Quels sont les principes et les finalités du droit musulman ? Pour le savoir, Mizane.info publie un extrait de l’ouvrage de ‘Abd al-Wahhâb Khallâf, « Les fondements du droit musulman » aux éditions al Qalam.
La science du fiqh (Droit musulman) analyse les actes et les dires de la personne majeure et responsable. Elle traite de leur conformité ou non aux lois divines. Le juriste musulman (faqîh) examine les actes de tels que la vente, la location, le gage, la délégation de pouvoir, ainsi que les pratiques rituelles dont la prière, la jeûne et le pèlerinage, et d’autres actes comme le vol, l’accusation d’ignominie, l’homicide, l’interrogatoire judiciaire, l’arrestation. Il cherche à établir la position de la Loi vis-à-vis de chacun de ces actes.
Quand à la science des fondements du Droit musulman (ousoûl al-fiqh), elle s’intéresse à la théorie du Droit : elle analyse l’ensemble des sources du Droit musulman et la manière dont on en extrait toutes les prescriptions divines. Le spécialiste de l’étude des fondements du Droit, appelé en arabe ousoûlî , étudie la légitimité religieuse du raisonnement analogique (qiyâs), les applications spécifiques d’une loi globale, la portée juridique d’un ordre divin, etc.
Que l’on me permettre d’éclaircir cette question, quelques exemples à l’appui. Le Coran est la première des sources du Droit et ses prescriptions ne sont pas toutes formulées de la même façon. Certaines consistent en des ordres, d’autres en des interdictions. Certaines emploient des termes généraux, d’autres des termes indéfinis. De telles formulations constituent les différents types d’indications (adilla) divines contenues dans le Coran, considéré lui-même comme « l’indication suprême ».
Le travail du ousoûlî consiste à analyser ces différents types d’indications afin de les classer en différentes catégories juridiques, en se fondant sur la rhétorique arabe et sur les procédés juridiques en vigueur. Ces travaux ont permis d’établir les règles suivantes : à l’ordre correspond l’obligation, à l’interdiction l’illicite, quant à la prescription générale, elle concerne des dispositions qui intéressent l’ensemble de la société, tandis que la prescription indéfinie est universelle et éternelle.
Ces règles générales dégagées par le spécialiste des fondements (ousoûlî) sont appliquées par le juriste (faqîh) à des cas particuliers, ce qui lui permet d’élaborer une loi pratique spécifique.
A titre d’exemple, il applique ces règles au Coran comme suit :
- Ordre – obligation :
« Ô vous qui croyez ! Respectez vos engagements. »
(Coran, S.5/V.1)
Ce verset implique qu’honorer un contrat est obligation ; - Interdiction – illicite :
« Ô vous qui croyez ! Ne vous moquez pas les uns des autres. »
(Coran, S.49/V.11)
Ce verset signifie que tourner autrui en dérision est illicite ; - Prescription générale – dispositions concernant l’ensemble de la société :
« Vos mères vous sont interdites. »
(Coran, S.4/V.23)
Le verset veut dire qu’aucun homme ne peut épouser sa mère ; - Prescription indéfinie – universalité et éternité :
Le verset mentionnant l’expiation due par l’homme qui a répudié sa femme par la formule
« Tu m’es interdite au même titre que ma mère » s’il désire la garder comme épouse, ce
verset qui ordonne :
« d’affranchir un esclave »
(Coran, S.58/V.3) implique qu’affranchir un esclave, qu’il soit musulman ou non, est un acte d’expiation.
Les exemples ci-dessus nous permettent d’établir une distinction entre les indications globales (ad-dalîl al-koullî) et les indications spécifiques (ad-dalîl al-jouz’î), ainsi que de faire la différence entre les prescriptions globales et les prescriptions spécifiques. Le terme « indication globale » désigne une catégorie générale d’indications, regroupant différentes indications spécifiques. Les indications globales sont par exemple : l’ordre, l’interdiction, les prescriptions générales, les prescriptions indéfinies, les cas de consensus explicite, les cas de consensus implicite, les analogies fondées sur le texte, les analogies fondées sur la déduction.
Ainsi, l’indication globale « ordre » regroupe toutes les formulations exprimant l’ordre (propositions impératives, etc.), l’indication globale « interdiction » regroupe toutes les formulations exprimant l’interdiction, et ainsi de suite. L’ordre est donc considéré comme une indication globale tandis qu’une proposition impérative bien précise est une indication spécifique. De même, l’interdiction est une indication globale tandis qu’une proposition impérative bien précise est une indication spécifique.
Quant à la prescription globale, c’est la catégorie juridique qui regroupe toutes les prescriptions spécifiques d’un même type. On trouve ainsi la prescription globale « obligation », « illicite », « les actes valides » et « les actes invalides ». « L’obligation » est donc une prescription globale qui comprend l’obligation d’honorer les contrats, l’obligation de la présence de deux témoins lors d’un contrat de mariage, etc. « L’illicite » est une prescription globale qui comprend tous les actes jugés illicites tels que l’adultère, le vol, etc. Il en est de même des prescriptions valides et des actes invalides. Ainsi, on considère
l’ « obligation » comme une prescription globale et l’obligation d’effectuer un acte bien précis
comme une prescription spécifique.
Le ousoûlî ne s’intéresse donc ni aux indications spécifiques (ad-dalîl al-jouz’î), ni aux prescriptions spécifiques qui s’en dégagent, mais il analyse les indications globales (ad-dalîl al-koullî) et les prescriptions globales qui en découlent afin d’élaborer des règles universelles.
Ces règles codifient la signification des indications, et permettent ainsi aux juristes (faqîh), qui s’en sert, de les appliquer aux indications spécifiques pour en tirer les prescriptions spécifiques. Le faqîh ne s’intéresse donc pas aux indications globales et prescriptions globales qui en résultent, mais étudie les indications spécifiques pour en extraire des prescriptions spécifiques.
Finalité
La finalité de la science du fiqh (droit musulman) est d’appliquer aux actes et dires humains les prescriptions divines (al-ahkâm ach-char‘îya), c’est-à-dire les prescriptions contenues dans les Textes religieux ou qui en sont tirées. Le fiqh constitue la référence du juge, du mufti6 et de toute personne majeur et responsable censée connaître les prescriptions divines qui régissent ses actes et dires. En fait, la finalité du fiqh est celle du droit en général, dans toutes les nations, à savoir appliquer les lois aux faits et dires humains et montrer ce qui est licite et ce qui ne l’est pas.
Quand à la finalité de la science de ousoûl al-fiqh (fondements du Droit musulman), elle consiste à appliquer ses règles et ses théorèmes pour étudier les indications spécifiques afin d’en extraire les prescriptions divines qu’elles expriment. Les règles de cette science facilitent l’explication des Textes et, par conséquent, l’extraction des prescriptions, ainsi que l’éclaircissement des points obscurs. Elles permettent de trancher entre plusieurs interprétations, quand on se trouve face à des textes apparemment contradictoires.
Grâce à ces mêmes règles, on déduit des lois se basant sur le raisonnement analogique (qiyâs), le choix préférentiel (istihsân 7) ou la présomption de continuité (istishâb 8) pour répondre à des situations non mentionnées par les Textes. Enfin, elles permettent aux spécialistes de faire du Droit comparé (al-fiqh al-mouqâran) parce qu’elles conduisent, d’une part à la parfaite compréhension des lois déduites par les moujtahid, et d’autre part, facilitent la comparaison entre les différentes analyses qu’ils font d’un même cas.
En effet, pour comprendre le bien-fondé d’une décision juridique ou pour comparer deux analyses juridiques différentes, il est nécessaire de retourner à l’indication (ad-dalîl) qui en est l’origine, et de connaître le processus qui a permis d’extraire telle ou telle prescription ou d’adopter telle ou telle analyse. Cela n’est réalisable que grâce à la science de ousoûl al-fiqh.
‘Abd al-Wahhâb Khallâf