fortes pressions américaines pour reconnaître l’existence d’Israël et ouvrir des relations diplomatiques avec lui, la fragilité d’une telle option.
Si, pendant longtemps, le rapport de force entre palestiniens et israéliens ne faisait aucun doute pour personne, la donne a désormais bien changé.
Ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour le peuple palestinien soumis, depuis la mise en place de la logique de dépossession de son territoire, de sa souveraineté et de son existence, à une colonisation aussi violente qu’anachronique, à un apartheid grossier et désuet, sombres vestiges et survivance obscure d’un autre temps.
Seuls, pendant longtemps coupés du monde, victimes jusqu’à ce jour d’une propagande éhontée les présentant comme des terroristes ou des soutiens du terrorisme, propagande reprise dans la plupart des titres de la presse occidentale et ce jusqu’aux déclarations politiques dénuées de tout sens de la pudeur, de la mesure, de la justice ; plongés tour à tour dans l’oubli, puis jetés dans la fosse de l’infamie, le peuple palestinien a toujours su faire face à toutes les pertes, a vécu dans sa chair tous les sacrifices et c’est au contact permanent de cette colonne de feu brûlant, somme de toutes ces injustices, qu’il s’est forgé un esprit, un mental, une volonté de vivre qu’aucun bombardement ne pouvait éteindre.
Cette vérité palestinienne, les Français ne la connaissent pas. L’actuelle position politique française, radicalement pro-israélienne, a eu pour effet de désamorcer et tuer dans l’œuf toute possibilité d’expression et de témoignage de la réalité vécue depuis au moins 75 ans par le peuple palestinien. La médiatisation de la question palestinienne est constamment biaisée, noyée par une vallée de contre-vérités savamment concoctées par des légions de communicants pro-israéliens.
A chaque épisode de cette guerre qui ne dit pas son nom car son nom est interdit et cet interdit est l’emplacement précis du sacré, de ce qui ne peut être violé sans représailles, de cet Nemesis qui suit nécessairement toute hubris, à chaque épisode disions-nous, le même scénario est brocardé : disqualification, déformation de la réalité, construction d’un narratif mensonger sans les principaux acteurs concernés, violence d’Etat destinée à maintenir dans les faits ce qui ne pouvait exister dans le droit, déshumanisation des Palestiniens dont la vie doit être sacrifiée pour permettre aux israéliens de jouir de leurs privilèges.
Un exemple parmi tant d’autres. En France, 4 manifestation pro-israéliennes organisées ou soutenues par le très influent Conseil représentatif des organisations juives de France ont été autorisées. Une seule manifestation pro-palestinienne a été organisée mais aussitôt interdite par les pouvoirs publics. La messe parisienne est dite et dans cette messe basse aucune parole de bénédiction ne serait être prononcée pour les natifs de Gaza, Bethléem, Ramallah ou Jérusalem.
La vérité historique de la Palestine
C’est pourtant ce devoir de vérité qu’il est aujourd’hui urgent de défendre car c’est cette vérité qui explique la force de l’engagement du peuple palestinien à survivre au-delà de la vague de désinformation qui s’abat sur lui quotidiennement, cette même force admirable et unique dans l’histoire qui lui a déjà tant de fois permis de respirer pendant que les forces israéliennes lui maintenait la tête sous l’eau pour mieux étouffer sa soif de vivre.
Les faits parlent et crient leur vérité.
-1917 : le secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères (the Foreign Secretary) adresse une lettre ouverte au Lord Lionel Walter Rothschild (1868-1937), personnalité de la communauté juive britannique et financier du mouvement sioniste. Ce que l’on appellera la Déclaration Balfour prévoit l’établissement d’un « foyer national pour le peuple juif », première étape d’un processus de colonisation qui ne s’arrêtera plus.
-En 1919, signature de l’Accord Fayçal-Weizmann, ancêtre lointain de l’aveuglement d’une certaine diplomatie arabe qui a survécu elle aussi.
-Face aux révoltes palestiniennes devant les jalons d’une Palestine mandataire qui prévoyait la partition-spoliation du territoire palestinien, les Britanniques confient le paquet politique à l’ONU.
-En l’absence des Palestiniens, une résolution est votée en février 1947 au prix de fortes pressions américaines et d’une corruption politique exercée sur les représentations diplomatiques. Des hommes ont pris le contrôle d’une maison après avoir expulsé ses habitants et se sont arrangés avec leurs voisins pour qu’ils reconnaissent cette expropriation. C’est en peu de mots l’histoire occultée de la Palestine.
-La proclamation en 1948 d’Israël ouvre la voie à la Nakba et pour les Palestiniens à une longue histoire de souffrances, d’exil, de spoliation, d’expropriation, mais aussi de massacres, bombardements, blocus, arrestations arbitraires, et internement dans des camps de réfugiés…
Comme Ulysse, le peuple palestinien a dû affronter au cours de son odyssée mille périls pour retrouver le chemin de sa liberté. Il dut faire face aux chants trompeurs des sirènes de la diplomatie d’Oslo, aux stratagèmes meurtriers de tous les faux accords de paix inspirés par les Circés de notre époque. Mais la liberté et la Justice ont des droits qui surpassent toutes les lois factices, les compromis honteux, toutes ces lâchetés auxquelles la diplomatie internationale nous a si souvent habitué.
C’est ce chemin que le peuple palestinien a fait le choix d’arpenter.
Aussi, la France et la diplomatie européenne seraient bien inspirés, au-delà de la reprise conjoncturelle des affrontements, de revoir leurs positions dans ce conflit.
Il n’y a pas d’agression palestinienne, seulement une violence coloniale israélienne dont la logique même est à l’origine d’Israël, ce qui explique jusqu’à ce jour la permanence de cette politique.
La France doit se remémorer son histoire et se souvenir le prix qu’elle dut payer pour se libérer de l’occupation allemande. La France doit entrer en cohérence avec son passé et son présent. Il n’est pas possible de célébrer la mémoire des résistants français et de condamner la résistance palestinienne. Il n’est pas possible de condamner l’invasion russe de l’Ukraine, de soutenir financièrement et militairement les Ukrainiens et de condamner dans le même temps la résistance légitime du peuple palestinien.
Paris s’honorerait de revoir sa position et de la réinscrire dans les meilleurs racines politiques de son histoire, car si le présent peut nous inspirer le sentiment d’un bénéfice politique provisoire obtenu au prix moral le plus élevé, l’histoire, elle, n’oublie rien et saura tôt ou tard témoigner de la vérité de l’engagement de chaque Nation au service ou au détriment de la justice.