Contrairement à d’autres années, la France sera cette fois l’un des premiers pays où la lune sera visible, annonçant le commencement du mois de jeûne de Ramadan. Une chronique détaillée de Vanessa à lire sur Mizane.info.
Cette année, tous à l’observation du croissant lunaire ! En effet la conjecture est particulièrement bonne en France pour être parmi les premiers à pouvoir observer le croissant peut-être à l’oeil nu, et en tout cas de façon plus sure avec des jumelles ou un télescope dès vendredi 28 février soir, si la météo se montre clémente incha Allâh.
Nous souhaitons ainsi relayer largement cette information afin de rassurer la communauté musulmane de France sur le début du Ramadan le 1er mars qui devrait se faire de façon consensuelle à l’échelle mondiale (sauf peut-être chez des pays d’extrême-orient où le croissant sera totalement invisible, selon qu’ils optent ou non pour la vision locale ou globale).
Un calendrier de prière à 18° ?
Fait encore plus intéressant, une observation -ou non- à l’oeil nu en France comme dans certains autres pays pourrait permettre de clarifier l’efficience de différents critères scientifiques puisque si l’un issu de l’observatoire de Paris annonce la possibilité d’observer de visu le hilâl dès vendredi soir, d’autres prévoient que cela serait impossible (car selon eux il faudrait impérativement une aide optique) comme dans la carte de visibilité de Mohamed Odeh pour le célèbre site en la matière https://astronomycenter.net/, ou dans la carte de visibilité de Khalik Shaukat du non moins célèbre site https://moonsighting.com/.
Ces deux dernières cartes divergent par ailleurs sur la possibilité d’observer à l’oeil nu le croissant en Espagne et il est intéressant de pouvoir y conduire également des observations. Ces deux derniers scientifiques étant par ailleurs en désaccord depuis des années sur un autre sujet scientifique de taille : les calendriers des horaires de prière.
En effet Mohamed Odeh, un astronome jordanien de renommée mondiale qui se consacre depuis de nombreuses années à ces questions de science appliquée pour la religion est un fervent partisan du calendrier de prière à 18°, tandis que l’ingénieur Khalid Shaukat, suite à des années d’observations collectées dans le monde mais notamment en Amérique et partout en Europe là où les musulmans du passé n’avaient jamais observé, a conclu sur son site que l’angle varie en fonction des latitudes et des saisons (le 18° serait bon surtout autour de l’équateur), et Allâh sait mieux.
Un consensus prévu pour l’annonce du Ramadan 2025
En tout cas cette année pour le ramadan 1446/2025 il devrait y avoir un large nombre de pays musulmans, et d’autres pays à communauté musulmane importante, annonçant la vision du nouveau croissant lunaire marquant le début du ramadan peu après le coucher du soleil, puisque les cartes montrent une large possibilité d’observer à l’oeil nu et à l’aide d’instrument optique.
Il faut toutefois garder le conditionnel concernant certaines zones puisqu’il existe plusieurs critères scientifiques de prédiction de la visibilité du hilâl comme nous allons le voir dans cet article. Et c’est l’un d’entre eux de premier ordre pour nous en France, à savoir le rapport annuel de l’IMCCE1 de l’observatoire de Paris, qui prévoit la possibilité de voir ce croissant lunaire en France, tandis que d’autres critères ne le prévoient qu’à l’aide d’instrument d’optique, ou sinon à l’oeil nu le lendemain en France.
Le choix des instances musulmanes
La divergence des zones de visibilité à l’oeil nu pouvant s’étendre sur des milliers de kilomètres est notable lorsqu’on dispose les cartes les unes en dessous des autres, et ce phénomène se produit de façon récurrente (voir aussi ledit rapport de cette année2). Il faut savoir que depuis maintenant des années, des instances représentatives musulmanes comme les fédérations ayant composé le CFCM ont à disposition le rapport des experts français en astronomie de l’IMCCE pour éclairer leur choix dans le fait de décréter les dates de début et de fin du Ramadan ; ils regardent également les annonces des autres pays du monde et notamment de l’Arabie Saoudite qui continue de jouer un rôle symbolique important, et sachant que les pays du Moyen-Orient ont cet avantage de pouvoir observer la Nouvelle Lune plusieurs heures avant nous.
Egalement, ce n’est pas la première année où ce rapport montre une différence de prévision entre les quatre critères qu’il cite : j’ai lu ces rapports pour chaque année aussi loin qu’il était possible de remonter et j’ai constaté que la plupart du temps les quatre critères convergeaient, mais que certaines années ils divergeaient si le hilal serait visible à l’oeil nu ou à l’aide d’instrument, et certaines années encore ils divergeaient carrément d’un jour sur la date du Ramadan en France.
La visibilité de la Lune dans les pays européens
Pour 2025 la carte française de prévision de visibilité du premier croissant lunaire montre également d’autres pays européens, tels nos voisins suisses, italiens et allemands et d’autres, et des pays africains, comme une partie de la Libye, du Tchad, l’Ouest du Soudan à pouvoir être les premiers à observer le hilâl et même ces derniers légèrement avant nous de 30mn à une bonne heure en fonction de l’heure où le Soleil se couche chez eux : néanmoins il est impossible de prédire précisément le premier endroit où le croissant sera vu car cela dépend des conditions atmosphériques locales changeantes, de l’aptitude de l’observateur, du relief, toutes ces conditions devant être optimales ; en tout cas la France figure en très bonne position et cela devrait être un encouragement pour nos compatriotes musulmans, comme pour nos compatriotes non musulmans férus d’astronomie d’essayer d’observer le croissant.
Le Maroc, pays traditionnellement attaché à la vision à l’oeil nu, figure également dans cette zone de prévision de vision oculaire de la Lune. Par ailleurs, nombre de pays musulmans utilisent des instruments d’optique tel des télescopes pour observer le croissant : ainsi tous les pays du Moyen-orient dont l’Arabie Saoudite devraient logiquement annoncer le ramadan vendredi soir et nous devrions le savoir l’après-midi même. Comme nous l’avons dit, l’intérêt pour les musulmans de France cette année est de tenter des observations populaires à l’oeil nu d’une part, et de tester les différentes cartes de prévision d’autre part.
L’utilisation de l’infrarouge
De plus, ces cartes ne calculent pas la possibilité de détecter le croissant à l’aide de caméra CCD et filtre infrarouge, alors que ces derniers offrent une possibilité bien plus grande de détecter le mince croissant sur un écran d’ordinateur, quelques heures seulement après la nouvelle lune, et donnent ainsi un résultat bien plus précoce que les classiques télescopes optiques.
C’est pour cette raison que l’Arabie Saoudite avait annoncé l’observation du hilâl l’année dernière alors que les cartes prétendaient à l’impossibilité : leurs autorités religieuses ont validé l’utilisation de caméras CCD depuis maintenant plusieurs années, et ont effectué un véritable travail pour sélectionner les meilleurs lieux d’observation, avec des astronomes observateurs d’expérience, et les caméras délivreraient même l’image en direct en streaming à la cour suprême chargée de valider ces témoignages pour une annonce officielle.3
Il faut savoir de plus que le record du monde de détection du croissant dans l’infrarouge avec imagerie CCD est détenue par l’astrographe français Thierry Legault, qui a pu capter l’instant même de la conjonction lunaire4 en pleine journée ! En effet la détection dans l’infrarouge est possible même avec la lumière solaire diurne et nous reproduisons son cliché5 du record du 8 juillet 2013 avec son aimable autorisation pour le site mizane. Quant au record à l’oeil nu, il est attribuée actuellement à John Pierce en 1990 avec une nouvelle Lune d’exactement 15h6.
La diversité des cartes
Si nous avons montré trois cartes différentes, et nous avons mentionné quatre critères scientifiques différents cité par le rapport de l’institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides, il faut savoir qu’il en existe en réalité encore plus. Dans leur article « Évaluation et examen des critères modernes de visibilité du croissant lunaire »7, les huit auteurs liés à l’université de Malaya (Kuala Lumpur, Malaisie), do,t Muhamad Syazwan Faid, ont comparé les différents critères scientifiques modernes pour prédire la visibilité du nouveau croissant lunaire : ils ont proposé des alternatives « basées sur 8290 données » après avoir évalué « au moins 15 critères de visibilité du croissant lunaire ayant été trouvés dans la littérature depuis 1901 ».
Avant eux, d’autres scientifiques ont évalué les critères scientifiques de visibilité du croissant lunaire et ont constitué des vastes réseaux d’observateurs permettant de faire des statistiques, à commencer par le pionnier Mohamed Ilyas, célèbre auteur dans son domaine de plusieurs ouvrages d’astronomie islamique, et en passant par l’astrophysicien de la Nasa Schaefer qui a mené une campagne d’observation du croissant entre 1987 et 1990 aux Etat-Unis avec 2500 volontaires pour établir son propre critère.
Ces études ont permis de calculer des statistiques d’erreur : « L’analyse des observations a ainsi révélé, d’une part, 15 % d’erreurs « positives ». C’est-à-dire 15 % de cas où le croissant n’était pas visible, mais où des personnes affirmaient l’avoir repéré. Et, d’autre part, 2 % d’erreurs « négatives ». Autrement dit, de cas où le croissant est parfaitement observable, mais où des personnes reconnaissaient ne pas l’avoir vu ». D’autres chiffres de tels échecs sont donnés par Muhamad Syazwan Faid sans que l’on comprenne toujours si ce sont les calculs astronomiques qui échouent -étant donné que cet auteur montre les limites des différents critères scientifiques et le fait que des améliorations fines ont été apporté avec le temps- ou bien les témoignages des hilâl qui sont erronés8.
Les divergences des écoles juridiques
Enfin, l’existence de cartes mondiales de visibilité du croissant devraient nous interroger sur notre compréhension d’avis religieux de savants anciens concernant la limite de la localité du croissant. Nous ne souhaitons pas ici discuter de la divergence très polémique entre la légalité religieuse de déterminer le mois du ramadan uniquement à la vision directe ou au contraire par le calcul astronomique, mais plutôt nous focaliser sur les problématiques scientifiques elles-mêmes.
Par la question de la localité du croissant nous entendons par là la question connue en fiqh de savoir si l’on doit prendre en compte le croissant visible uniquement dans notre région, ou bien n’importe où dans le monde pour marquer le nouveau mois : les anciens savants ont fait des estimations en fonction des connaissances de leur époque ce qui est bien normal, mais ces connaissances ont largement évolué depuis.
Il est connu que prendre uniquement la vision locale du croissant est l’opinion de l’école chafi’ite, tandis que les trois autres écoles sunnites optent pour la vision globale, à l’échelle mondiale. De plus, les malikites tardifs entre autre, notamment en se basant sur ibn ‘Arafa, ont restreint cette globalité en ne prenant pas en compte des hilâl vus dans des zones vraiment trop éloignés, d’un bout à l’autre du monde islamique à leur époque, pour aboutir à un avis de semi-globalité. En plus de cela, il faut avant tout que chaque musulman jeûne avec son pays et nous avons des citations de savants allant dans ce sens datant même d’avant le morcellement de l’empire ottoman.
Les conditions d’une bonne observation
Citons Wahba az-Zuhayli dans son oeuvre al fiqh al islamiyy wa adillatouh concernant ces avis de fiqh : « L’opinion de la majorité (jumhûr) unifie le jeûne pour tous les musulmans, même si l’on ne voit pas la Lune au même moment. De l’avis des Shafi’ites, le début du jeûne et de l’Aïd varie en fonction de l’écart dans la parution de la Lune entre les endroits éloignés les uns des autres.
Plus exactement selon certains chafi’îtes, d ‘après l’as-sah (l’avis le plus juste) : on ne considère pareil écart entre le pays limitrophe et le pays lointain que d’après la distance qui permet le raccourcissement (des prières en voyage) (89 km). Tout ceci en sachant que l’écart dans l’observation (du hilâl) ne pose pas de problème, car c’est un fait entre les pays loin l’un de l’autre, comme l’écart d’observation du soleil, et il n’y a pas de divergence sur le fait que le chef de la communauté peut ordonner le jeûne en fonction de ce qui a été établi pour lui, parce que la décision du dirigeant lève la divergence. Et ils se sont accordés que cela n’est pas observé dans des pays très reculés comme l’Andalousie et le Hijaz, l’Indonésie et le Maghreb »
Ainsi il semble nécessaire aux conseils de fatwa d’avoir une réflexion sur les distances limites de cette localité ou de cette semi-globalité quand nous avons maintenant des cartes nous montrant justement des limites géographiques où le hilâl serait vu le même soir ou dans la même nuit même d’un continent à l’autre comme l’Amérique par rapport à l’Europe, en sachant que les cartes montrent que ces limites changent chaque mois et chaque année, et sachant aussi le caractère hypothétique de visibilité dans certaines zones lorsque les critères scientifiques donnent des prédictions divergentes. Quant à la légitimité d’utiliser des instruments plutôt que simplement l’oeil nu, nombre de pays musulmans l’ont maintenant validé.
Le devoir de transparence
En conclusion, dans cet article nous avons voulu rassurer les musulmans de France sur le début consensuel du ramadan le 1er mars qui sera incha Allâh attesté par les observations, de même que les informer qu’il existe différents critères scientifiques pour prédire le hilâl et qu’il y a un intérêt scientifique, en plus d’un intérêt populaire, à tenter collectivement d’observer le nouveau croissant lunaire sur notre territoire national cette année.
Nous avons mentionné que la technologie permet de toute façon d’observer le croissant lunaire de façon très précoce, de sorte que les décrets des pays musulmans rejoindront très souvent les prédictions du calcul astronomique, pourvu que les cartes mentionnent l’imagerie en infrarouge comme possibilité, et ceci mérite encore approfondissement. Nous souhaitons enfin conseiller les instances musulmanes en France qui annoncent le mois du ramadan sur la nécessité d’être transparent dans les méthodes choisies pour décréter le mois béni, afin de gagner plus largement la confiance des musulmans qui n’est pas toujours acquise, même si cette année ne devrait pas poser de problème.
Notes :
1L’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides qui est l’organisme scientifique officiel en France pour donner les heures de levers et coucher des astres dont la Lune et le Soleil, de même que les horaires des crépuscules, utiles pour le calcul des heures de prière.
2https://www.imcce.fr/newsletter/medias/2025/02/docs/Ramadan_2025.pdf
3https://saudipedia.com/en/article/1985/society/society-affairs/crescent-moon-sighting-in-the-kingdom
4 Lorsque la nouvelle lune est dans le plan entre le soleil et la terre
5http://www.astrophoto.fr/new_moon_2013july8_fr.html
6https://www.lescahiersdelislam.fr/La-visibilite-du-croissant-lunaire-et-le-Ramadan_a362.html citant l’article de l’astrophysicien de la NASA Schaefer : L.E. Dogget et B.E. Schaefer, « Lunar crescent visibility », Icarus, 107 , 388, 1994. A savoir que l’âge de la nouvelle Lune ne constitue pas du tout un critère scientifique ultime retenu actuellement par les astronomes, il s’agit juste d’une manière simple de présenter les choses pour ce record.
7« Assessment and review of modern lunar crescent visibility criterion », https://auass.net/wp-content/uploads/2024/03/1-s2.0-S0019103524000289-main.pdf
8Idem https://auass.net/wp-content/uploads/2024/03/1-s2.0-S0019103524000289-main.pdf
