Comment distinguer la fréquence de la dualité de celle de la non dualité ? Peut-on cheminer vers Dieu sans être « dérangé » par l’environnement extérieur ? Hamdi Ben Aïssa répond à ces questions dans un texte à lire sur Mizane.info.
« On demanda à un maître zen combien de temps il faudrait pour atteindre l’illumination.
Le maître dit :
– Dix ans.
– Et en s’y mettant intensément ?
Le maître répondit : « Vingt ans, alors. «
Celui qui cherche la paix est dérangé par tout ce qui n’est pas la paix.
Celui qui cherche la joie est dérangé par tout ce qui n’est pas la joie.
Celui qui cherche l’éveil est dérangé par tout ce qui n’est pas l’éveil.
Celui qui cherche le silence est dérangé par tout ce qui n’est pas le silence.
Celui qui ne cherche rien en particulier n’est dérangé par rien en particulier.
La moindre recherche entraîne une contraction face à tout ce qui est contraire à cette recherche ».
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Suite à la lecture de ce texte de Yvan Amar, une amie qui connaît bien les parallèles que je fais souvent entre la spiritualité zen et la spiritualité soufie, m’a posé la question : « Donc celui qui cherche Allah, est dérangé par tout ce qui n’est pas Allah ? ».
Méditons ensemble sur cette question.
On peut se demander, dans un premier temps, en quoi consiste le fait de “chercher Allah”. Chercher Allah, c’est-à-dire Le Tout-et-Un, ou encore chercher le « Tawhid », l’Unité et l’Unicité Divine, revient en réalité à ne rien chercher en particulier, car c’est être en quête de l’Absolu. On pourrait donc dire que rien ne peut “déranger” celui qui “cherche Allah”, pour rejoindre l’enseignement Zen cité ci-dessus.
Le « Chirk » (que l’on traduit souvent par “associationnisme”) consiste selon les Soufis à chercher quelque chose en particulier afin que l’âme trouve satisfaction, et ce même si cette chose est une Couleur particulière ou une Manifestation spécifique du Tout-et-Un… C’est donc avoir une requête particulière, alors que chercher All-Ah, c’est au contraire être réceptif à toutes les Manifestations du Tout-et-Un sans en exiger aucune en particulier pour que l’âme soit satisfaite.
Je pense que le mot « recherche » tel qu’il est utilisé dans le passage cité rejoint la notion de « requête » que j’ai plusieurs fois mise en avant, notamment dans un enseignement donné en 2020 dans lequel j’avais proposé une distinction entre trois modes de fonctionnement du cerveau humain, ou trois postures différentes de l’humain que sont l’enquête, la requête et la quête. Ces différentes postures vont s’exprimer de différentes façons :
celui qui est en enquête vient avec des accusations à valider ou des doutes à vérifier,
celui qui est en requête a des attentes particulières à satisfaire et des besoins spécifiques à nourrir,
celui qui est en quête poursuit la Vérité, libéré de toute attente…
Celui qui est en mode requête sera systématiquement déçu dès que son attente ne sera pas satisfaite. En revanche, la personne en quête est forcément en quête du Tout-et-Un, ce qui implique qu’elle ne nourrit pas d’attente particulière envers Dieu, si ce n’est d’être en Sa Compagnie, dans Sa Présence, et sous Son Regard, ce qui est déjà et tout le temps le cas… Après tout, n’est-ce pas là la nature de la vraie amitié ? Que cherche-t-on chez un ami que l’on aime vraiment si ce n’est sa simple présence ?
Dans l’éducation soufie proprement dite, les seuls élèves qui atteignent l’illumination sont justement ceux qui arrivent à atteindre ce niveau de « désintéressement » par rapport à ladite illumination… Ce sont ceux qui n’ont pas d’attente envers leur cheikh, si ce n’est d’être en sa compagnie, dans sa présence et sous son regard… Ces élèves ainsi entraînés dans l’école de l’amitié et de l’amour inconditionnels deviennent peu à peu prêts à devenir les amis de l’Âmi…
Dieu n’est dérangé par rien !
On peut se questionner maintenant sur ce terme utilisé de “être dérangé” utilisé dans ce texte et qui peut être interprété par des lecteurs non habitués à la fréquence non-dualiste comme une invitation au désengagement moral, politique et éthique et un refus de prendre position dans le monde. Ne pas être dérangé ne veut pas dire “tout aimer”, ou “être d’accord avec tout et laisser faire”… Il y a bien des choses que « Allah », le Tout-et-Un ou encore la conscience universelle et sa résonance dans le cœur humain sain n’aiment pas, comme la trahison, la médisance, la diffamation, l’abus, la méconnaissance, l’injustice…Cependant, rien de tout ça n’est pour autant « dérangeant» pour Le Divin, pour La Conscience Universelle, comme pour l’âme humaine en quête du Tout et Un. Dieu n’est dérangé par rien, et la personne en quête est invitée à accueillir tout ce qui est sans être “dérangée” et déstabilisée même par les choses qu’elle n’aime pas, et qu’elle a raison de ne pas aimer…
Ce n’est pas avec une âme déstabilisée ou “dérangée” dans le sens du texte Zen ci-dessus cité, que les Prophètes, les Sages, les maîtres spirituels Soufis ou Zen se sont engagés dans la voie de lutte pour rétablir la paix, la justice et le bien dans l’humanité… C’est plutôt avec une âme satisfaite de Dieu et de ce qui leur a été destiné qu’ils avaient pris ce chemin d’engagement dans le Bien.
Engagés oui mais pas dérangés…
Seule cette “satisfaction”, ce “ridha”, cette paix intérieure, ou encore ce que le développement personnel appelle aujourd’hui “l’acceptation” permettra à l’âme humaine de transcender son contexte, quel qu’il soit, pour s’investir pleinement et en conscience dans la Voie du Beau, du Grand et du Bien. C’est dans cet espace de paix et d’harmonie que l’âme peut commencer à agir sur son contexte, et à ne plus seulement réagir à son contexte…J’en ai parlé dans différents essais sur l’agir spirituel dont un sur la marche de l’Imam Hussein en 2016.
Il y a plusieurs dimensions de l’être humain et les textes humains comme sacrés s’adressent tour à tour à l’une ou à l’autre et les choses peuvent être envisagées et perçues selon des angles différents ou plutôt des fréquences intérieures différentes. Le Qor’an comme exemple de texte religieux s’adresse à des dimensions différentes de nos êtres. Par exemple, on y trouve à la fois des versets qui nous rappellent que “Tout vient de Dieu”, et d’autres qui disent que «Le mal vient de vous »… Comment pouvons-nous les comprendre et les articuler entre eux ? Cela ne semble-t-il pas contradictoire de prime abord ? Le premier message peut paraître dangereux à ceux qui y entendent : “acceptez tout et ne vous positionnez pas”, tout comme le second peut sembler dangereux à ceux qui y voient une culpabilisation de l’homme tenu responsable pour les choses difficiles qu’il rencontre dans son existence… Alors qu’en réalité, les deux messages se complètent : le premier est dans la fréquence de la non-dualité, tandis que le deuxième est dans la fréquence de la dualité…
Hamdi Ben Aïssa est fondateur de l’institut Ha-Mim et le mouvement Floraison