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Pour 61 % des Français, la lutte contre l’islamisme radical est prioritaire au chômage

Un sondage Ifop pour le JDD publié dimanche 2 juillet montre que 61 % des Français estiment que la lutte contre l’islamisme radical est prioritaire sur la baisse du chômage, l’amélioration de l’école ou du pouvoir d’achat. Des résultats qui interrogent par l’étendue de leur écart. Quels facteurs permettent précisément d’expliquer ces chiffres? Le décryptage de Mizane Info.

Cela ne surprendra pas grand monde, et pourtant ! Les chiffres d’un sondage de l’IFOP, publiés par le JDD dimanche 2 juillet, ont de quoi faire frémir. Pour 61 % des Français, la lutte contre l’islamisme radical serait prioritaire sur les retraites (43%), l’école (36%), l’emploi (36%) ou le pouvoir d’achat (30%). Selon l’hebdomadaire français, ce résultat serait attribuable « au choc des attentats en Angleterre (qui) a sans doute relancé la peur du terrorisme et la revendication de sécurité ». Mais est-ce réellement le cas ?

Extrait du sondage réalisé par l’Ifop pour le JDD.

Renouer avec une pratique responsable des médias

Interrogée par Mizane Info, Nadia Henni-Moulaï, journaliste, auteur(e) et fondatrice du site d’information MeltingBook, voit dans le contexte sécuritaire et le traitement médiatique souvent biaisé qui en découle les éléments expliquant les résultats du sondage. « Cela peut se comprendre dans le contexte post-attentat depuis 2015, avec une menace terroriste globalisée en lien avec Daesh ou avec des loups solitaires. Les médias mainstream ont aussi réussi à nourrir cette menace. Le vrai fond des problèmes en France est malgré tout ailleurs, et on voit bien que la question des enjeux liés à l’éducation ou à l’inégalité sont passés au second plan. Sans taper gratuitement sur les médias, le manque de hiérarchisation de l’info produit des effets pervers. On entretient les peurs des gens et ces derniers se nourrissent en miroir de l’agenda des médias avec, au milieu, des politiques qui instrumentalisent parfois ces questions ».

« Évacuer les enjeux sociaux, c’est prendre le risque de verser dans l’irrationnel »

Pour la fondatrice de MeltingBook, une pratique médiatique plus responsable, soucieuse de clarification, de compréhension et non plus génératrice d’émotions, serait de nature à offrir les clés d’une meilleure compréhension de l’information. « Le rôle des médias est de remettre les choses à leur place, d’étudier le parcours des djihadistes types, d’essayer de croiser les données, ce que fait très bien la presse anglo-saxonne. Cela demande du temps et de la pédagogie.  Il y a ainsi un lien entre les djihadistes et leur profil social. Les questions du travail et du chômage par exemple sont centrales dans la problématique du terrorisme, même si par ailleurs, il ne faut pas se cacher qu’il existe un lien entre certaines lectures extrémistes de la religion et le passage à la violence. » Au-delà du prisme médiatique, Nadia Henni-Moulaï identifie également, dans cette peur des Français vis-à-vis de l’islam, la récurrence d’un leitmotiv plus ancien. « Cette cristallisation du terrorisme et de la sécurité ne sont qu’un aspect de l’hystérie sur la question de l’islam. Depuis les Croisades, une lexicologie guerrière et belliqueuse a toujours vu dans le musulman la posture du conquérant. Je comprends que les gens aient peur, nous avons tous peur car nous sommes tous concernés. Mais évacuer les enjeux sociaux, c’est prendre le risque de verser dans l’irrationnel et il devient alors difficile de proposer un contre-discours médiatique. »

L’effet Macron n’a pas eu de conséquences sur la perception du risque terroriste

De son côté, Abdelkrim Branine, journaliste et animateur des Z’informés sur Beur FM, voit davantage dans les résultats de ce sondage l’échec de la politique menée jusqu’à présent dans la lutte contre le terrorisme et plus précisément l’absence d’état de grâce du nouveau président Macron. « L’effet Macron, confie-t-il à Mizane Info, n’a pas eu de conséquences sur la perception du risque terroriste. Les Français restent, à tort ou à raison, préoccupés par cette question. Les différents attentats qui ont récemment eu lieu en France et dans d’autres pays voisins ont certainement accentué cette peur ». Tout en reconnaissant l’impact du « traitement médiatique anxiogène de plusieurs médias mainstream » sur la question, Abdelkrim Branine s’interroge sur la ligne politique adoptée par le nouveau ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. « Avec le précèdent gouvernement de Manuel Valls, le discours politique tendant à faire accepter que « nous sommes en guerre » était de rigueur. Reste à savoir quel sera à moyen terme l’attitude d’Edouard Philippe et Emmanuel Macron en la matière. Le énième projet de loi antiterroriste présenté par Gérard Collomb semble néanmoins confirmer une continuité plutôt qu’une rupture », poursuit-il.

L’influence du cadrage médiatico-politique sur les sondés

Dès lors, peut-on attribuer une corrélation directe entre attentats et crainte disproportionnée de l’islamisme radical ? Pas exactement, à en croire Vincent Tiberj, professeur des universités associé à Sciences Po, auteur de « Français comme les autres (avec Sylvain Brouard, Presses de Sciences Po) », « La crispation Hexagonale » (Plon) et « Les citoyens qui viennent » (PUF). Dans un article publié par La vie des idées, Vincent Tiberj, qui a consacré une recherche sur ce sujet, considère que « Les attentats en tant qu’événement ne produisent pas de dynamiques d’opinion particulières ni, automatiquement, un repli sur soi. Les citoyens réagissent à la manière dont ces événements sont analysés et traduits par les élites politiques ».

Le cadrage est l’élément déclencheur des dynamiques d’opinion, pas forcément l’événement (attentat) en lui-même

Une analyse et traduction politiques mais aussi médiatiques que l’auteur nomme « cadrage » et qui entrerait en interaction avec les valeurs des individus sondés. « Ce n’est par exemple pas la même chose de cadrer les auteurs des attentats comme des musulmans ou des djihadistes, notamment pour l’ensemble de la communauté des croyants ayant foi en l’Islam et leur acceptation ou leur rejet par les Français (…) Le cadrage est donc l’élément déclencheur des dynamiques d’opinion, pas forcément l’événement en lui-même. De plus, il faut bien comprendre qu’un événement ne suscite pas qu’un seul cadrage et que l’impact des différents cadrages dont il fait l’objet dépend aussi des valeurs des individus, dans une logique d’interaction ».

Co-directrice du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Lila Charef confirme à Mizane Info ce biais induit par le cadrage et précise par ailleurs les problèmes méthodologiques posés par les sondages lorsqu’il est question de l’islam. « En fait, ces chiffres sont le résultat des méthodologies de sondage employées, qui induisent chez les répondants des types de représentation de ce qui, dans une société, peut ou non poser problème. Mon collègue Marwan Muhammad avait, dans un article, décrypté ces mécanismes. Au delà des effets de cadrage, il y a l’ambiguïté des formulations. Ainsi, l’expression « islam radical » peut, chez les répondants, vouloir dire toutes sortes de choses, allant d’une définition normative claire (disons, tout acte illégal/violent commis au nom de l’islam) à des définitions sociétales floues (toute forme visible de pratique de l’islam, ou le simple port du foulard), contribuant ainsi à la normalisation des stéréotypes. C’est tout le problème de ce type de « sondages », qui posent les « mauvaises questions » pour induire les « bonnes opinions » qui légitiment de mauvaises politiques ».

Les travers cognitifs de l’effet de halo

Outre l’effet de cadrage, les sondages détermineraient également un effet de halo, théorie issue des études des chercheurs Edward Thorndike en 1920 et Solomon Asch en 1946. L’effet de halo est un biais cognitif tendant à juger positivement ou négativement un groupe ou une collectivité sur la base d’une seule personne, un effet très connu dans les études sur le racisme. Vincent Tiberj donne quelques exemples de cette application de l’effet de halo dans les sondages et insiste sur le caractère aléatoire et non nécessairement structurel des rapports entre individus et systèmes de valeurs. « Les réponses des citoyens peuvent varier selon l’énoncé des questions dans les enquêtes d’opinion relatives aux valeurs, ou être sensibles aux « effets de halo » des questionnaires, quand l’ordre des questions contamine les réponses à celles qui suivent par exemple (…) Par exemple le soutien à l’avortement, qui peut varier de 7 points selon que le questionnaire fait référence ou pas aux valeurs traditionnelles ou au viol (Tourangeau, Rasinski, Bradburn et d’Andrade, 1989). Cette sensibilité au contexte d’enquête montre que derrière ces énoncés, c’est l’existence même d’un système de valeurs stable et structuré qui est sujette à caution. Plus souvent qu’on le croit, les individus ne sont pas cohérents, rejetant certaines minorités, mais pas d’autres, ou leurs croyances ne sont pas stables, leur degré d’aversion pouvant s’exprimer à un moment et pas un autre ».

 

 

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