Hager Barkous.
Recrutée en 2018 comme responsable opérationnelle chargée de la gestion administrative dans l’entreprise McDonald’s à Nice, Hager Barkous s’est faite licencier pour non respect de la tenue réglementaire au terme d’un contentieux où elle s’est vue ordonner « de nettoyer les toilettes ». Mizane.info s’est entretenue avec la jeune femme qui dénonce un traitement discriminatoire. Zoom.
Italo-Tunisienne de 26 ans, Hager Barkous, vit à Nice. Cette jeune étudiante est recrutée en juin 2018 pour un job d’été en tant qu’équipière polyvalente. Hager Barkous se rend ce jour-là à son entretien d’embauche avec son voile.
« Le responsable m’a dit qu’il n’y avait aucun problème avec le voile ».
Une attitude plutôt tolérante dans un pays qui a fait du combat contre le voile une obsession malsaine.
Hager signe à cette époque un premier contrat CDI à temps partiel de 20H et les choses semblent bien aller pour elle.
Elle relève et réduit son voile en bandana et porte des manches trois-quarts (jusqu’au coude). Quelques semaines plus tard, le directeur de l’établissement la convoque néanmoins pour lui dire que des clients se sont plaints.
« Il m’a dit comme quoi ces clients se plaignaient de mon voile (porté en bandana, ndlr) et que McDo était islamisé ».
Nouvelle direction, nouveaux problèmes
Le responsable de l’époque décide de lui proposer une réaffectation en hôtesse d’accueil, un poste qui lui permet de porter un chapeau en tenue professionnelle.
Elle accepte ce compromis. « Le responsable dès le premier jour a fait preuve d’ouverture d’esprit et je n’ai jamais eu de problèmes avec lui ».
Parallèlement à ce travail, Hager Barkous est étudiante et suit un master en alternance (management et commerce international) ce qui implique de signer un contrat avec une entreprise.
Elle le soumet naturellement à McDonalds qui lui propose un nouveau poste de responsable opérationnel chargée de la gestion administrative du restaurant qu’elle accepte. « Un contrat pro de deux ans ! »
Avec son second contrat signé en octobre 2018, Hager Barkous avait une double fonction : hôtesse d’accueil et chargée de la gestion administrative.
Son ancien directeur qui l’avait recruté quitte ses fonctions. Avec la nouvelle directrice, tout change. Des tensions verbales surviennent. Que lui reproche la nouvelle direction ?
La jeune femme porte une casquette, un pantalon et un tee-shirt, tenue réglementaire oblige, mais rallongé de manches jusqu’au coude, au lieu de manches courtes.
« J’ai commencé à subir une forme de harcèlement. Elle me mettait la pression et me demandait pourquoi je cachais mes cheveux, pourquoi je mettais des manches trois-quarts. »
Chaque jour en arrivant, le même scénario se reproduit : rappel à l’ordre incessant. Hager Barkous décide donc de mettre un gilet McDonalds conventionné que portent plusieurs managers. On le lui refuse.
« On m’a demandé de retirer ce gilet, ce que j’ai fait, en sachant qu’il faisait froid à cette époque et que mes collègues mettaient des pulls ou des gilets en dessous des tee-shirts. »
D’après son témoignage, des collègues travaillaient avec des cheveux détachés, des faux-ongles ou des bijoux, ustensiles non conventionnels, sans que cela ne pose problème.
« Leur seul problème, c’était moi ».
« Tu as le choix. Fais le nettoyage ou rentre chez toi ! »
Elle raconte des moments difficiles « C’était le stress permanent, je venais travailler la boule au ventre. On me parlait de manière agressive ».
Plus tard, elle est convoquée à un entretien en vue d’une sanction disciplinaire pour tenue non conforme. Cet entretien lui fournit l’occasion de s’expliquer.
« J’ai défendu mes droits, cité des textes de lois, fait valoir que mon contrat de travail n’était pas respecté par rapport à mes missions (administratives, ndlr) et que les manches longues sont interdites en cuisine mais que je n’y travaillais pas du fait de mes fonctions contractuelles. On m’a fait savoir que je jouais à un mauvais jeu. »
S’ensuit alors pour elle une mise à pied de quatre jours.
Pour Hager Barkous, le vrai motif de ce contentieux est religieux. Elle raconte comment sa responsable l’a vu à l’extérieur sortir de chez elle et marcher dans la rue avec son voile.
« Elle m’a vu et m’a dit d’un ton surpris : Ah ! Alors tu es comme ça ! Depuis ce jour où elle a appris que je portais un voile, son comportement a nettement changé. Elle a insisté pour que je baisse mes manches et montre mes cheveux. » Une accusation rejetée en bloc par les responsables de McDonald’s.
« La direction du restaurant de McDonald’s Nice Saint-Jean d’Angely et l’ensemble de l’entreprise tient à rappeler son attachement au respect de chacun, notamment des croyances de chacun et luttent activement contre toutes formes de discriminations. La décision du licenciement de cette ancienne salariée a été motivée par des manquements répétés aux protocoles de sécurité alimentaire dans notre restaurant, qui demeure l’une de nos principales priorités, et dans le respect le plus scrupuleux du droit du travail », ont-ils déclaré à la rédaction d’Aljazeera.
Hager Barkous assure par ailleurs souffrir de perte capillaire et être suivi médicalement pour cela, ce qui aurait également justifié le port de son bandana.
Au retour de sa mise à pied, l’étudiante en master est apostrophée par un autre responsable masculin qui lui dit devant les clients : « Tu ne vas pas pouvoir travailler, tu vas faire du nettoyage toute la journée. » « Je lui ai expliqué que mon contrat ne prévoyait pas cela. Il n’a rien voulu entendre : « Tu as le choix, m’a-t-il dit. Fais le nettoyage ou rentre chez toi ! »
« J’ai dû faire un choix en deux secondes. J’ai fini par accepter. » Mais l’affaire ne s’arrête pas là. « Lorsqu’il a vu que j’avais accepté, il était décidé à m’humilier. Lui demandant quelle tâche je devais faire, il m’a dit : « Tu vas nettoyer les toilettes ! » Publiquement humiliée, la jeune femme refuse, fait valoir le caractère abusif de cette consigne et quitte son lieu de travail.
De la perte d’emploi à la déscolarisation
Placée en arrêt maladie pour trois semaines, la jeune femme est convoquée à un entretien préalable dans le cadre d’un licenciement pour faute grave. Elle demande un report de la date d’entretien du fait de son arrêt maladie. Sans réponse, elle reçoit deux semaines plus tard une lettre de licenciement pour faute grave.
Mizane.info s’est procuré le courrier. La société McDonald’s reproche à Hager Barkous principalement le non-respect de la tenue professionnelle exigée et le non-respect de l’article 13 du règlement intérieur sur la neutralité religieuse en entreprise.
Ce que l’intéressée conteste déclarant ne pas porter des manches longues (jusqu’aux poignets) et estimant que le bandana n’est pas un voile et donc n’est pas techniquement un signe religieux.
La société américaine, qui fait valoir la bienveillance et la tolérance de l’entreprise sanctionnées par plusieurs contrats de travail offerts à Mlle Barkous, lui reproche également d’avoir médiatiser cette affaire, notamment sur les réseaux sociaux, et l’accuse d’inversion accusatoire dans cette affaire qui relève désormais des prud’hommes.
McDonald’s estime que la jeune femme aurait ainsi déclaré tout faire « pour se faire virer mdr ».
Hager Barkous qui reconnait avoir exprimé son désappointement et sa souffrance morale conteste néanmoins l’avoir fait en ces termes.
Enfin, la responsable de McDonald’s l’accuse de mensonge sur les motifs médicaux de son bandana et lui reproche d’avoir commencé à porter ses manches réglementaires (courtes) avant de les changer quelques temps après par des manches plus longues.
Une double accusation que Hager Barkous rejette en bloc.
« C’est faux. J’ai toujours porté ces manches, dès le départ. Sur mon problème de santé, une visite médicale d’entreprise avait été programmée à laquelle je m’étais rendu après convocation. Je comptais faire part de ce problème mais l’entreprise avait annulé la convocation sans m’en informer ».
Une volte-face qu’elle interprète comme la traduction d’un refus d’obtention de preuve légale dans ce qui s’acheminait déjà vers un contentieux.
Après une première audience qui n’a pas abouti à une médiation, le tribunal statuera en mars 2021 pour déterminer si le licenciement était abusif.
En attendant, la Niçoise, qui a perdu le bénéfice de son master annulé par son licenciement et qui s’est vue interdite de redoublement, a provisoirement tourné la page d’une période difficile et a su rebondir en décrochant une formation de comptable, qu’elle espère mettre à profit dans un cabinet privé.
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