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Ragusa Massimo : «La pensée islamique sera créatrice ou condamnée à mourir»

Fondateur et animateur de Socialislam, diplômé en sociologie, Ragusa Massimo appelle à la (re)construction d’une pensée islamique d’ordre civilisationnel. « L’individualisme islamique est la voie à suivre pour revenir à un islam du soi », écrit-il sur Mizane.info.

La stagnation de l’évolution de la pensée islamique va de pair avec la saisine de la parole de Dieu par des gouvernants despotiques. Ce que l’on appelle la politisation du religieux va de pair avec une désacralisation du savoir et du pouvoir (ontologique) de la spiritualité sur l’individus. La saisine du religieux, c’est éradiquer une religiosité verticale – de l’individu à Dieu, sans intermédiaire – au profit d’une religiosité horizontale – de l’individu à l’individu, avec donc un intermédiaire; c’est la perte de la transcendance!

Cette saisine est d’une certaine manière les prémisses d’une sécularisation de l’islam, mais une sécularisation perverse qui, dans l’instrumentalisation du savoir islamique, du message coranique, sacralise l’individu et fait émerger des « représentants » de Dieu. C’est en quelque sorte la dogmatisation de l’islam, le passage de l’autonomie religieuse à l’hétéronomie religieuse. C’est dire que la politisation du religieux, c’est en quelque sorte « la mort de Dieu », pour reprendre la célèbre phrase de Nietzsche.

En réalité, la diversité, le pluralisme, l’hétérogénéité apparente et cachée des êtres humains n’est que la volonté du Divin; la révélation de ses capacités créatrices infinies.  Respecter le pluralisme, quel qu’il soit, c’est glorifier la magnificence divine; respecter le pluralisme, c’est inscrire sa religiosité à partir d’une foi pure et sincère; c’est vivre sa foi avec simplicité et sobriété.

Notre relation aux Anciens

Repenser son rapport à sa religiosité, à son islamité, ne signifie pas, de mon point de vue, être fidèle à l’esprit des Anciens. Cela ne signifie pas non plus qu’il faille se positionner en rupture avec la pensée des Anciens.

Il s’agit, me semble-t-il, de questionner la pensée des Anciens, de comprendre la production de cette pensée, du contexte dans lequel elle s’est façonnée. L’important n’est pas le résultat ici, mais le processus mis en œuvre pour faire la jonction entre le message coranique et le contexte dans lequel il s’est inséré. Il y a là, à faire ressortir la méthode pédagogique, la finesse didactique, pour faire émerger une instruction nouvelle.

La (re)construction de la pensée islamique s’inscrit dans une perspective subversive, elle vise sinon le changement, l’amélioration du bien-être à la fois individuel et à la fois collectif. L’individu et la société étant par définition un terrain d’étude complexe, cette (re)construction implique de s’engager dans une philosophie de la complexité en islam. Qui dit complexe, dit compliqué, et qui dit compliqué dit « exigeant »!

Qu’on le veuille ou non, la réalité phénoménale de notre société n’a plus rien à voir avec celle de nos prédécesseurs; elle implique de repenser l’expérience religieuse ici et maintenant… sans quoi elle est destinée à l’inopérance spirituelle éternelle.

Suivre un savant, une école juridique n’implique pas un suivisme aveugle des règles établies. D’abord, il faut évidemment respecter le travail effectué par ceux qui ont consacré leur vie à l’étude religieuse, au travail herméneutique, à l’extraction de règles pratiques permettant de vivre la religiosité islamique. Ce respect n’est en rien diminué en disant qu’il ne faut pas ériger ce savoir en vérité absolue; ces savants ne sont au final que des êtres humains, et quand bien même ils seraient les « héritiers » des prophètes, ils n’en reste pas moins vrai des êtres dont l’intellection est limitée.

Ensuite, dire cela, c’est aussi dire que l’on peut interroger ces doctrines juridiques quant à la pédagogie et aux finalités poursuivies: celles qui étaient les leurs, dans une société donnée à un moment donné.

Enfin, et c’est en cela qu’ils peuvent rester des « références », il s’agit de comprendre comment ces savants ont négocié l’articulation de l’esprit coranique avec la réalité contemporaine de leur époque.  Dire cela revient donc à reconnaître un héritage… sans le sacraliser.

Si on a besoin des mots pour comprendre le contexte, on a aussi besoin du contexte pour comprendre les mots…et vu la richesse, la polysémie, de la langue arabe, cela prend tout son sens!

Repenser les rapports fondateurs

L’enjeu d’une (re)construction de la pensée islamique n’est pas d’ordre cultuel, mais d’ordre civilisationnelle. Il s’agit de (re)penser les rapports profane-sacré; islam et politique; islam et culture; foi et raison; science et religion; responsabilité collective et responsabilité individuelle; religion et science. À ce titre, la pensée islamique sera, soit créatrice, soit elle sera condamnée à mourir dans la nostalgie d’un passé fantasmé. Un passé marqué par l’instrumentalisation du religieux, par une politisation du religieux, par une aliénation socio-culturelle; une histoire marquée par la malice capable de transformer une religion de paix en une religion meurtrière.

Ragusa Massimo.

La pensée créatrice, pacifique et apaisante s’est éteinte pour faire place à une pensée sclérosée, contestataire et névrotique. La pensée islamique a été déformée, manipulée pour en faire un instrument de violence; une violence sociale; une violence psychologique… une violence criminelle! Aujourd’hui encore, on peut palper la violence qui règne autour du « penser islamique », où l’impensé n’est pas permis, où le sectarisme et l’obscurantisme animent les débats; des débats où la paix s’est fait la malle, où le conflit est permanent; un « penser islamique » où la haine s’est substituée… à l’amour!

Le « penser libre » en islam relève d’un cheminement profond, intense… et intérieurement conflictuel. Conflictuel car le corpus doctrinal dominant a fait de la culpabilité le moteur de l’impuissance réflexive. Toute personne de confession musulmane est confrontée à un rapport tellement sacral avec la pensée islamique héritée que le développement d’une vision critique de la pensée, c’est-à-dire d’une pensée capable de repenser la pensée islamique, sa propre pensée islamique, passe par la capacité du musulman à se débarrasser du poids de la culpabilité qu’a engendré sa « socialisation religieuse primaire ».

Vers un individualisme islamique

De nombreuses études sociologiques abondent dans le sens d’une individuation de la pratique religieuse. Une individuation dans laquelle, les musulman.e.s « bricolent » leur religiosité. « Bricolent » dans le sens où ils vont chercher le savoir religieux ici et là, et notamment sur internet.  En soi, c’est une bonne chose et cela rejoint un individualisme islamique qui, de mon point de vue, est la voie à suivre pour revenir à un islam du soi, un islam plus spirituel.

Loin d’une injonction socioculturelle, la liberté réelle, celle qui responsabilise l’individu dans ses choix, est cohérente avec le libre arbitre accordé par le Divin à ses créatures. Un libre arbitre laissant entrevoir l’adhésion au message coranique comme une volonté personnelle, une adhésion éclairée. C’est en ce sens que l’on peut parler de religiosité authentique, celle qui vient du « dedans » du soi; celle qui relève du chemin introspectif sur la nature ontologique de l’être et de son devenir.

La seule dimension « religieuse » que l’on peut retrouver, que l’on doit ou devrait, c’est selon, dans la culture islamique, c’est l’individualisme islamique.

Le cœur est la matrice de l’être, il susurre à l’esprit ce qu’il convient de faire, ce qu’il convient d’adopter comme conduite, mais pour cela, il faut se prêter à la méditation de soi, s’accorder des moments d’introspection, et dans ceux-ci, s’ouvrir au dialogue de Soi à Dieu. Se libérer, il ne s’agit que de cela : se libérer pour vivre apaisée et être source d’apaisement pour celles et ceux faisant partie de son environnement social.

Ainsi, le rapport au religieux, c’est aussi s’émanciper du joug de la religion « héritée », et des « règles » construites ailleurs, à une autre époque. Aucune servitude sociale n’est acceptable, le sentiment religieux, en tant qu’expérience spirituelle, ne peut tenir pour finalité la reconnaissance sociale de ses pairs, de ses coreligionnaires ; aucune forme d’autorité humaine n’est cohérente dans le cheminement spirituel.

De ce point de vue-là, un éclaircissement me parait essentiel, il n’existe aucune forme de soumission religieuse, l’expérience religieuse est de l’ordre de l’adhésion éclairée ; aucune obligation, que des recommandations posées par le Divin et laissées au libre choix de l’individu : le sentiment religieux est liberté ou il n’est pas !

Ragusa Massimo

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